Puisque je n’allume plus la télé de peur d’être informé de la couleur du caleçon de DSK, et puisque je ne lirai plus de journaux jusqu’à la sortie de Siné Mensuel demain (youpi, hosannah au plus haut de rien du tout, et pensez à racheter du rouge) , abordons un sujet plus léger. Je me suis souvent et peut être abusivement gaussé des footballeurs ici-même, les accusant d’être de vilains toxicomanes au cerveau plus vide que l’estomac d’un enfant somalien. Je le confesse, c’était parfaitement injuste et diffamatoire: il suffit de regarder une étape de montagne du Tour de France ou d’écouter parler Christophe Lemaître, la nouvelle star du sprint français, pour se rendre compte que le footeux n’a pas le monopole de l’encéphalite spongieuse par absorption de stimulants.
Pis que le sportif, le supporter pourra nous mettre au défi de pérorer avec tant d’acidité sur ses athlètes préférés après avoir arpenté un pré dans toutes ses dimensions pendant quatre-vingt dix minutes. J’en conviens aisément, mais je lui opposerai que j’ai arrêté de courir à l’école primaire quand j’ai constaté à quel point c’était fatigant, et que je ne me dope que pour le plaisir. Par ailleurs, le champ lexical de ses héros, même en conférence de presse où ses mollets sont au repos, s’il emprunte bien à « L’art de la guerre » de Sun-Tzu ses considérations belliqueuses , laisse aux vestiaires la richesse syntaxique et poétique du célèbre traité de stratégie qui rend sa lecture agréable même à un pacifiste patenté. Ne jetons pas la pierre au footballeur: son discours standardisé et sans aspérité ne répond qu’aux obligations de modèle pour la jeunesse qu’on lui a accolé à son corps défendant en même temps que les logos des milliers de sponsors griffés sur son maillot. Sous les louables intentions qui font porter à tous ces jeunes gens l’étendard et le short trop grand de l’intégration, de l’amitié entre les peuples et de l’esprit d’équipe, se cache souvent une récupération politique qui voit dans le sport professionnel la continuation de la guerre économique par d’autres moyens. De même, en dépit d’un individualisme farouche et d’une défiance certaine à l’endroit du fanatisme sous toutes ses formes, il nous arrive dans un moment d’empathie de penser que la brute avinée qui invite l’arbitre à s’essayer à des plaisirs réprouvés par M. Vanneste eut pu être un fin commentateur de l’oeuvre de Berthold Brecht si sa condition le lui eut permis. Avant que ceux qui considèrent encore le football comme un jeu ne cherchent mes coordonnées pour me faire la tête de Franck Ribéry, je précise que je sais qu’on peut aller au stade comme on va au cinéma, pour voir un divertissement avec une dramaturgie et des rebondissements, sans éprouver le besoin de détruire un quartier pour se soulager après une défaite. Sauf si c’est contre l’AS Nancy Lorraine.
Attaquons-nous donc à un gibier plus conséquent. Dans quelques jours s’ouvrira en Nouvelle Zélande la Coupe du Monde de rugby. Le rugby respecte les principes de bases du football, à cette exception près qu’il est beaucoup plus difficile de simuler une faute, et que la compréhension de la règle du hors-jeu ne demande pas un master en physique quantique. On a longtemps essayé de faire accroire que le rugby était un sport plus populaire et moins pourri par l’argent que le foot, ce qui relève d’une propagande éhontée qu’utilisent aussi certains partis politiques pour prospecter une nouvelle clientèle. A la vérité, le rugby a été codifié pour la première fois en 1845 en guise d’antidote à l’immoralité des écoles publiques où se pratiquait le football en dehors de tout cadre chrétien. Dès 1895, des ouvriers du Nord de l’Angleterre s’insurgèrent contre le fait que pendant qu’ils tannaient des Ecossais pour la gloire de la Couronne sur leurs heures de travail, ils n’étaient pas payés. Ces arrivistes qui ne pensent qu’à l’argent plutôt qu’à la beauté du noble game décidèrent donc de créer le rugby à XIII. Et les plus sauvages d’entre les sujets de sa Grâcieuse Majesté fondèrent le football gaélique qui reprend le meilleur du rugby et du catch extrême. Il fut un temps où le rugbyman aimait à boire un coup après une partie, à manger comme un ogre et dans un élan d’amitié virile vous distribuer une affecteuse bourrade qui pourrait briser la colonne vertébrale du commun des mortels, mais comme c’était pour rire on ne s’en offusquait pas. Cette printanière tradition que l’on nommait la troisième mi-temps a aujourd’hui disparu. Comme son cousin footballeur, le rugbyman est devenu un veau aux hormones au discours soigneusement stéréotypé, les plus beaux spécimens de l’espèce posant en tenue légère dans des calendriers dont l’intitulé païen et la vulgarité eurent fait bondir les très chrétiens créateurs du jeu, les plus laids se contentant comme de vulgaires Zidanes de faire de la publicité pour des voitures en se faisant passer pour des bêtes sauvages n’ayant d’autre but dans la vie que de plaquer leur prochain s’il n’est pas mort d’effroi rien qu’à leur vue.
Dans un prochain épisode, nous nous demanderons pourquoi on s’offusque de la présence d’OGM dans nos champs et pas dans nos stades.