Le problème avec les saisons, c’est qu’en attendant la fonte du dernier glacier et l’abattage du dernier arbre (qui ne sauraient tarder), elles excèdent rarement trois mois. Et déjà les bourgeons de révolte du printemps arabe s’apprêtent à devenir feuilles roussies par l’exercice du pouvoir qui trouve toujours des excuses à la mords-moi le tronc quand il trahit les espoirs de liberté et de vie meilleure qu’il portait alors qu’il n’était qu’opposant à l’oppression. Et c’est pour ça que comme le cycle des saisons, l’Histoire est un éternel retour du même dont seule varie la couleur du treillis.
Ainsi, en Egypte, l’un des détonateurs du printemps arabe, on commence à maudire ce salaud de Jacques Prévert à cause de qui les feuilles mortes n’en finissent plus de tomber. Des manifestants se sont groupés par milliers autour de la symbolique place Tahrir, haut-lieu de la contestation depuis le début de l’année, pour s’étonner du fait que rien ne change depuis la chute d’Hosni Moubarak. L’armée, quand elle a cessé de soutenir le Raïs, n’a en revanche pas lâché les rênes du pouvoir. Malgré les promesses de retour au pouvoir civil (dont la date n’a pas encore été arrêtée tant les militaires sont trop absorbés par les petits chatons des calendriers pour choisir une date), l’armée a inclus une clause aux modalités des prochaines législatives qui garantira un tiers des sièges à des personnalités » indépendantes », qui sont en fait des proches du pouvoir, mesure contestée par toutes les coalitions démocratiques, des laïcs, jusqu’aux Frères Musulmans. La loi d’état d’urgence a encore été étendue depuis le départ de Moubarak, et la répression dans la rue ou devant les tribunaux n’a jamais décru. Enfin, en bons politiques, le maréchal Hussein Tantaoui et le Conseil Suprême des Forces Armées pleurnichent en avançant l’argument de la crise et de la nécessité d’assurer l’ordre et la sécurité avant de mener la transition démocratique à son terme. On craignait l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans ou d’autres factions islamiques, on en reste à une bonne vieille dictature militaire. L’homme égyptien, en tout cas celui vêtu de kaki, est bien entré dans l’Histoire.
Chez les voisins libyens, on commence aussi doucement à déchanter. Là aussi, la transition vers un pouvoir civil a été reportée sine die. L’organisation Human Rights Watch a demandé au CNT de mettre fin aux mauvais traitements dont font l’objet les prisonniers (interrogatoires musclés et électrochocs, entre autres douceurs) et de cesser les arrestations arbitraires, et ce hors de tout système judiciaire. Ces sordides réjouissances se pratiquent notamment sur la population noire subsaharienne de la Libye qui est accusée d’avoir soutenu Kadhafi, un peu comme en Bulgarie on organise des expéditions punitives contre les Roms, les populations les plus démunies d’un pays étant toujours responsables de tous les maux, ce n’est pas Claude Guéant qui nous contredira. On attend d’ailleurs avec impatience que Sarkozy, Juppé et David Cameron reviennent à Tripoli pour se féliciter de la victoire de la démocratie sur la tyrannie et l’obscurantisme. Pendant ce temps, la censure sévit toujours en Tunisie où l’armée n’a rien perdu de ses prérogatives. En Syrie et au Yémen, ce ne sont pas les feuilles mortes mais les opposants au régime qui se ramassent à la pelle. En Palestine, et plus précisément à Jérusalem-Est, les colons jouent la provocation en lançant la création de plus de 1000 logements juste après que Mahmoud Abbas est revenu de New-York. En Arabie Saoudite, les premières élections municipales ont été largement désertées tant l’issue du scrutin était quasi-certaine au vu du nombre de sièges réservés aux proches du roi. Bref, on espère qu’avant le printemps prochain, on aura traduit « L’ordre moins le pouvoir » de Normand Baillargeon en arabe pour que le parfum du jasmin perdure plus que trois mois.
Dans un prochain épisode, nous nous verrons contraints de relancer Nathalie Kosciuzko-Morizet pour demander l’abolition des bergers, qu’ils soient péquenots des Vosges et des Alpes persécuteurs les loups, ou gradé de n’importe quelle armée qui prétend représenter la liberté.