Mort au plein-emploi, vive le plein-chômage

On sous-estime souvent ses réserves de masochisme. Hier soir,  ma bouteille de blanc et moi-même avons tenté une dernière fois de nous intéresser aux primaires, et ce matin, encore plus maso, j’ai tenté de comprendre sans vin et en vain  en quoi Steve Jobs, qui venait de lancer son application iDead, avait contribué au bonheur de l’humanité que Ségolène Royal promet même aux enfants qui vont à l’école, ce qui fit pouffer ses collègues, mes chats et moi. Enfin, las du fouet de l’actualité, je repris mes esprits à la lecture d’un article expliquant qu’une employée de Pôle Emploi de la région toulousaine entamait une grève de la fin pour protester contre la dégradation du service public de l’emploi.

Et en effet, derrière les primaires, Steve Jobs, et l’interlocuteur unique du chômeur en quête de rédemption sociale, la question du travail ne s’est pratiquement posée que sous son aspect statistique, alors qu’en 2007, la « valeur travail » avait été l’une des clefs de la campagne. Les uns promettent moultes créations de postes, les autres sont érigés en symbole de l’innovation capitaliste, et les derniers voient leurs attributions réduites au fliquage du cheptel d’actifs sans activité. Le travail est pourtant l’un des fondamentaux de la gauche, et personne ne s’est montré trop disert sur l’évolution des activités salariées. La gauche, qu’elle soit molle ou dure, partisane ou syndicaliste,  reste cantonnée à sa vision productiviste et au retour hypothétique de la croissance qui va à rebours de toute logique libertaire et écologique. C’est ainsi qu’on ne manque par exemple pas de s’étonner quand la CGT, pourtant fondée (entre autres) par l’ anarchiste et pacifiste Emile Pouget, pousse les hauts cris quand un fabricant d’armes lance un plan social, au lieu de demander le démantèlement de cette industrie mortuaire. De même, on est surpris de voir certains candidats socialistes appeler au protectionnisme pour réindustrialiser l’Europe plutôt que de faire un effort sur la recherche et l’innovation pour mettre enfin la machine au service de l’homme. La France affiche l’un des taux de productivité les plus élevés du monde, avec un coût du travail les moins élévés des pays occidentaux contrairement à ce qu’affirment les intégristes du Medef et de l’UMP; et plutôt que d’affecter ces gains à la réduction du temps du travail ou à la revalorisation salariale, on mène des politiques d’emploi stupides qui ne consistent qu’à réduire les charges en échange d’une promesse non contraignante d’embauches, ce qui ne conduit qu’à creuser le déficit public. Autant demander à un ogre de faire du baby-sitting sans trop dévorer d’enfants.

De tous temps, la réduction du temps de travail et l’amélioration des conditions de son exercice ont été la plus grande différence entre la gauche et la droite. Il convient aujourd’hui d’y ajouter la composante écologique. Le mythe chrétien de la rédemption et du pain gagné à la sueur de son front a fait long feu. Sur le modèle des Romains qui ont toujours vu dans le travail une activité dégradante, aux 35 heures de Martine Aubry, en passant par Paul Lafargue et son « Droit à la Paresse », par les situationnistes qui inspirèrent Mai 68, par les luddistes et tant d’autres, la gauche serait bien inspirée de jeter aux oubliettes son matériel conceptuel marxiste et productiviste pour l’actualiser à la source des Raoul Vaneigem, Normand Baillargeon, Bob Black et autres briseurs de chaînes salariales qui invitent à la joie de vivre et au glandage assumé. La compétitivité de la France, l’hypocrite développement durable qui n’est qu’une modalité vert pâle du capitalisme, et le sauvetage des banques et des affairistes politiques par le contribuable (et donc par le travailleur et le bénéficiaire des minimas sociaux), on s’en cogne à peu près autant que la taxation des sodas ou que du nom du président de la commission des Finances au Sénat. Même Alain Juppé, qu’on peut difficilement taxer d’être un adepte de Bakounine, assure qu’à production égale on pourrait ne travailler que deux heures par jour, et que la pression du salariat (et du chômage) n’est qu’une instance de contrôle des velléités révolutionnaires qui sommeillent en chacun. Une gauche qui se veut moderne devrait donc militer pour une société ludique et savante plutôt que de promettre de renvoyer tout le monde au bureau ou à l’usine. On espère donc que si le prochain Président (ou la prochaine Présidente) de la République est issu(e) des rangs du PS, il ou elle aura le bon goût de supprimer le droit au travail de la Constitution pour renforcer le droit du travail.

Dans un prochain épisode, nous encouragerons également les compétiteurs de la primaire à abolir le droit de chasse du même texte. On se demande bien comment c’est possible que ça existe encore.

 

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