POULET DE PRESSE n°29

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Je vous avais promis, à l’issue de notre dernier « poulet de presse » qui ne parlait que de journaux « sérieux » un autre numéro où la presse satirique reviendrait en force. Le voici !  

Fluide glacial série or, n°56 (septembre 2011) : Quand j’ai appris que le vénérable journal d’umour et bandessinées allait sortir un « série or » spécial années 80, j’ai bien failli m’étrangler de rage… Quoi ? Un spécial années 80 deux mois à peine après ce jour du 15 juillet 2011 où Le Graoully déchaîné s’était mis à l’heure de cette décennie révolue ? Une fois la première émotion passée, je renonçai à porter plainte pour plagiat au nom de l’asso, considérant que Bruno Léandri, le rédacteur en chef des hors-série de Fluide, n’a fait que s’inspirer de l’air du temps, tout comme nous ; en effet, c’est étonnant à quel point les années 80 sont « tendance » en ce moment. L’explication à ce phénomène est simple : ceux qui ont eu vingt ans à cette époque en ont aujourd’hui entre quarante et cinquante, ce qui veut dire qu’ils sont déjà assez âgés pour regarder davantage derrière eux que devant eux mais ne sont pas encore assez vieux pour que leur nostalgie passe pour du passéisme et ne soit pas prise au sérieux par les marchands de soupe. Si les années 80 sont à la mode, c’est tout simplement parce que les personnes les plus âgées, parmi les gens que les commerciaux considèrent encore comme une clientèle intéressante, regrettent l’époque où ils n’étaient pas encore des employés de banques bedonnants, souffreteux et dégarnis que les marchands de crédits tiennent par les gonades ; en tout cas, à part ce phénomène qui se reproduit d’une génération à l’autre, je ne vois pas d’autre explication car, comme le dit Charb dans ce numéro, « quel con aurait envie de revivre ces années de merde ? » Les années 80, bien sûr, ce sont les années où l’Europe de l’Est a fait tomber le joug communiste, mais ce sont aussi les années-fric, celles du triomphe absolu du capitalisme, où les délires de Reagan, l’entêtement de Thatcher et la trahison de Mitterrand (avec Yves Montand comme soutien et Bernard Tapie comme tête de gondole) ont permis le sacrifice des mineurs anglais et des sidérurgistes lorrains (votre compatriote Yan Lindingre explique ça très bien dans sa contribution au numéro) sur l’autel du profit, les années dont nous sommes ressortis avec la conviction que rien ne pouvait et ne devait changer : l’épouvantable gâchis contre lequel les indignés de tous les pays se soulèvent aujourd’hui a pratiquement commencé durant cette époque ! Culturellement, laissez-moi rire : les années 80 furent aussi celles de la fin de Charlie Hebdo (1981), puis de Hara-Kiri (1985), de la mort de Brassens (1981), puis de Reiser (1983), puis de Coluche, de Le Luron (1986) et de Desproges (1988) : les plus grands humoristes VRAIMENT subversifs ont disparu les uns après les autres, laissant le champ libre à une médiocrité de plus décomplexée qui s’est manifestée par l’arrivée des chaînes privées (naissance de La 5 en 1986, naissance de M6 et privatisation de TF1 en 1987), le triomphe des tubes insipides aux musiques putassières et aux paroles indigentes produits au kilomètre par des tronches de cake comme Goldman, Balavoine, Jeanne Mas, Dorothée, Émile, les Calamités, Noah… Le plus marrant, c’est que les nostalgiques des eighties ne voudraient pour rien au monde revenir au minitel, au téléphone avec fil ou à la cassette vidéo ! Bref, merci aux Fluideux d’avoir tourné en dérision ce « revival » infantile : heureusement que leur revue a survécu aux années 80, elle !           

Psikoat, n°235 (octobre 2011) : Ah, ben voilà un autre survivant des années 80, Carali ayant justement fondé son journal après la fin de Charlie Hebdo (« ancienne formule, la seule, la vraie », comme le dessinateur le dit lui-même) ; au menu de ce mois-ci, un dossier consacré à la police, un sujet qui ne pouvait qu’inspirer l’équipe du magazine ; évidemment, la plupart d’entre eux n’ont pas manqué d’en rajouter concernant la réputation détestable que traînent, non toujours sans raison, les forces de l’ordre, même si Carali fait la part des choses dans son « Zlata » avec une anecdote : « Je rentre un soir en moto après un bouclage bien arrosé comme d’hab. Bourré grave. Place Léon Blum, à deux pas de chez moi, je tombe sur un barrage, des keufs partout. Là je me dis « T’es bon pour passer la nuit au poste ». Un flic s’approche et avant qu’il me parle, je lui dis « Écoutez, je suis complètement cuit, pas la peine de me faire souffler dans le ballon, il exploserait » et je lui tends les poignets pour qu’il me passe les menottes. Il me demande où j’habite : « À 200 mètres, avenue Parmentier » « C’est bon, rentrez chez vous, mais faites gaffe, roulez pas trop vite. » À un moment j’ai cru qu’il allait m’escorter et me raccompagner. » Mais il ne faut pas s’y tromper : la police, ça peut aussi être des bons gros beauf’ « broute-paille et mange-merde » (les deux adjectifs sont empruntés à Cavanna) qui se muent en machines à casser du jeune et du journaliste parce que l’État les a armés pour en faire les instruments du combat commun des technocrates et des abrutis contre les « pas-comme-y-faut », comme celui qu’a rencontré Jean-Luc Coudray et qui était « sympathique et heureux, comme tous les imbéciles ». À part ça ? Quand je vous aurais dit que les filles que dessine Carali sont toujours aussi bandantes bien qu’elles soient dessinées très simplement, que Caritte, par ses planches et ses chroniques, nous laisse voir en lui un esprit vaste et encyclopédique trop peu connu du grand public qu’il doit être passionnant de fréquenter (je n’ai pas trouvé de quatrième rime en – « ique », désolé) et qu’Olivier Ka m’a donné envie, avec son « De l’avis général », de faire un grand ménage chez moi, je vous aurai tout dit, sauf l’essentiel.  

    

Siné mensuel, n°2 (octobre 2011) : « Tout est dans tout et réciproquement » disait Alfred Capus : ainsi, dans le Psikopat que je viens de vous présenter, Carali signalait l’arrivé de Siné mensuel dans les kiosques ; à l’inverse, dans cette deuxième livraison de Siné mensuel, le même Carali évoque le tournage d’un roman-photo pour un Psikopat paru il y a une dizaine d’années. Ça ne veut évidemment rien dire, mais c’était amusant de le signaler, même si le plus important est de savoir que le premier numéro de Siné mensuel s’est vendu à pratiquement 60 000 exemplaires ! Un chiffre plus qu’honorable qu’il va falloir confirmer dans les mois à venir, espérons donc que le public sera fidèle à ce journal qui le mérite amplement étant donnée la liberté laissée à chacun de ses collaborateurs pour s’exprimer. Vous en voulez une preuve ? Lisez ce que Siné, dans sa « zone », a écrit sur les primaires socialistes : « Payer pour voter ! Dire qu’il m’aura fallu atteindre mon âge canonique pour entendre une telle énormité ! C’est la meilleure, non seulement de l’année, mais de tous les temps. C’est grotesque, ubuesque, burlesque, abracadabrantesque. Déjà que de déposer un bulletin dans une urne, ça fait mal aux seins, mais devoir payer pour le faire dépasse carrément l’entendement ». Un argument « contre » imparable, servi par la verve habituelle du grand’ père indigne du dessin d’humour, et auquel moi-même, qui ai pourtant voté à ses primaires, ne suis pas complètement insensible… J’ai été moins convaincu, en revanche, par ce qu’en dit Christophe Alévêque, qui prend cependant soin de signaler que ça n’engage que lui : « Personnellement, je trouve cette primaire totalement idiote et déplacée, sous des prétextes d’expression démocratique et de débats constructifs. Soit ils se déchirent et c’est foutu, soit ils sont d’accord et c’est inutile, soit ils s’éreintent en coulisses et se font des risettes en public et c’est ridicule ». Mais lisez ces extraits de la chronique de Stéphane Mazurier : « Que n’a-t-on dit sur ce mode de désignation du candidat PS ! Usine à gaz, machine à perdre et même moyen pernicieux de ficher l’ensemble des citoyens. Pourtant, aux États-Unis, cela fait plus de cent ans qu’ont lieu des élections primaires sans que cette pratique soit vraiment contestée, même si, dans la réalité, elles s’achèvent le plus souvent sur la victoire du candidat qui a recueilli le plus d’argent pour financer sa campagne. (…) En définitive, ce mode de scrutin est né d’une volonté de justice sociale et d’une démocratie plus proche des citoyens. Et l’on s’étonne encore que l’UMP n’organise pas d’élection primaire pour la prochaine présidentielle. » Vous avez bien lu ? Mazurier développe sur cette question une opinion qui va directement à l’encontre de ce que disent deux autres chroniqueurs du journal qui le publie, dont le fondateur lui-même ! N’est-ce pas là une preuve de liberté laissée aux collaborateurs ? Au Graoully, finalement, on n’est pas les seuls… Signalons aussi que les dessinateurs Faujour, Lindingre (encore lui ?), Chimulus, Jiho et Berth nous ont livré leur vision de l’accouchement de Carla Bruni-Sarkozy : à ceux que ça intéresse de faire la comparaison entre ce qu’ils avaient imaginé et ce qui s’est vraiment passé ! En fait, si je voulais absolument critiquer Siné mensuel, je poserais la question suivante : était-il bien judicieux de mettre le reportage (consacré ce mois-ci aux prud’hommes) entre les deux pages de « récré » et la quatrième de couverture ? Vous me direz qu’on n’est pas obligé de lire un journal dans l’ordre, mais tout de même, c’est un peu comme si, à l’école, on programmait le cours d’histoire-géo à 17h30. Enfin, ce que j’en dis…  

Sans abri, n°151 (septembre 2011) : À vot’ bon cœur, m’sieurs-dames ! C’est mon côté bon samaritain, j’ai acheté ce journal à une vieille dame sans le sou qui le vendait avec l’air suppliant de rigueur (certainement, hélas, sincère) dans les rues de Brest. Vous connaissez tous L’itinérant, peut-être moins Sans abri qui en est le supplément mensuel. Bon, ce n’est pas franchement passionnant à lire et, de surcroît, c’est assez vite lu, mais Sans abri a quand même un mérite que n’ont pas les autres journaux : il est des rares à consacrer une pleine page aux poètes amateurs – un pléonasme aujourd’hui, aucun éditeur n’osant publier les vers d’un poète vivant et méconnu, ce qui explique pourquoi « les exclus de la littérature sont poètes, et les poètes souvent exclus » comme le dit la phrase d’introduction à cette page dédiée aux Tristan Corbière de notre époque. Mon préféré parmi ceux que propose ce numéro est « L’escargot » de Gérard Cazé, non seulement parce qu’il traite d’un animal qui a peu inspiré les poètes, mais aussi pour la note d’humour dont il est teinté, par exemple lorsqu’il désigne le modeste gastéropode comme le « précurseur de notre camping-car » ! Si vous avez des informations sur ce rigolo de la strophe, n’hésitez pas à nous les envoyer…

C’est en tapant cet article que j’ai appris que Kadhafi avait été tué ; on ne va évidemment pas pleurer une crapule de cette espèce, mais le fait qu’il n’ait pas pu être traduit devant une cour internationale de justice comme il l’aurait mérité n’augure rien de bon, ne serait-ce que parce que les pro-Kadhafi qui continuent à résister aux forces du CNT ont désormais un martyr… Allez, kenavo !

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