Loreena McKennitt

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, j’aimerais délaisser momentanément le ton habituellement acerbe qui caractérise mes articles pour célébrer, sans ironie aucune, une artiste que j’apprécie vraiment, qui a sorti l’année dernière un nouvel album et dont l’anniversaire tombe justement ce jour du 17 février.

Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles dans l’univers de la musique commerciale : les hurleuses québecoises aidaient le Jean-Pierre Pernault ordinaire à se faire passer pour un amateur d’art lyrique, les folkeux denezprigentesques de service confondaient allégrement le typically celtic (typiquement celte) avec le really boring (vraiment ennuyeux), les rockeurs abâtardis et les bombes latrines contribuaient indirectement à l’animation des soirées branchouillées et les chianteurs français prenaient leurs crises d’adolescence pour des transes créatives. Puis vint une fleur sur cette soupe fécale, une canadienne qui surgit hors de la nuit faire vibrer nos tympans au galop ; son nom, elle le signe à la pointe de son accordéon (ou de sa harpe, ou de son piano ou tout simplement de sa voix) d’un « la » qui veut dire Loreena. Loreena McKennit.

La musique celtique a trouvé sa maîtresse : alors que les musiciens du pays exhibent les accords irlandais, écossais, bretons ou galiciens comme les montreurs d’ours nous présentent leur bête définitivement dégoutée de l’envie même d’être dangereuse, c’est-à-dire comme une pièce de musée qu’il faut conserver sous verre sous peine de poussière, Loreena, de sa voix sans âge ni accent forcé qui en ferait un sujet de photographie pour touriste de masse, fait renaître, sans avoir recours à un quelconque artifice folklorique en carton-pâte, tout l’univers qui a fait naître sa musique. La musique celtique revit enfin et pourrait rivaliser dignement avec celles d’autres horizons ; cependant, le conditionnel est tout à fait justifié ici car Loreena McKennit ne cherche pas le combat et permet à la musique celtique de s’accorder avec le mondes arabe, avec l’Espagne castillane et même avec la France, tant il est vrai que sa version de Noël Nouvelet !, chant de noël en vieux français, disqualifie à jamais toute autre tentative de chanter la naissance du petit Jésus sans niaiserie ni bigoterie.

Grâce à elle, même l’employé de banque le plus médiocre, à l’écoute de All souls night, croit enfin goûter au calme et à la délicate fraîcheur d’une lande irlandaise, au cœur de laquelle l’homme – et la femme aussi – cesse enfin d’envisager l’horizon comme se limitant à quatre dimensions, appliquant à l’extérieur la quadrature que son intérieur étriqué impose à son regard : l’espace redevient infini. Avec Bonny Portmore, le seul repère tangible sur la lande devient l’être aimé que l’on croit – le terme « croire » est malheureusement tout à fait approprié pour cette pauvre Loreena dont le fiancé est mort en mer – que l’on croit voir arriver, disais-je, du fond de l’horizon, ou tout simplement la forêt promise pour son repos à l’aventurier du quotidien : les notes de Loreena sont autant d’arbres sous lesquels on peut enfin se protéger de l’agression de ce soleil de pacotille qui crame les grandes villes. Loreena est cette fontaine intarissable grâce à laquelle on se rafraîchit enfin, loin du bruit et de l’odeur ; mieux, on se lave de l’écume des jours au contact de cette voix à la fois si douce et si mature qui nous ferait oublier celle de notre mère. Comme le disait un grand penseur (Pierre Desproges) à propos d’un autre grand musicien (Paolo Conte), Loreena McKennitt chante : artistiquement, c’est beau ; moralement, comme toutes les insultes à la médiocrité, c’est une bonne action. Allez, kenavo !

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