Je suis allé au festival

Amis messins, bonjour ! Je vous écris depuis la pointe Bretagne où mes relations m’ont permis de passer une journée au Festival avec la possibilité d’entrer partout sans la moindre accréditation et sans payer le moindre sou. Une affaire en or, quoi ! Sans compter qu’avec ça, j’allais sûrement pouvoir vous faire un papier intéressant et dans la cohérence de la devise de ce webzine, « l’actualité par ceux qui la vivent ». Je vais donc essayer de vous restituer l’ambiance du Festival : soyez indulgent parce que c’est la première fois que je fais du reportage et, qui plus est, je tape mon article de mémoire car je n’ai pas pris de notes quand j’étais sur place, tant j’étais débordé par l’enthousiasme.

Précisons tout de suite qu’il s’agissait du festival de la précarité et que cela avait lieu à Brest. Ben oui, vous vous attendiez à quoi ?

Tout a commencé mercredi dernier, alors que je sortais du Restaurant Universitaire de la faculté de lettres et sciences humaines Victor Segalen (Brest) : voyant mon collègue étudiant en philosophie, ouvrier dans le civil, Alain, je m’approche de lui pour le saluer. Une fois les saluts échangés, voilà que mon collègue me présente comme un « dessinateur émérite » (oh, Alain, ‘faut quand même pas exagérer !) à une de ses complices du collectif des précaires, répondant au prénom de Jany (qu’elle m’excuse si je l’orthographie mal) ; Alain lui propose donc que fasse des dessins pour les tracts et affiches du collectif des précaires. Jany accepte et moi aussi, nous nous échangeons nos adresses et je promets de commencer à travailler une affiche, ce que je fais effectivement le soir même ; je n’ai pas perdu de temps, en effet, car dans la foulée, elle m’avait annoncé que vendredi, ils organisaient le « Grand Festival de la précarité » dont le programme était le suivant (je cite) : « déambulation dans la ville, défilé de femmes et hommes sandwichs, de galériens et d’indigents, tractages, affichages, collages, banderoles, bruit, apparitions intempestives dans les hauts lieux de consommation et festivités du jour ». Dans la volonté de faire plaisir à des gens qui m’ont sollicité, j’ai veillé à pouvoir me présenter vendredi, à quatorze heures, place de la Liberté, avec mon affiche et cinq photocopies de cette dernière, ce à quoi je suis parvenu.

C’est par un temps absolument dégueulasse que les festivités ont eu lieu, alors qu’il faisait beau la veille et qu’il refait beau le lendemain… À croire que Dieu est de droite lui aussi. Pendant que certains blaireaux, préférant se donner l’illusion d’oublier leur misère plutôt que de lutter contre, se pointent à Cannes pour mater des trous du c** pleins au as qui ne sont là que pour épater les pauvres en étalant leur fortune en plein soleil, d’autres ont le courage d’affronter la pluie pour dire haut et fort que les chômeurs et précaires ont eux aussi le droit de vivre et qu’ils ne sont pas censés devoir toujours se prosterner devant leurs bons maîtres du Pôle Emploi quand ceux-ci, dans leur grande mansuétude, leur proposent des boulots de m**** payés une misère à l’autre bout du monde… Chacun si truc ! Le seul point commun entre moi et les trous de b**** friqués de Cannes, c’est que j’ai moi aussi monté les marches, mais celles de l’hôtel de Ville de Brest pour me protéger momentanément de la pluie avant la déambulation. La Place était encore déserte à mon arrivée puisque j’étais largement en avance, ce qui m’a donné le temps nécessaire pour vérifier si la flûte à bec que j’avais emmenée fonctionnait… Précisons tout de suite : je ne sais pas du tout y jouer – les autres ont eu l’occasion de s’en apercevoir – mais la consigne était de faire du bruit, je l’ai donc respectée. Peu après est arrivée Michèle, une mère de famille appartenant à une génération qui a pu vivre décemment sans avoir fait beaucoup d’études et qui, à ce titre, comprend mal que ses enfants aient tant de difficultés à joindre les deux bouts alors qu’ils ont bac+3, niveau d’étude déjà élevé pour cette brave femme pleine de bon sens qui a vu des O.S. prospérer tout en s’étant arrêté au B.E.P.C. Que demande le peuple ? Vivre ! Apparemment, c’est devenu de la gourmandise… Quant tout le monde était arrivé sur les lieux du rendez-vous, nous n’étions en tout et pour tout que huit – ce n’est pas faute de ma part, cependant, d’avoir signalé l’événement sur Facebook, mais les internautes ont visiblement reculé devant la pluie, oubliant que la précarité, le chômage et la misère n’attendent pas qu’il fasse beau pour devenir graves. Mais rien qu’à huit, on peut quand même faire du chahut, comme vous allez vous en rendre compte. Mon affiche remporta l’adhésion de tous et la brave Michèle ne put en dire autant : elle avait préparé des cartons à porter, dont un où l’on voyait un phallus symbolisant le Pôle Emploi, assimilant le traitement réservé aux chômeurs à un enc***** en règle. L’image n’était pas d’elle, Michèle ne sachant pas du tout dessiner, mais il s’est trouvé dans notre petite troupe quelques voix pour s’élever contre cette image qui ne renvoyait pas à une réalité de terrain dans la mesure où des agents féminins du Pôle Emploi s’avèrent souvent aussi dictatoriaux que leurs collègues masculins… Grande victoire du féminisme : les femmes aussi ont le droit d’être bêtes et méchantes ! Il n’empêche que c’est en assistant à ce débat sur le pouce que j’ai compris pourquoi je ne suis pas plus présent dans le militantisme : si les images les plus percutantes et les plus significatives doivent être censurées au nom de la réalité de terrain, non merci.

De toute façon, ce n’était là qu’une paille dans l’ensemble des préparatifs : affiches et tracts à répartir entre les participants, masques (portés à l’arrière) à distribuer, cartons pour les hommes et femmes sandwichs à faire porter, et bien sûr les objets générateurs de bruit à attribuer : la « musique » de ma flûte s’est ainsi mêlée à un infernal concert de cris dans le mégaphone et d’instruments de supporter. Croyez-moi, ça s’entendait bien ! Sur ces entrefaites-là, un journaliste du « Télégramme de Brest », ce torchon dont j’ai déjà épinglé ici les mensonges, est venu nous voir pour nous interroger et nous photographier – c’est maman qui va être contente ! Étant tout neuf dans le mouvement puisque je ne suis même pas (encore ?) précaire, je suis resté en retrait et ai laissé les autres répondre à ses questions ; j’ai tout de même appris une sacrée nouvelle en interceptant quelques-unes des paroles de mes camarades (on ne vous le dira pas dans « Le Monde » ni sur TF1, c’est bien la preuve que c’est important) : pour les anciens bénéficiaires du RMI, rien n’a changé avec le passage au RSA (ça, je m’en doutais), à ceci près qu’ils ont gagné la nécessité de payer la taxe d’habitation (ça, en revanche, je n’aurais même pas osé l’imaginer !) ; une sorte de cadeau Bonux, quoi… Puis le journaliste a tenu absolument à nous photographier sur les marches de l’hôtel de ville, donc sous la pluie : si malgré mes conseils vous lisez « le Télégramme de Brest », ne vous étonnez donc pas de m’y voir faire la grimace sous une capuche, même si j’avoue en avoir un peu rajouté pour bien montrer que nous étions là pour faire voir notre mécontentement. Vers trois heures moins le quart, nous partons enfin en nous  promettant d’exécuter assez promptement nos « apparitions intempestives dans les hauts lieux de consommation » afin de ne pas trop nous mouiller. Alors que nous remontions la rue Jean Jaurès dans le barouf d’enfer promis, j’ai pu voir quelques passants pointer vers nous leurs téléphones portables faisant office d’appareils photographiques ou de caméras : on va nous voir sur Facebook et sur YouTube ! Ils auraient aussi bien fait de nous rejoindre, mais pourquoi devenir acteur de l’actualité alors que la position de spectateur est si confortable ! Première étape : l’hypermarché Leclerc. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’un cerbère vêtu de noir et portant casquette, avec l’air aussi intelligent que le bon chien fidèle qu’il est pour son directeur et aussi agressif que l’invite à le devenir la vie de m**** qu’il doit mener, nous donne l’ordre de sortir. Je déteste souverainement ces valets du Capital qui laissent leurs patrons penser pour eux et qui avancent partout avec la mâle assurance que leur donne l’illusion du pouvoir ; si on ne m’avait pas retenu, je lui aurais donné des coups de ma flûte dans la g*****, sans aucune crainte d’abîmer cette flûte bas de gamme que mes parents avaient achetée à titre de fourniture scolaire quand j’étais collégien (c’est vous dire l’usage intensif qui est fait de cet instrument), preuve que je suis encore un piètre militant, moins bon en tout cas que celui d’entre nous qui a réussi à donner un tract à ce vigile et qui l’a convaincu de nous laisser sortir tout en faisant notre bruit. Puis cap sur la galerie marchande Coat ar Gueven où nous avons avancé en ligne droite de l’entrée jusqu’à la sortie, méprisant cette fois les vigiles qui nous suivaient (c’est moins inquiétant, évidemment, que quand ils sont devant nous). À ce propos, oubliez le cliché du mec musclé qui fait fantasmer les hyènes spermivores : le vigile moyen est gros, gras (mais pour trouver un homme athlétique à Brest, il faut se lever tôt), moche et a l’air plus que c**.

Par la suite, nous avons continué notre route sans trop d’embûches sous les regards approbateurs pour la plupart, mais tout de même effrayés pour certains, des passants ; l’incident a quand même été frôlé de justesse quand un vigile de l’espace Jaurès (triste ironie, par conséquent, d’avoir donné à ce lieu le nom d’un défenseur des classes populaires) a voulu arracher de force à Jany son sac plein de tracts, manquant de lui faire une clé au bras ! Agression caractérisée et, qui plus est, injustifiée, puisqu’un des petits chefs de ces lieux nous a dit qu’il nous laissait distribuait des tracts à la condition que nous ne criions pas dans le mégaphone. Une sorte de beau compromis, en somme, qui ne légitimait pas l’attitude du vigile, lequel a déclaré avoir déjà rencontré Jany et devait donc bien savoir qu’elle était une militante non-violente ; il y en a pour qui porter un uniforme suffit à ce qu’ils se croient dans « Starsky et Hutch »… En tout cas, c’est à l’espace Jaurès que nous avons eu l’occasion de constater, non sans amertume, que la foule consumériste (insistez sur la première syllabe, S.V.P.) faisait assez peu cas de nous, obnubilée par son envie de gaspiller son argent à acheter les salop***** que la publicité leur a présentées comme indispensables à leur bonheur. Nous ne nous sommes donc pas attardés – j’ai tout de même pris le temps de dire haut et fort « les français sont des veaux ».

Et puis cap sur la place Guérin, légendaire place de la ville de Brest, environnée de vrais bistrots comme on n’en trouve plus et où l’on pratique des sports extrêmement physiques comme les fléchettes et la pétanque (vous comprenez donc pourquoi les athlètes sont rares à Brest) ; mais les boules, ce jour-là, avaient cédé la place à la déjà légendaire « foire aux croûtes » où les peintres du dimanche exposent leurs chefs-d’œuvre qui ne sont pas vendus aussi cher que les « tableaux » de monsieur Sarkozy père mais qui ont le mérite de représenter plus qu’une pompe à fric pour ceux qui les ont exécutés. Ici s’acheva, pour aujourd’hui, le périple du collectif des précaires : c’est sur les lieux de cette aimable foire que nous distribuâmes nos derniers tracts, tant il est vrai que ce n’est pas là qu’un gros vigile allait nous expulser, le seul « service d’ordre » présent étant quelques enfants vérifiant si les visiteurs du pavillon ont bien leur ticket – et oui, la foire aux croûtes, c’est payant ! ‘Faut pas rêver non plus… Je pris donc congé de mes nouveaux amis en leur promettant d’être à leur disposition s’ils avaient encore besoin de mes petits talents graphiques ; sur ce, je partis prendre un peu de réconfort auprès de l’aimable Marjorie qui habite près de la place Guérin (mais je ne vous dirai pas où précisément) avec son bel amoureux et son adorable petit garçon. J’avais le droit de me reposer : montez dans une rue en pente, sous la pluie, en soufflant comme un sourd dans une flûte et vous comprendrez ! Mais c’était pour la bonne cause, la meilleure qui soit : celle de la dignité humaine, qu’il suffit de respecter chez soi comme chez les autres pour ne pas mener une vie de c** comme celle des vigiles de supermarché. Amis de Lorraine qui devez trouver bien hypocrite de ma part la censure de tous les mots un peu grossiers que j’emploie, kenavo.

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