Le syndrome de Gilles de Rais

 

 

« Je suis venu au monde très jeune dans un monde très vieux »

Erik Satie

 

On me reproche parfois abusivement de ne pas aimer les enfants. Ce n’est pas tout à fait exact. Je confesse que j’ai l’oreille sensible aux cris suraigus, et que seul le prix astronomique de l’essence m’empêche de dégainer mon lance-flamme quand on tire la queue de mes chats ou quand on sème le chaos dans mon désordre patiemment dérangé. On m’a même raconté que je fus moi-même un enfant à une époque reculée, même si je soupçonne que ce ne soit qu’un ragot destiné à m’en faire rabattre, d’autant plus que je n’en ai aucun souvenir.

Et puis c’est eux qui ont commencé: très peu d’entre eux lisent mes articles, et lorsqu’on leur affirme que Dora l’Exploratrice est presque aussi libertaire que Claude Guéant avec ses conseils éducatifs dignes d’une pub pour Kinder (celles avec des familles aryennes, pas celles avec Tsonga), ils refusent absolument le débat. Mais il y a beaucoup de gens qui détestent les enfants encore plus que moi. A commencer par leurs parents, qui s’obstinent à les traiter comme des déficients mentaux et à les habiller comme des poupées. Faut-il être imbu de soi-même pour imposer sa vision du monde, sous prétexte qu’on a réussi l’exploit surnaturel de faire entrer en collision un ovule et un spermatozoïde, à des petits êtres qui ne demandent qu’à découvrir et à s’amuser, si possible le ventre plein. Quand les parents ont imposé les premiers sévices à leur progéniture, c’est l’Education Nationale qui prend le relais. Car l’école est le brouillon de l’âge adulte: on y apprend à s’ennuyer ferme au milieu d’une trentaine de compagnons de misère qu’on n’a même pas choisi, et en plus, si l’élevage parental  ne s’y était pas encore attelé, car beaucoup de procréateurs affirment encore « élever » leurs  enfants comme on fait saillir des lapins nains, on vous fait rentrer dans le ciboulot que grégarisme, discipline, évaluation et compétition sont les mamelles d’une existence accomplie. On y apprend aussi un peu plus tard, sous l’autorité de Pierre Bourdieu, que le pénitencier scolaire est le moule de l’inégalité sociale, malgré les efforts de nombreux professeurs pour que l’école soit un lieu où l’on s’ouvre l’esprit et pas un centre de formation aux mille et un métiers abrutissants qui attendent les bambins à la sortie. Si vous n’avez pas encore compris à quel point je suis plus gentil que j’en ai l’air, attendez la suite. En effet, si vous ne souffrez pas d’anosognosie ou si vous n’avez pas de livret A dans les îles Caïman, il ne vous aura pas échappé que des élections présidentielles se profilent. Dès lors, les grands enfants que nous sommes tous vont se faire éduquer à grands coups de faits divers sordides pour qu’on se rappelle bien où mettre le bulletin de vote.

Que des sondages démontrent que la majorité des Français, donc des vieux, n’aiment pas les jeunes, on s’en tamponne le coquillard, et c’est même dans l’ordre des choses. Que des enfants soient signalés à l’entrée de leur cantine scolaire parce que leurs parents ne sont pas à jour dans le règlement de leur cotisation, c’est profondément choquant, mais cela n’a pas d’impact sur la croissance et la sauvegarde du AAA qui devrait remplacer Marianne dans les mairies tant on ne parle que de cette redondante voyelle à longueur de temps. Mais que des parents dispersent les entrailles du fruit de leurs entrailles, en mettant à contribution toutes les composantes de l’électroménager (micro-ondes, congélateur, machine à laver) ou de la botanique (pots de fleurs et jardins) avec une cruauté digne de Gilles de Rais, voilà une preuve que les 35 heures chères à Martine Aubry mettent en péril l’avenir de la Nation. Tout ce temps libre qu’on pourrait consacrer plus utilement à visser des boulons chez Peugeot ou à tâter de l’atome chez Areva, tout ce vain loisir qui pourrait être fructifié dans des salles de boursicotage, toutes ces heures improductives sacrifiées à nourrir des saltimbanques paresseux, ont corrompu l’instinct parental, et poussent la mère désoeuvrée ou le juge laxiste à bâcler leur devoir et à priver le pays d’un futur Einstein, d’un futur trader de génie, et peut-être même d’un futur omniprésident de la République. Mère Nature elle-même commence en avoir plein la couche d’ozone, et ne distribue plus les spermatozoïdes qu’avec parcimonie dans les bourses des futurs papas qui avaient eux-même bien commencé le boulot en se gavant d’OGM et d’animaux méthodiquement drogués et torturés avant de se couvrir de cellophane pour courir eux-même jusqu’au supermarché (ça n’existe pas encore mais ça viendra). Fort heureusement, la rigueur budgétaire ou les catastrophes nucléaires et climatiques, rayez la mention inutile, nous empêcheront de voir cette scène d’apocalypse, où du bout de son génitoire flapi l’Homme ne verra plus sortir que quelques gouttes d’essence.

En résumé, j’ai prouvé que finalement j’aime les enfants puisque je n’en ai pas.

Dans un prochain épisode, nous nous désolerons de l’ouverture de la nouvelle campagne des Restos du Coeur, tant pour son cortège de misère que l’on commence à croire sans fin que pour le disque qui risque de l’accompagner. Les catastrophes, vous disais-je.

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