Pâtés de campagne (2)

Tiens, revoila l’insécurité! Pour les néophytes en communication politique, l’insécurité est le signe le plus flagrant qu’une campagne électorale a commencé. Pour la repérer, rien de plus simple: installez-vous devant votre poste de télévision aux alentours de 20 heures. Usuellement, les faits divers se résument à quelques équarissages de jeunes filles en terrain vague, ou à de modestes expériences de cryogénisation de bambins par de jeunes mères plus attirées par la joie de la découverte que par l’allaitement quotidien d’une baudruche criarde. Mais par une mystérieuse conjonction astrale, à environ un an de chaque élection présidentielle, les habitants des quartiers qu’on appelle les jeunes quel que soit leur âge, sont pris d’une étonnante rancoeur à l’encontre du personnel policier, des personnes âgées, et du mobilier urbain, se muant en hordes de sauvages prêts à brûler, piller et violer pour quelques grammes de drogue, le tout sans jamais perdre leurs casquettes. C’est ce qu’en langage technique on appelle la racaille (ou le sauvageon, en fonction des différentes écoles d’anthropologues du ministère de l’Intérieur), et seul un nettoyage au Karcher peut les ramener à la raison et au calme républicain sans lesquels il n’est pas de bonheur terrestre possible.

On avait autrefois coutume de distinguer la gauche et la droite sur le sujet de l’insécurité par l’ordre dans lequel étaient distribués la parole et le coup de trique, la gauche privilégiant la prévention et la proximité avec les étranges tribus racailles, la droite cognant d’abord et discutant ensuite, l’extrême droite se contentant de cogner et de baver. Ces manières archaïques n’ont aujourd’hui plus lieu d’être: comment sauver la Patrie de la crise si l’on privilégie la réhabilitation de l’environnement de ces barbares alors que notre réseau autoroutier et notre parc nucléaire, sans lesquels il n’y a toujours pas de bonheur possible, souffrent de disette et d’anémie? Ainsi, à Marseille, les préfets et les faits divers se succèdent depuis trois ans au même rythme que les fluctuations de la masse pondérale d’André Pierre Gignac, célèbre footballeur qui a beaucoup oeuvré pour l’économie de la restauration et qui compense avec bonheur les pertes fiscales dues à l’abaissement de la TVA. Martine Aubry s’est donc rendue dans la cité phocéenne pour faire d’une pierre deux coups: venger la fierté de son Nord Pas de Calais insulté par l’ignoble « Bienvenue chez les Ch’tis », et défier Claude Guéant sur le terrain de l’insécurité qui fait pleurer la Bonne Mère qui commence à envisager de voter encore plus à droite que d’habitude.

Et puisqu’une campagne ça commence par des promesses, l’ancienne première secrétaire a cru bon de promettre de redéployer les 13000 policiers partis on ne sait où à cause de la pingrerie de l’occupant actuel de l’Elysée, et de faire en sorte que Marseille devienne un havre de paix où le flower power et le patchouli remplaceront la guerre des gangs et le racket organisé, et où « Plus belle la vie » ne sera plus une fiction pour adultes en retard de développement mental mais une réalité concrète accessible à tous, tenant du même coup sa promesse de doubler le budget de la Culture lors du dernier festival d’Avignon. Enfin, la gauche redevient la gauche et nous donne envie de rêver à des lendemains qui chantent, où le mafieux repenti, le footballeur obèse, le jeune de la banlieue nord et le modeste retraité s’en iront main dans la main célebrer leur nouvelle amitié, du Ricard et de l’amour plein le coeur, en roucoulant des pagnolades au son des cigales qui chanteront l’Internationale.

Pour notre part, nous préfèrerions que Mme Aubry, au lieu de nous faire un remake gluant de la pathétique Amélie Poulain sur le Vieux-Port, se penche un peu plus sérieusement sur le cinéma belge et commence à s’attaquer à la merditude des choses. Parce qu’à force de jouer avec l’insécurité quand on n’a que l’embarras du choix sur les disciplines où le gouvernement a affiché une ostentatoire nullité, on va encore avoir deux candidats de droite plus ou moins extrême au deuxième tour, et cette fois il ne faudra pas compter sur moi pour sauver la République.

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