A l’Opéra-théâtre de Metz se joue en ce moment une version du Dom Juan de Molière. La mise en scène de Jean de Pange fait la part belle au texte mis en avant par une excellente diction de l’ensemble des comédiens malgré un débit parfois un peu (trop) rapide. Le public est convié à s’installer sur les quatre cotés du plateau créant une sorte de ring au milieu duquel vont se jouer les diverses luttes internes et externes du personnage. La proximité avec les comédiens permet de jouer sur une grande palette de nuances. du cri au chuchotements, tout les détails se voient, se sentent, se ressentent… Les espaces différents de l’action sont mis en place sur un mode humoristique par l’ensemble de la troupe qui « bruite » la mer, la forêt… Tout ceci permettant au public de se créer lui même une image mentale pour completer l’espace de jeu totalement nu. Un peu comme on se laisse transporter à la lecture d’un livre en s’imaginant les décors où se déroule l’action.
Le choix de costume permet aussi de se laisser vagabonder. On rajoute assez facilement (par l’imagination) aux costumes de facture moderne les éléments décris par le texte de Molière (rubans, perruques…). En fait l’ensemble des principes de la mise en scène de Jean de Pange laisse une grande liberté au spectateur. On ne peut que s’en réjouir.
La distribution est réduite (à part Dom Juan et Sganarelle, les autres comédiens se partagent plusieurs rôles) et homogène. Une mention toute spéciale aux deux comédiennes. Clémentine Bernard qui campe une Elvire toute en émotions et en retenue. D’une grande maîtrise dans son jeu, elle irradie le plateau de sa présence sans toutefois effacer ses partenaires. Céline Bodis interprète avec brio Charlotte (la paysanne séduite par Dom Juan) d’abord timide et pudique elle révèle une grande force dans la suite de la scène où elle se mesure à Mathurine (une autre cible du séducteur). Elle interprète également la mère de Dom Juan. Dans le texte original, c’est le père qui vient sermonner son fils mais voilà encore un choix de mise en scène qui donne un éclairage différent sur Dom Juan. Un tout petit bémol, sur cette scène en particulier, l’âge quasiment identique des comédiens fait que l’on décroche un peu de la relation mère-fils, ceci n’enlevant rien à la qualité de l’interprétation de la comédienne. Le choix de Laurent Fratalle pour le personnage principal est juste. Il a du chien, du charme, l’orgueil nécessaire pour se mesurer à Dom Juan. on peut simplement regretter un excès de ponctuation physique du texte, les mains bougent beaucoup ce qui peut agacer certains spectateurs. Sganarelle est joué par Julien Buchy. On sent qu’il prend un grand plaisir à jouer (au sens premier) sa partition. Bourré d’énergie et d’inventivité, il crée un très bon contrepoint à Dom Juan. Julien Kosellek est distribué dans Gusman (le valet d’elvire) Dom Carlos (Frère de la même) et dans Mathurine. Dom Carlos est à mon avis un peu pâle et pourrait acquérir un peu plus de violence et de force. Dans Mathurine, Julien Kosellek est plus à son aise. il jubile dans cette scène de lutte contre Charlotte où la fierté féminine prend le dessus sur la conscience du manque d’éducation qu’ont ces deux paysannes. Enfin, Laurent Joly joue Pierrot, le pauvre et Monsieur Dimanche. Il est juste, précis. Les trois personnages sont très différenciés sans artifices qui auraient pu alourdir l’ensemble. Son jeu est clair, et il se sort avec brio de la langue de Pierrot (qui reste un morceau de bravoure pour tout comédien) sans en rajouter mais en se permettant quand même quelques moments de complicité avec le public.
Un élément à décharge (il y en a toujours) : le regret de voir encore le personnage du commandeur « escamoté » derrière un effet son et lumière. L’effet, pourtant est complètement réussi, cela fonctionne et tout reste compréhensible. Cependant, ça reste un artifice de mise en scène. Comme si on voulait se débarrasser de ce spectre dont on ne sait pas quoi faire. Même si Jean de Pange « retient du personnage de Dom Juan […] sa nature scandaleuse » et qu’il réussit avec grande justesse à garder ses spectateurs alertes et en haleine sur l’ensemble de sa mise en scène, j’aurais aimé qu’il nous donne sa vision de LA punition.
Quelques moments de grâce qui à mon avis valent à eux seuls la vision de cette version de Dom Juan. Elvire merveilleuse d’émotion « ne soyez point surpris Dom Juan de me voir à cet heure et dans cet équipage… » avec à côté d’elle un Dom Juan au sommet de l’horreur hypocrite. La scène du Pauvre dans la forêt « Je m’en vais te donner un louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer ». Un très beau moment d’inversion de rapport entre les personnages. Le pauvre devenant roi en refusant tout compromis et Dom Juan perdant un (très cours) moment sa morgue, sa verve et sa force. Peut-être est-ce là le moment clef de la pièce où Dom Juan pourrait se « reprendre » et s’amender s’il n’était « sauvé par le gong » de la bataille où il va sauver la vie du frère d’Elvire. Et pour finir, (ce qui est le cas) Un Sganarelle émouvant dans sa dernière réplique « mes gages, mes gages » où on sent toute la detresse de ce serviteur partagé entre le soulagement de ne plus avoir à justifier les frasques de son maître et la tristesse de perdre un proche dont on comprend bien que, sans la relation maître-valet, il aurait été ami.
Une bien belle soirée donc avec un grand plaisir de spectateur. Le Dom Juan de Molière, mis en scène par Jean de Pange (Cie Astrov) se joue à l’Opéra-théâtre de Metz jusqu’au 19 Novembre à 20h00. La jauge est réduite et il semble que les représentations soient complètes mais gageons que la qualité de ce spectacle lui promet une belle carrière et que vous aurez l’occasion de le voir en d’autres lieux de tournée.