« A quoi je sers? Je le confesse, je me pose la question »
Christophe Maé
Quand Monsieur Ducon est d’humeur mélomane, il a coutume de dire que la musique adoucit les moeurs, en appuyant bien sur le « s » final. Est-ce que je dis les « u et les coutumes », moi? Non, alors s’il vous plaît je vous en prie. La musique adoucit les moeurs, difficile de faire mieux dans le concentré de banalité. Même le matutinal commentaire météorologique du collègue de bureau sur les saisons qui foutent le camp comme les traditions, le respect pour les anciens et la roine qui commanda que Buridan fut jeté en un sac en Seine peut se parer de plus de subtilité et de puissance de conceptualisation que cet adage ranci. Demandez aux imbéciles qui se mettent au garde à vous en entendant la Marseillaise ou à Nancy Spungen si la musique adoucit quoique ce soit. Que nenni, mes amis, si Mozart faisait partouzer les notes qui s’aiment, ce n’était que pour justifier la conception de six enfants en une existence si brève alors qu’il n’a vécu que criblé de dettes.
Prenons un exemple plus pédagogique. On sait le mépris que j’entretiens pour la doxa footballistique et pour la variété française, et lorsque j’ai besoin d’illustrer mon propos concernant un illéttré notoire, j’ai l’habitude de citer Christophe Maé. Et bien aujourd’hui, je l’avoue, la vergogne me ronge et je ne puis plus longtemps contenir mes regrets, je bats ma coulpe, je fais pénitence en ne buvant qu’une bouteille de vin par jour, et je me flagelle pour racheter mes péchés. Pourquoi diable, car c’est à coup sûr l’oeuvre du diable, faut-il que je m’acharne sur ce jeune homme à priori bien sous tous rapports, une manière de gendre idéal à qui l’on donnerait sa fille sans confession, un Jean-Luc Delarue dont le corps serait un temple inviolé? Pourquoi, quand je l’entends cancanner comme un canard asthmatique, j’ai envie de l’attacher, de l’abandonner, et de le percer d’une flèche qui l’empoisonne? Pourquoi tant d’opiniâtreté dans la détestation envers un garçon qui fait rêver les petites filles de tout âge parce qu’il leur parle dans un langage qu’elles comprennent? Et pourquoi soupçonner l’enfant de Carpentras d’avoir arrêté ses études au CE2 alors qu’il cite parmi ses influences les prestigieux Stevie Wonder et Bob Marley? Parce que je suis mauvais, parce que mon âme est noire, à telle enseigne que malgré l’immense estime que j’ai pour Bob Marley, je ne puis m’empêcher de penser que c’était un religieux intégriste, et que Stevie Wonder n’est qu’un vulgaire falsificateur de l’oeuvre de Gilbert Montagné. En vérité je vous le dit, si le chemin vers l’enfer est une autoroute, je n’aurais pas à faire la queue au péage. Aussi, aujourd’hui, à la face de l’élite du monde libre qui lit le Graoully Déchaîné, je présente mes excuses à Christophe Maé, et je sais qu’il les acceptera car il a de l’humour, sinon il ne jouerait pas avec Jean-Jacques Goldman. Christophe, je vous fais citoyen d’honneur de la République messine, mais ne vous sentez pas obligé pour autant d’écrire une chanson pour fêter ça.
Je m’excuse, Christophe, mon petit lapin inaccessible comme une hirondelle, car quand mes obligations professionnelles me poussent à sortir de chez moi, ou quand l’endorectocéphalie (la gueule de bois pour les intimes) me pousse à allumer la télévision pour occuper le seul neurone alors disponible, je les vois, je les entends, et toute l’horreur de mon iniquité me saute au visage. Pourquoi vous, alors que Grégoire, par la faute d’internautes aux portugaises ensablées à l’éméri, nous déverse des torrents de niaiserie à côtés desquels le tsunami qui a frappé les côtes japonaises n’est qu’une rafraichissante ondée? Pourquoi vous, alors que Cali et Yannick Noah nous dispensent une morne rebellitude qui rendrait presque Vladimir Poutine estimable? Pourquoi, cent fois pourquoi, alors qu’Abd al Malik déblatère son slam réactionnaire à qui veut bien le supporter? Comment est-il possible que Mylène Farmer soit devenue une icône alors qu’elle est la seule personne à s’habiller plus mal que Lady Gaga et à chuinter moins fort que Carla Bruni, et pourquoi le Québec nous déteste autant pour exporter tous ses potages sans saveur chez nous? Pourquoi Nolwenn Leroy chante t-elle des standards bretons sur un disque produit comme un vin d’honneur de fin de mariage alors que Manau et Alan Stivell avaient fait respectivement pire et mieux les mêmes choses quelques décennies avant? Pourquoi Indochine ne fait toujours pas de moto sans casque sous les camions comme leur avait suggéré Desproges? Et pourquoi me limité-je à un millier de mots par article pour ne pas rendre cette liste infinie, comme ma souffrance à l’écoute de ces artistes impérissables qui vendent plus de disques que Royco et Liebig réunis? Je sais qu’il est vilain de cracher dans la soupe, surtout quand elle est populaire, mais il ne fallait pas commencer à la faire cuire sur les ondes ou en numérique. Je ne méprise pas les choix discutables du public, comme disent les ennemis de l’environnement tous les goûts sont dans la nature. Mais j’ai vaguement l’impression que la variété française est à la musique ce que les farines animales sont à l’alimentation des vaches folles (celles qui donnent du lait et de la viande , pas les produits d’appel de la téléréalité), et que comme d’habitude la plus grande partie de ceux qui disposent d’un peu de talent seront voués au mieux à un succès d’estime. Aussi, Christophe, je m’engage à l’avenir à exploiter ce réservoir infini de briseurs d’esgourdes pour marquer mon mépris et à vous laisser tranquille.
Dans un prochain épisode, nous initierons notre nouvel ami au binge drinking en espérant qu’il suivra la trajectoire inverse de celle de Serge Gainsbourg, qui est passé d’immense auteur-compositeur à extraordinaire poivrot vulgaire.