POULET DE PRESSE spécial 1980’s

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Vous l’avez compris, le thème de notre webzine, aujourd’hui, est plutôt « vintage » ; je n’ai pas voulu faire bande à part, d’où cette compilation de rubriques d’époque. Et oui, saviez-vous que je faisais déjà le « poulet de presse » au début des années 1980 ? C’est d’autant plus méritoire que je suis né en 1988… Bon, prêt pour le voyage dans le temps ?

Libération (12/04/1980) : Il est décidément loin, le temps où le giscardisme pouvait encore prétendre moderniser la France. Comme le fait remarquer Guy Hocquenghem, la nouvelle loi sur le viol grave dans le marbre la notion de « contre nature » pour qualifier les relations entre personnes du même sexe : « pour les mêmes faits, les homosexuels sont plus gravement condamnés que les hétérosexuels et la « Minorité sexuelle » en ce cas dure jusqu’à la minorité légale de 18 ans (quinze ans pour les relations hétérosexuelles) ». C’est à l’affreux Jean Foyer, ex-ministre de la justice, que l’on doit d’avoir arraché à l’Assemblée ce recul d’autant plus grave qu’il va directement à rebours du programme que doit constituer pour toute démocratie digne de ce nom la déclaration des droits de l’Homme : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Apparemment, les fossiles au pouvoir se refusent à inclure les homosexuels parmi les hommes, et on peut imaginer qu’il en va ainsi autant parce qu’ils restent enlisés dans leurs préjugés moyenâgeux que parce qu’ils veulent fidéliser l’électorat de la France profonde : les homosexuels n’obtiendront de reconnaissance officielle que si une nouvelle génération prend le pouvoir et si les dirigeants de demain sont animés par davantage de courage politique que leurs prédécesseurs…c’est quand même malheureux que des êtres humains doivent encore attendre pour être pleinement considérés comme tels par les institutions, non ?

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Charlie hebdo n°507 (30/07/1980) : J’ai cru comprendre que les ventes de l’hebdomadaire « bête et méchant » seraient en baisse, ce qui expliquerait la présence désormais régulière dans ses pages de Siné et de Coluche, qui ont été appelés à la rescousse par la bande à Charlie ; il n’y a pas de justice, car l’équipe est fidèle à elle-même, dans sa sauvagerie, son irrévérence, sa férocité, sa lucidité et son humour, qualités que ne fait que rehausser la participation des deux trublions géniaux cités plus haut. Il souffle sur les pages de Charlie hebdo un tel souffle de vie rabelaisienne que l’on a peine à croire qu’il ait du mal à se vendre aujourd’hui ! Enfin, ce n’est peut-être qu’une mauvaise passe, les éditions du Square ont connu des périodes bien plus pénibles au cours de leur histoire… Évidemment, la mort du Chah d’Iran n’a pas manqué d’inspirer les joyeux lurons du journal, depuis la « une » géniale, comme toujours, de Gébé (« Les tueurs du Chah lésés, le cancer touche la prime » !) jusqu’à la chronique de Cavanna en passant par les « couvertures auxquelles vous avez échappé » qui sont consacrées à l’événement pour les trois quarts d’entre elles. Cela dit, j’ai été tout particulièrement marqué par la « semaine de tourisme ordinaire » en Tunisie racontée par Sylvie Caster ; tenez, je vous en cite un passage : « Tous les soirs à la télévision, on a droit à une demi-heure de Bourguiba. (…) Bourguiba, c’est un peu leur De Gaulle. L’homme de l’indépendance. Seulement un De Gaulle qui aurait tenu le rôle presque trente ans. (Déjà dix, on disait assez.) Et qui vit sur son image de Combattant Suprême comme un rentier sur sa rente ». En lisant ça, il est permis de se demander si les Tunisiens oseront un jour secouer le joug sous lequel ils vivent, et on ne peut qu’y répondre qu’on l’espère sans trop y croire…

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Libération (7/11/1980) : Libération a dressé un portrait de Michel Chevalier, le bourreau de la République, l’exécuteur des basses œuvres de la société giscardienne. Dans le civil, c’est un sexagénaire paisible, un ouvrier d’imprimerie en paix avec sa conscience, et c’est précisément cette paix qui l’habite qui le rend, finalement, assez monstrueux ; en effet, il déclare notamment : « Oh ! Moi, vous savez, je ne suis qu’un instrument, j’obéis aux ordres ». Il avoue ainsi qu’il ne prend absolument pas la peine de penser par lui-même : il a échangé sa dignité d’homme contre l’apport financier que lui apporte sa tâche d’exécuteur, et c’est pourquoi sa défense nous fait irrésistiblement penser à celles des dignitaires nazis jugés à Nuremberg… D’autre part, quand on lui demande si ça lui fait quelque chose de couper la tête d’êtres humains, il répond : « Pas du tout ! Vous croyez que ça leur fait quelque chose quand ils tuent des enfants ? » Là, c’est encore plus grave : il n’en a sûrement pas conscience, mais il se met sur le même plan que les assassins qu’il exécute ! En justifiant son absence de remords par l’absence de remords qui, selon lui, habiterait les meurtriers condamnés, il met en valeur l’incohérence fondamentale de la société qui est incapable de répondre à un crime autrement que par un autre crime, restant engluée dans l’idée suivant laquelle certains individus seraient absolument impossibles à corriger, ce qui est évidemment faux, aucun homme n’étant incapable d’évoluer d’une manière ou d’une autre… Le bourreau est le miroir de la France profonde, celle qui confond la justice avec la vengeance et sur laquelle une argumentation raisonnée en faveur du progrès moral glisse comme sur une toile cirée. C’est pas gagné pour la gauche, avec ça…

Charlie mensuel n°139 (Août 1980) : Le prix de vente de Charlie mensuel a augmenté, hausse justifiée par les quarante pages en couleurs qu’il compte. « De toute façon, Charlie est un luxe » comme le fait observer dans son édito Wolinski, le rédacteur en chef de cette revue qui, effectivement, publie ce qui se fait mieux aujourd’hui en matière de bande dessinée ; je craque pour la « chronique rétro » pleine de classe dont nous gratifie Mériaux, mais je suis décidément indécrottable puisque ce que je vais voir en priorité dans ce mensuel est la B.D. déconnante à souhait de l’ingérable Charlie Schlingo, plus allumé que jamais pour poursuivre les aventures de Désiré Gogueneau. Ce journal est plein de B.D. au graphisme léché et écrites par des gens cultivés et intelligents, et je préfère les conneries bâclées d’un débile qui passe son temps au bistrot ! Y a pas de justice ! Du coq à l’âne, ce numéro propose aussi un reportage au festival international de science-fiction de Metz signé Théophraste Epistolier, pseudonyme sous lequel se cacherait un certain Yves Frémion que notre vaillante cité lorraine n’enchante guère : « Metz, ville assez sinistre si l’on ne prend pas le temps de regarder ce qu’il y a de bien, offre des quartiers qui sont de la S.-F. en volume, où l’on voit des ruines rafistolées dans les cours des HLM et de façades ravalées sur des immeubles neufs. Si l’inexistence architecturale existe quelque part dans le monde, c’est à Metz. C’est tellement nul et crétin que c’en devient sublime : on déambule comme à Hollywood entre les décors truqués de films jamais tournés, mais dans lesquels les gens vivent leur rôle, sans spectateurs. » Désolé pour votre esprit de clocher, les Messins ! Il va de soi qu’on laissera à ce monsieur la responsabilité de ses propos.

Le nouvel observateur n°847 (2/02/1981) : Le nouvel obs tire littéralement à boulets rouges sur Giscard, l’appelant sans équivoque « l’homme qui voulait être roi » ; il y est surtout questions de style, l’accent est mis sur le fait que VGE, qui nous avait promis la rupture et une façon de gouverner proche du peuple, joue finalement les omniprésidents, accentuant la dérive monarchiste qui caractérisait déjà la Ve République sous ses prédécesseurs, alourdissant le protocole suranné dont il semblait ne faire aucun cas après son élection, ne laissant aucune marge de manœuvre aux parlementaires et aux ministres, n’acceptant aucun dialogue avec l’opposition, profitant de son statut pour préparer déjà l’avenir de ses enfants et arroser ses proches…bref, Giscard marche délibérément dans les pas de Louis XV : je ne peux pas m’empêcher de trouver son attitude complètement dépassée et même déplacée (belle figure de style, où vais-je chercher tout ça), étant donné l’état actuel du pays qu’il prétend diriger. Il se voulait moderne en abaissant la majorité légale à 18 ans et en légalisant l’avortement, il est devenu encore plus désuet que ne l’était De Gaulle ! Son temps de réformateur est passé, il n’a plus qu’à pourrir sur place, tels les gérontes du parti communiste d’URSS, et s’il est battu en mai prochain (ce que j’espère sans trop y croire), il faudra souhaiter que la parenthèse giscardienne aura servi de leçon aux Français qui n’éliront plus jamais un président aussi tyrannique, méprisant, sûr de lui et, de surcroît, incompétent ! La rubrique « on en parlera demain », braque les projecteurs sur Jospin, qui tient les rênes du P.S. pendant que Mitterrand est en campagne : apparemment, ce serait un homme droit, calme, sérieux et travailleur. Il ferait un bon premier ministre, mais comme il ne paie pas de mine, je vois pas quel président pourrait le nommer. Dommage… Dans la même rubrique, il est aussi question de Chirac qui part lui aussi en campagne : je ne vois pas l’intérêt de se pencher sur ce bouffon qui n’ira sans doute jamais plus loin que la mairie de Paris ! On nous signale aussi une « gaffe » qu’aurait faite la C.G.T. en publiant une plaquette intitulée « relations économiques entre la Pologne et la France, et rôle des syndicats » au moment même où les syndicats polonais non-communistes, et notamment Solidarnosc, obtenaient enfin un statut ! D’un autre côté, je ne vois pas pourquoi la C.G.T. aurait du souci à se faire : il est fort probable qu’il ne s’agisse que d’une embellie passagère et que la chape de plomb communiste soit encore en Pologne pour mille ans…enfin, on connait clairement, au moins, les choix idéologiques du syndicat ! Le nouvel obs évoque aussi cet inconnu appelé « Lula » qui s’imposerait déjà comme un leader syndicaliste indépassable dans le cadre de la lutte contre la dictature : on verra bien si on parlera encore de lui dans trente ans… Cela dit, je suis indécrottable : dans le tas, il n’y a que les pages de Reiser et de Delfeil de Ton que j’aime vraiment ! S’intéresser plus à l’humour qu’à la politique… J’espère que les camarades ne m’en voudront pas !

Pif-gadget n°620 (10/02/1981) : ll y a toujours eu à boire et à manger dans Pif-gadget ; depuis que Greg, Mandryka, Gotlib, Tabary et Cézard n’y paraissent plus, les quatre premiers parce qu’ils ont connu la carrière que l’on sait et le dernier parce qu’il est mort depuis quatre ans, mes chouchous dans ce magazine pour jeunes sont définitivement Turk et De Groot, créateurs de Léonard, Poirier, qui a inventé le genre « comics à la franchouillarde » avec son Supermatou et Yannick qui a fait du matou Hercule le héros à part entière de gags dignes de Gaston Lagaffe. L’aventure de Pif ? Je la trouve d’une platitude insondable : les successeurs d’Arnal, en voulant moderniser le personnage, lui ont ôté tout le charme qui lui donnait son intérêt quand il était encore animé par son créateur. Reprendre une série inventée par un autre, c’est souvent une fausse bonne idée… Le gadget ? C’est bien sympa, le « tourne-boule », mais c’est quand même moins spectaculaire que les pifises, les pois sauteurs, l’appareil photo et le sous-marin, pour ne citer que les plus marquants… Un numéro convenable, mais qui ne marquera pas durablement l’histoire du journal, quoi !

Libération (15/05/1981) : Une anecdote amusante dans Libé : un de ses journalistes avait tenté de piéger un possédant voulant cacher son argent en Suisse avant que le grand méchant socialiste ne le lui prenne. Pour se faire, il avait passé dans Le Figaro une annonce proposant de transférer de l’argent au noir à l’étranger, manque de pot, le premier possédant à s’être présenté était lui-même un journaliste d’Antenne 2 qui voulait piéger l’un de ces passeurs de fonds clandestins ! L’arroseur arrosé, en somme… Comme quoi, en se généralisant, les méthodes de mystification journalistique, tout en ayant leurs mérites, risquent de se télescoper, ce qui n’est pas la moindre de leur limites.

Mords-y l’œil n°5 (juin 1981) : C’est quand même un bel objet, ce nouveau mensuel des éditions du Square : 48 pages de dessins en pleine page et en couleurs ! Couleurs assurées par l’inexpugnable et génial Siné qui, assurant la mise en page du périodique, doit peut-être se rappeler l’époque où il a dirigé Siné-massacre puis L’enragé… Après les quatre numéros « spécial élections », Mords-y l’œil s’attaque à un autre vieil ennemi de la bande à Charlie, la religion ; le ton est donné en couverture avec le titre « la secte de Jean-Paul II » et le dessin de Wolinski représentant le Pape mal rasé, clope au bec et se servant un verre de vodka en disant « Dieu est Amour ou je cogne ! » Tout le reste est à l’avenant : un anticléricalisme pas si désuet que ça, puisque Jean-Paul II, comme le rappelle Cavanna dans son édito, est déjà le Pape qui aura mis fin aux années durant lesquelles l’Église a essayé de « coller » au monde moderne : retour en force de la bigoterie moyenâgeuse au programme avec son cortège de discours culpabilisants et de bondieuseries gnan-gnan à souhait… Cavanna explique aussi, en ouverture de son article, que le numéro avait été bouclé avant l’attentat dont Jean-Paul II a été victime, et qu’il n’y est donc pas fait allusion, ce qui est plutôt positif puisque « une pitié parasite ne vient pas perturber notre saine détestation de ce qu’est un pape en état de marche ». Allez-y, les gars, à bas la calotte ! Vivement Mords-y-l’œil n°6 !

Paris match n°1694 (13/11/1981) : Pour une fois, il y a quelqu’un de bien à la une de Paris match ! Manque de pot, c’est parce qu’il est mort… En quelques photos, l’hebdomadaire relate la vie de Brassens, vie que l’on connait mal, tant le chanteur avait su la protéger jusqu’au bout : c’est à son enterrement que l’on a enfin su qui était sa compagne, laquelle n’a effectivement pas eu besoin d’oignons pour verser des larmes. De toute façon, sa vie, de même que celle de Corne d’auroch, n’avait pas été originale : quelques peccadilles dans sa jeunesse, le STO puis la fuite sans entrée dans la résistance, un peu de militantisme pour des valeurs auxquelles il est resté fidèle sans jamais pour autant appeler au combat (« mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente ») et enfin le succès, obtenu sans le vouloir, puis les amis, les chats, etc. Rien de très original, ce qui n’est pas si étonnant : le poète n’avait pas cherché à vivre publiquement par un autre biais que celui de ses chansons – il a d’ailleurs été en grande partie poussé par ses proches pour les chanter en public ! – et n’a donc jamais joué le jeu du show-bizness sans pour autant cultiver la marginalité outrancière, ce qui est à son honneur, pas plus qu’il n’a pris part, individualiste forcené (« le pluriel ne vaut rien à l’homme), aux événements politiques. En fin de compte, pour vraiment connaître Brassens, il faut avoir compté parmi les amis, chance qu’a eue Jean-Pierre Chabrol dont l’article de trois pages et demi (bizarrement paginé, au demeurant, par Paris Match puisqu’il faut sauter quarante pages du magazine pour en lire la fin !) nous en apprend infiniment plus sur le chanteur que tout le reste du dossier… Par pure bonté d’âme, je ne ferai pas de commentaire de l’article « les taupes du PC » où Jean Cau repousse encore plus loin les frontières de la connerie : n’ayant manifestement toujours pas digéré l’élection de Mitterrand, il est à deux doigts de nous dire que les ministres communistes mettent les chars russes aux portes de Paris ! J’ai beau penser sincèrement que Marchais est un craignos, je ne vais pas virer parano pour autant !      

Hara-Kiri n°243 (Décembre 1981) : La revue « bête et méchante » n’a plus sa superbe des années 60-70 : l’équipe nous avait habitué à des couvertures plus grandioses que celle qu’elle nous propose ce mois-ci, « le père poubelle va passer » : quand on sait que Cavanna a horreur des jeux de mots, on comprend un peu mieux pourquoi il ne participe plus au mensuel et se cantonne à assurer la rédaction en chef Charlie heb…pardon, de L’hebdo Hara-kiri ! L’hebdomadaire n’arrête pas de changer de nom, ces derniers temps, on s’y perd complètement ! Du côté des romans-photos, ce n’est pas beaucoup mieux : l’épisode de la série « Professeur Choron : réponse à tout » a un scénario un peu trop confus que ne sauve pas la présence d’Alain Bashung parmi les acteurs ; Wolinski nous manque, le duo Gourio-Vuillemin n’est pas vraiment à la hauteur. Le roman-photo, ce n’est pas trop son truc, à Gourio : je le verrais mieux faire des livres ou écrire pour la télé. Cela dit, je pinaille : ces petites déceptions mises à part, l’équipe fait toujours autant preuve de talent pour secouer le cocotier de la connerie humaine : aux côtés d’une vieille garde fidèle au poste (Choron, Reiser, Gébé, Delfeil de Ton, Willem, Cabu, Wolinski) et faisant toujours preuve du même talent pour la bonne grosse dérision, des collaborateurs plus « récents » tels que Gourio (pour ses photos détournées), Vuillemin (pour ses B.D.), Hénin Liétard, Gérôme, Copi, Hugot et les autres devraient pouvoir permettre à Hara-Kiri de connaître un bel avenir : espérons donc qu’ils ne se laisseront pas aller et que les lecteurs leur resteront fidèle, car la disparition de ce journal serait une perte irréparable pour l’humour en France.

Le Monde (1/01/1982) : Ne souhaitez pas une bonne année à un polonais, il croira que vous faites de l’humour noir. La façon dont les fêtes de fin d’année ont été célébrées à Varsovie m’ont confirmé que, n’en déplaise au camarade Marchais, les militaires sont tous les mêmes, que leur drapeau soit rouge, blanc ou noir ; le reporter du Monde énumère les signes qui nous mettent bel et bien en présence d’un putsch militaire où le retour à l’orthodoxie communiste n’est qu’un prétexte pour que les soudards puissent se défouler en donnant libre cours à la belle aisance sauvage que donne la toute-puissance : « On a, devant des familles terrifiées et en larmes, défoncé des portes d’appartements, arraché des hommes mêmes malades à leur lit pour les jeter, bien souvent en pyjama, dans des fourgons, puis des cours de prison, par une température de -15 degrés. On a frappé ceux qui criaient pour alerter les voisins qu’on s’apprêtait à aller chercher ensuite. On a, dans la plus sinistre des traditions, « confié » des enfants dont les deux parents étaient arrêtés à des orphelinats, arrêté des familles entières, celle de M. Kuron par exemple. On a tout simplement arrêté, et il suffit de dire cela, des hommes (…) dont le seul tort était d’avoir voulu, sanas jamais violer une loi pourtant imposée, sans jamais avoir recouru à une quelconque forme de violence (…) plus de liberté. » Ce qui frappe, dans cette description, c’est son caractère universel : elle convient parfaitement à n’importe quelle situation où les militaires prennent le pouvoir par la force au mépris de toute légalité et tapent sur tous ceux qui ne rentrent pas le moule : dites-moi quelle différence fondamentale il y a, abstraction faite de la quantité de sang versé, entre la Pologne actuelle et le Chili de Pinochet durant ses heures les plus noires ? Il faudrait être pervers pour en trouver une : que ce soit sous pavillon américain ou sous pavillon soviétique, l’humanité est bafouée dans ses fondements les plus sacrés de sa dignité. À genoux les damnés de la terre !

Libération (6/01/1982) : Un article d’Eric Conan fait le point sur ce que l’on sait déjà – c’est-à-dire pas grand’ chose – sur le cancer mystérieux et inquiétant qui frappe actuellement les homosexuels américains ; voilà un syndrome qui nous promet des discours bien sentis de prédicateurs timbrés présentant cette maladie comme la punition divine infligée aux gays ! Cela dit, je ne suis pas scientifique, mais je ne vois pas pour quelle raison biologique les hétérosexuels seraient, à plus ou moins long terme, à l’abri de ce mal ! En attendant, ce n’est pas parce que les malades sont homosexuels que les chercheurs doivent se désintéresser de la question car les effets de ce cancer sont tout simplement atroces : « une pneumonie grave (pneumonie pneumocystis) et un cancer de la peau (le syndrome de Kaposi), le tout complété par une diminution des défenses immunitaires qui laisse le champ libre à toute une série d’infections qui profitent de l’occasion (virus, parasites…). » C’est affreux, non ? D’autant plus qu’il n’y a pas intérêt à ce que l’on prenne l’affaire à la légère : si on ne découvre pas assez vite comment le mal se transmet, l’humanité entière pourrait être menacée ! Bon, je panique peut-être un peu vite : si ça se trouve, dans cinq ans, on n’y pensera déjà plus !  

Fluide Glacial n°hors-série (mars 1982) : Lob et Gotlib, les deux créateurs de Superdupont, nous ont troussé un numéro spécial du mensuel d’umour et bandessinées entièrement dédié à leur super-héros 100% français : au programme, cinq histoires complètes scénarisées par les deux compères, dont une nous racontant (enfin !) les origines de Superdupont, magnifiquement illuminée par le génial Goossens, et une autre revenant sur l’amour impossible entre le super-héros et Georgette, dessinée par Solé, dessinateur « titulaire » de Superdupont depuis la mort prématurée d’Alexis il ya cinq ans. S’ajoutent à ce bouquet d’aventures à ne pas prendre au sérieux quelques textes et B.D. où divers collaborateurs plus ou moins réguliers de Fluide nous offrent leur vision, plus ou moins parodique, du personnage. La cerise sur le gâteau constitue le cahier de huit pages en couleurs (si, si !) avec de magnifiques dessins signés Neal Adams, Goetzinger, Solé, Tardi, Pichard, Mézières, Bilal et Forest. Même le grand Franquin nous a offert sa vision de Superdupont ! Ce hors-série semble confirmer que Fluide, après les inévitables tâtonnements des premiers numéros, a trouvé son style : si, dans une trentaine d’année, il existe encore et emploie toujours des talents tels que Binet, Léandri, Édika, Goossens, Solé et Coutelis, on pourra parler d’une réussite éclatante !

L’Express (11/06/1982) : Michel Braudeau nous fait un compte-rendu enthousiaste du concert des Rolling Stones à Rotterdam ; je ne doute pas que les membres du groupe, bien que déjà quadragénaires, soient restés des bêtes de scène, même si je ne suis pas un fou de leur musique. Braudeau n’a pas pu s’empêcher de terminer son article avec une citation du regretté John Lennon : « La chose extraordinaire n’est pas la disparition des Beatles ; c’est au contraire que les Stones soient toujours là. » En même temps, rien ne peut nous garantir que ça va durer longtemps : si, dans une vingtaine d’année, les Stones tournent toujours et sont toujours des stars mondiales, on pourra parler de miracle !

Zembla n°331 (août 1982) : J’avoue, je me suis laissé tenté par cette B.D. de gare quand j’ai vu  la fille dont l’ersatz italien de Tarzan saisit le bras sur la couverture. Il paraît que les éditions Lug n’auraient plus que des rééditions de Zembla à nous proposer, ce qui expliquerait à quel point la lecture de l’épisode Les femmes singes me fait apparaitre le « seigneur de la forêt et de la savane » (quelle modestie !) comme un héros du passé, non seulement pour l’indigence incommensurable du scénario – j’ai tout compris en le lisant plus vite que la musique, j’ai même sauté quelques pages sans que ça ne perturbe la lecture ! – mais aussi parce que la seule chose dont on retiendra de l’histoire est qu’il est dans l’ordre des choses fixé par les lois de la nature que les hommes dominent les femmes… Voilà un cas où les bien-pensants toujours prompts à traquer le sexe et la violence dans les publications pour la jeunesse ne crient pas au scandale ! Bah, si je me contente de regarder la plastique des femmes-singes telles que le dessinateur les a représentées, je pourrai ne pas regretter complètement mon argent ! Maigre consolation, je sais…

En parlant de belles filles...

Le Monde (21/09/1982) : Dominique Pouchin n’a pas été avare de détails particulièrement sordides pour nous dépeindre la boucherie de Sabra et de Chatila, mais je pense, paradoxalement, que c’est salubre. En effet, quand des centaines de personnes se font massacrer loin de chez nous, c’est souvent, pour beaucoup d’entre nous, trop abstrait pour que nous puissions saisir l’horreur de ce que ça représente. En plus, notre vision du conflit au Proche-Orient est parasitée par les prétextes ethniques et religieux (ce sont TOUJOURS, peu ou prou, des prétextes) que se donnent les combattants. On ne peut que féliciter le journaliste pour la crudité avec laquelle il nous fait mettre les mains dans le cambouis de la folie des hommes : « L’agonie d’une famille entière, entassée sous les roues d’une charrette, à deux pas de ces deux chevaux gris abattus avec elle. Le plus vieux, crâne ouvert à la hache, le plus jeune, dont la jambe arrachée, traîne sous un tas de pneus. Ces deux gosses enlacés, tête enfouie dans l’épaule l’un de l’autre, comme pour ne pas voir la mort. L’agonie du couple égorgé qui gît au milieu de son dernier repas. L’agonie de ces hommes, couchés, roulés au bas d’un mur grêlé par la mitraille. Et de ces autres, pêle-mêle, écrasés sous les roues d’un camion. De ce vieux égorgé comme son porc. » J’arrête là par pudeur, d’autant que cela suffit à montrer que savoir que les victimes étaient palestiniennes et leurs agresseurs libanais (probablement pilotés par Israël) n’enlève ni n’ajoute rien à cette horreur que rien ne peut légitimer, surtout pas les fanatismes plus ou moins crasseux au nom desquels on se bat dans cette région du monde… Verra-t-on un jour la fin de ce conflit ?

Pilote n°104 (janvier 1983) : Il y a quelques années, le « phénomène E.T. » aurait inspiré à l’équipe d’humoristes dirigée par Goscinny et Charlier une flopée de pages toutes plus marrantes les unes que les autres : d’accord, la couverture de Solé est superbe, le dossier de six pages sur le sujet est sympathique et bien mené, mais l’époque héroïque des pages d’actualités de Pilote est derrière nous, nouvelle parution mensuelle oblige, et le grand Goscinny nous a quitté il y a six ans ! Ça pourrait être triste, mais c’est un peu à ce prix que le journal a su rester dans le coup et continuer à vivre, ce dont on peut que se réjouir au vu des merveilles qu’il publie aujourd’hui : pour ne citer que mes préférés, Lauzier nous livre la fin des aventures peu glorieuses de Michel Choupon, un inconnu appelé Baru nous propose quatre planches d’une grande virtuosité, Tartempion continue à nous faire rire avec son « homme au chapeau mou » de même que Veyron avec son Bernard Lhermite, sans oublier Gibrat et Berroyer, Régis Franc, F’murr Bilal et Christin et, cerise sur le gâteau, le génial Desproges, qui nous fait part, avec sa verve habituelle, de son antipathie pour les coiffeurs. On devrait appeler sa rubrique « chroniques de l’intolérance ordinaire » (j’ai beau me creuser, je n’arrive pas à trouver plus percutant…) Bref, longue vie à Desproges et, surtout, longue vie à Pilote !

Fluide Glacial n°80 (février 1983) : Et encore Superdupont ! Fluide a deux bonnes raisons de mettre le super-beauf de Gotlib et Lob à l’honneur ce mois-ci : non seulement le spectacle orchestré par Jérôme Savary, mais aussi, et là réside le caractère événementiel de ce numéro, l’histoire en douze planches dessinées par Neal Adams ! Pour la première fois, le super-héros 100% français bénéficie des services d’un vrai dessinateur de comics américain, un spécialiste du genre que ses aventures sont censées parodier, et non des moindres, s’il vous plait, le talent d’Adams étant unanimement reconnu grâce à son traitement de personnages tels que Green Lantern, Deadman et, bien sûr, Batman. Le résultat est proprement époustouflant, l’histoire, dans laquelle Superdupont vient en aide à ses collègues américains dans le seul domaine où ils avouent leur incompétence, à savoir l’œnologie, est une merveille de bout en bout : tout le savoir-faire de Neal Adams est au rendez-vous ainsi que le sens de la dérision des deux géniteurs du « champion des Français » ! Ça valait le coup d’attendre puisque, comme nous le signale Gotlib dans son éditorial, Adams a rendu les pages avec quinze mois de retard ! Le même Gotlib préfère d’ailleurs en rire, rappelant que « les dessinateurs sont toujours à la bourre !… Pour un Français, c’est généralement une petite quinzaine… un mois maxi. Mais les Américains, vous savez ce que c’est. Faut toujours qu’ils fassent tout en grand ! » 

Le Télégramme (24/02/1982) : Tenez, écoutez cette nouvelle qui nous vient de Vannes : « Une religieuse se la communauté des Filles de Jésus, Yvonne Le Ray, se présente aux élections municipales sur la liste de gauche emmenée par Michel Ollivier, et sous l’étiquette du Parti communiste » En adhérant à un parti dirigé par un mec qui « croit que Varsovie est dans la banlieue de Moscou » pour reprendre le bon mot du procureur Desproges au tribunal des flagrants délires, cette dame ne fait pas preuve d’une solidarité démesurée envers les catholiques polonais pour lesquels la religion est un rempart contre l’oppresseur ! Et surtout, le parti communiste français ne fait pas preuve d’une intégrité politique à toute épreuve : le communisme est athée, oui ou non ? Apparemment, les camarades sont prêts à faire une exception quand les culs-bénits peuvent leur rapporter quelques voix : on a beau être communiste, ‘faut pas oublier le clientélisme, hein ? D’un autre côté, le christianisme et le communisme ont ceci de commun que des centaines de milliers, voire des millions, d’innocents ont été tués en leur nom : entre idéologies mortifères, on se comprend !  

Spirou album+ n°6 (mars 1983) : Spirou est un journal à bonnes surprises : dans le numéro spécial publié à l’occasion des 45 ans de l’hebdomadaire, se distinguent, au sein de l’inévitable concert d’hommagesplus ou moins ironiques, deux histoires où le héros fétiche du journal est un peu malmené, qui plus est, et c’st le comble, par des auteurs qui ont eu le privilège (douteux, si l’on en croit Franquin) de l’animer ! Ainsi, Tome & Janry, qui racontent ses aventures depuis deux ans, narrent l’enfance de Spirou et nous apprennent qu’il n’était pas toujours un petit garçon modèle ; ce serait une bonne idée d’en faire une série, qu’en dites-vous ? De son côté, le prolifique Cauvin, qui a lui aussi écrit quelques albums de Spirou (qu’il vaut mieux oublier) a mobilisé tous ses personnages et leurs dessinateurs respectifs pour nous offrir trois planches où Spirou finit dans un état second… Les héros parfaits ont fait leur temps !    

Libération (27/07/1983) : Toute l’absurdité de l’Apartheid éclate en Afrique du Sud avec le cas de Lize Venter, ce bébé abandonné que la police déclare métisse en vertu de l’aspect actuel de ses quelques cheveux de petite fille âgée de seulement quinze jours : « Dès lors, Lize devrait quitter l’hôpital et seul des métis pourraient l’adopter – et, éventuellement, plus tard, l’épouser. Déclarée métisse, elle perdrait du coup le droit de vote à sa majorité, avec bien d’autres droits, et se verrait assignée certaines zones d’habitation et certains types d’emplois. » Non mais vous vous rendez compte ? On se base sur l’état des cheveux d’un bébé qui n’a même pas un mois pour la déclarer issue de tel ou tel groupe ethnique et, pire encore, cela suffit à ce que toute sa destinée soit déjà programmée ! Quid de la capacité d’innovation radicale propre à tout être humain ? Schmoll ! « Naissez, on s’occupe du reste » ! Et quid du fait qu’un bébé n’annonce jamais, physiquement parlant, l’adulte qu’il sera plus tard ? Bernique ! Les souliers à clous font dire ce qu’ils veulent à la science ! Et quid tout simplement du fait que tous les hommes sont de la même espèce, quelle que soit la couleur de la peau ? Mais là, c’est l’intégralité de ce système médiéval qu’est l’Apartheid qui est en cause.  

Rigolo ! n°3 (octobre 1983) : Deuxième…enfin, plutôt troisième, vu que le premier numéro était un numéro double ! Deuxième opus, donc, du petit frère de Métal hurlant, le mensuel d’humour des Humanoïdes associés. Satisfecit pour Rigolo ! n°3, qui ne contient aucune page de qualité médiocre, à l’exception peut-être de celles de cet inconnu qui signe Karl Zéro : en voilà un qui n’ira pas loin et dont on parlera plus guère dans dix ans ! Pour le reste, tout ce que la profession peut compter de meilleur s’est donné rendez-vous pour ce périodique jubilatoire : Jano, Charlie Schlingo, Willem, Goossens, Ben Radis, Jeanne Folly, sans oublier l’incontournable Margerin qui, en sa qualité d’amoureux de la moto, trouve un thème sur mesure pour lui dans ce numéro « spécial deux roues ». Cela dit, les pages qui m’ont le plus marqué sont celles où Peter Pluut et Bert Decorte nous rapportent un épisode de « la jeunesse de Richarc Crèvecoeur » : vous avez sûrement déjà lu le récit des premiers émois d’un jeune garçon s’esbaudissant devant la beauté d’une femme plus mûre, maîtresse d’école ou autre ? Les deux compères ont pris le contre-pied de cette trame qui est presque déjà un cliché puisque c’est la brune et pulpeuse mademoiselle Lolo, libraire de on état, qui s’avoue troublée pour le petit Richard, lequel ne s’intéresse qu’aux aventures de son héros de B.D. préféré… Avoir un tel sex-appeal et ne pas s’en rendre compte, il n’y a pas de justice ! En tout cas, bravo à l’équipe de Rigolo !, notamment à son rédacteur en chef Philippe Manœuvre : en voilà un qui ne tournera jamais mal !

Hara-Kiri hors-série (novembre 1983) : Et merde ! Reiser est mort ! « Il est allé au cimetière à pied » commente la « une » de ce numéro spécial de Hara-kiri, reprenant une couverture que le défunt avait réalisé pour feu Charlie hebdo pendant l’interminable agonie de Franco… L’occasion pour une équipe dispersée par les divergences (rappelons que Cavanna, Cabu et Wolinski n’y collaborent plus) de se réunir à nouveau autour du souvenir de celui qui compta parmi ses membres les plus géniaux. Comme l’annonçait la couronne mortuaire « de la part de Hara-Kiri en vente partout », ils ont su nous épargner le coup des hommages conventionnels et ont saisi l’occasion pour adresser un pied de nez à la route qui ne mène nulle part. Ce serait faire trop d’honneur à la mort que de ne pas en rire ! Cela dit, on sent parfois que les rédacteurs et dessinateurs du journal « bête et méchant » ont dû se faire quelque peu violence pour y arriver : l’ensemble du numéro a beau être jubilatoire (Reiser aurait sûrement aimé !) les meilleures pages, en dernière analyse, sont celles de Reiser, republiées pour l’occasion, qui occupent plus de la moitié du magazine et où tout le génie du regretté dessinateur éclate. Peu de planches de l’emblématique « Gros dégueulasse » mais beaucoup de celle qui fut son héroïne préférée, Jeanine : fainéante, négligée, mère indigne, pleine de mauvaise foi, toujours mal lunée…mais si vivante, si bandante, excitante, même ! Aucune des pages de Reiser ne vieillira, il a déjà sa place toute trouvée auprès de Winsor McKay, Franquin, Hugo Pratt et tous ceux qui ont donné ses lettres de noblesse à la B.D. Cela dit, la mort d’un humoriste, c’est vraiment navrant : j’espère que Coluche, Le Luron et Desproges mettront moins de temps…

Frilouz n°8 (février-mars1984) : Frilouz, bimestriell créé par des dessinateurs bretons voulant rester au pays et y travailler existe depuis déjà un an et demi : la courageuse équipe qui s’est lancée dans cette aventure risquée envisage de passer d’un tirage prudent à 12 000 exemplaires à un tirage à 40 000, qui plus est sur le plan national ! Qui ne tente rien n’a rien, comme on dit… Aussi, pour se donner le temps de mettre sur pied la « nouvelle vie d’adolescent » du journal, ils nous ont mitonné un « spécial vrac » où il n’y a que des B.D. : dans le tas, je vous recommande vivement les pages extraites du numéro Zéro de Frilouz, jamais paru, qui était un « spécial Bécassine » ! Le choix était judicieux : l’image de la petite bonniche bretonne a tellement collé à la peau de la Bretagne qu’il est bon que les artistes locaux s’en emparent pour déconner avec. Hiettre et Plessix avaient, pour l’occasion, troussé une mésaventure de Mark Jones, leur flic efficace bien que pataud (et ayant un petit air de famille avec le dessinateur Jean-Claude Fournier, soit dit en passant), où ils ironisent sur le fait que Pinchon, le dessinateur de Bécassine, n’avait pas donné de bouche à son héroïne ! Pauluis, en revanche, n’a pas oublié de donner une bouche – il lui a même donné une grande gueule ! – à la cousine africaine de la bonniche bretonne, une certaine « Bokassine » qui se fait proclamer impératrice de son pays à l’aide de sa copine Anémiée Gibus-Déteint et qui finit par chuter quand on découvre qu’elle a des mœurs alimentaires peu recommandables ; tiens, tout ça me rappelle quelque chose ? Mais comme toujours, je craque pour le personnage de Gégé, monsieur Tendre, auquel personne ne peut imaginer une sexualité…lui le premier, d’ailleurs ! Je vous laisse libre de faire toutes les interprétations freudiennes que son histoire pourra vous inspirer…

Le Télégramme (20/02/1984) : « Mobilisation sans précédent pour l’école catholique à Rennes : 400.000 manifestants ! » Et avec un point d’exclamation, s’il vous plait ! Le journal des bretons bien-pensants tient manifestement à ce que les sales rouges se rappellent qui sont les maîtres ! « Le succès de la manifestation en faveur de l’enseignement privé, organisée samedi à Rennes par les trois académies de Nantes, Caen et Rennes, a dépassé les espérances des organisateurs. » Alléluïa ! On est moyenâgeux et fiers de l’être ! « On remarquait notamment, parmi les manifestants, de nombreux parlementaires, maires et élus locaux de l’opposition » : récupération politique ? Certes, mais les corbeaux n’ont pas accueilli ces élus de droite en leur jetant des pierres ! L’Église catholique reste fidèle à son camp politique historique ! « Plusieurs intervenants ont rappelé « les revendications de l’école libre et leur attachement au libre choix pour les parents de choisir l’école de leurs enfants ». C’est quand même un sacré tour de passe-passe d’avoir appelé « école libre » l’école où on bourre le crâne des enfants à grands coups de bondieuseries et où on leur apprend à fermer leur gueule ! Et puis le « libre choix pour les parents », je suis désolé, mais ça ne concerne que les riches, du moins ceux qui ont les moyens de payer les études de leurs gosses dans ces boîtes à religion assénée et à hypocrisie morale : vous croyez que la majorité des parents d’élèves français ont les moyens de choisir l’école de leurs enfants ? Ils prennent ce qu’ils ont sous la main, oui ! C’est justement pour ça qu’il n’est pas normal que le contribuable paie les études d’une poignée de gosses de riches : les deniers publics ne doivent servir que pour l’éducation publique, point barre ! Bon, c’est vrai qu’en Bretagne, « 41,4 % des élèves » sont dans le privé, donc pas spécialement des gosses de riches, mais c’est une des spécificités de la région, laquelle spécificité ne saurait décider de la façon dont il faut trancher la question à l’échelon national, et surtout, ce que ne dit pas le Télégramme, c’est que, a contrario, 58,6 % des élèves breton sont dans le public, donc la majorité ! Comme partout ailleurs, les non-dits sont lourds de sens…

Super Tintin n°24 (mars 1984) : L’hebdomadaire Tintin n’a plus sa superbe de l’époque où Greg en était rédacteur en chef, il est vrai – sans parler du dur revers symbolique qu’a dû être la mort d’Hergé survenue l’année dernière – mais quand j’ai vu que son « éditions trimestrielle » traitait de l’absurde, je me suis laissé tenter parce que j’aime bien rigoler. Dupa a saisi l’occasion pour délirer un peu avec son Cubitus, où le dialogue entre le gros chien blanc avec une queue jaune et un facteur est prétexte à toute une série de quiproquos langagiers. Rosinski et Van Hamme, les auteurs de Thorgal, composent dans un registre où on ne les attendait pas, détournant les structures habituelles de la B.D. afin de se livrer à un jeu que ne renieraient pas certains surréalistes. Mais la palme revient à un habitué de l’absurde, l’excellent Christian Godard, qui nous livre neuf pages où un industriel propose 50.000 dollars à Martin Milan s’il réussit à faire voler un avion en papier d’une rive à l’autre d’une rivière ! Cette histoire a l’intérêt de mettre en lumière ce qu’il y a d’absurde dans le monde que l’on s’obstine à croire normal : il n’est pas nécessaire d’imaginer des choses qui ne peuvent absolument pas arriver pour créer de l’absurde et là est toute la pitié de notre pauvre monde humain… Mais il vaut mieux en rire, après tout !

Libération (19/09/1984) : Libération consacre deux pages à Gainsbourg, dans lesquelles il n’est question que de sexe… Je sais que la sexualité tient une grande importance dans l’œuvre du chanteur, et je ne suis pas du genre bégueule, je suis même d’accord pour dire qu’il sait en parler avec talent, sans fausse pudeur ni vulgarité, mais la sexualité de Gainsbarre, il faut bien dire ce qui est : on s’en fiche ! Tout ce qui nous intéresse, chez lui, c’est son génie musical. À sa décharge et à celle de Libé, il est vrai qu’il n’a déjà plus rien à prouver, mais est-ce un raison pour qu’il prenne le droit de profiter de sa notoriété pour donner sur tel ou tel sujet un avis qui, somme toute, n’est ni pire ni meilleur que celui de n’importe quel autre individu ? Notez que j’abstiens de trancher la question…

L’Express (20/04/1984) : Portrait du nouveau « Monsieur Relations humaines » de Rhône-Poulenc, un certain Alfred Sirven qui entend « driver les gens à l’américaine ». Dans un groupe encore fraichement nationalisé par la gauche, il faut le faire ! « Nous, ici nous décidons en fonction de l’entreprise », martèle monsieur Sirven, manifestement parangon d’une gestion que ne renierait pas l’Amérique reaganienne. En même temps, vu que le gouvernement a annoncé une politique de rigueur budgétaire, il ne faut pas s’en étonner : c’est la fin des cadeaux ! Il est tout de même navrant que les socialistes redressent les comptes en faisant payer la frange de la population qui bénéficie de l’État-providence ! Il faut saigner les riches, saperlipopette ! Espérons que ce ne sera qu’un mauvais moment à passer… Il reste que ce Sirven, gaulliste déclaré et convaincu, empruntant simultanément, pour sa gestion, au volontarisme américain et au conservatisme européen, ne me plait guère ; j’espère au moins qu’il est honnête…

Le Télégramme (3/10/1984) : « Un chasseur mordu par un lapin » ! Non, ce n’est pas une blague, c’est un fait divers réel qui a vraiment eu lieu à Tréméven ! Ce chasseur venait d’abattre un lapin, mais celui-ci n’avait été que blessé et, dans un dernier de sursaut, il a donné un coup de dent à son assassin, le blessant au doigt servant à appuyer sur la détente et lui interdisant du même coup de l’abattre ! Bien fait ! Ça apprendra à ce gros dégueulasse à mettre en danger tout le monde ! À cause de ces salauds de chasseurs qui viennent assouvir leurs pulsions meurtrières dans nos campagnes, les promeneurs dont je fais partie vivent dans la peur de se manger une balle perdue ! J’ai beau manger de la viande, je n’en considère pas moins ce plaisir malsain que ces imbéciles buveurs de pastis trouvent à dégommer la faune comme une perversion pure et simple ! Le pire, c’est que cet accident n’a même pas servi de leçon à ce gros con : il est rentré chez lui se faire soigner puis est revenu sur les lieux de son aventure dont il est parti avec deux autres prises ! Deux animaux innocents immolés sur l’autel de la rancune mesquine d’un ennemi de la nature… Et pour ne rien arranger, Le télégramme fait tout pour que nous ayons pitié de lui ! Ils l’appellent « notre ami », ils le plaignent sur l’air de « comble de malchance »… Je parie que Jean-Pierre Coudurier, le directeur du journal, comme beaucoup de salauds de riches, consacre ses week-ends au génocide ! Tuez en paix !

L’Express (16/08/1985) : Le naufrage du Rainbow warrior en rade d’Auckland aurait pour coupables, selon l’enquête de L’Express, deux officiers du service Action de la DGSE qui se trouvaient en territoire néo-zélandais avec deux faux passeports suisses en se faisant passer pour les époux Turenge. Rappelons que le bateau appartenait à l’organisation Greenpeace et faisait route vers Mururoa pour protester contre les essais nucléaires français… En clair, en passant à gauche, l’État français n’a renoncé ni à sa force de frappe pour jouer à « qui a la plus grosse » avec les autres pays ni aux coups tordus qui faisaient le quotidien de le droite le régal du Canard enchaîné ! Si un jour, les Français ne croient plus en rien, les politiciens n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes !

Le Monde (21/09/1985) : En lisant l’article de Bruno Frappat sur le tremblement de terre de Mexico, un passage m’a particulièrement frappé : « Spectacle hallucinant que ces buildings géants, de verre et d’acier, fièrement dressés dans le ciel, tandis que gît à leur côté le souvenir, en forme de gravats, d’un immeuble moins bien construit ou peut-être plus ancien. Les grands immeubles les plus récents, notamment ceux des banques et de la Compagnie pétrolière nationale ont été épargnés. (…) Ceux dont les vitrines n’ont pas tenu sont protégés par des policiers armés de fusils : plus rien à craindre. Le séisme les a épargnés et les pillards ne passeront pas. » Ce sont donc toujours les mêmes qui paient le prix fort dans les catastrophes naturelles : les riches, les nantis, les exploiteurs, ont su anticiper… Si Dieu existe, il est de droite !

Le Télégramme (8/11/1985) : « Oh, ben chouette, alors, c’est chez nous que Coluche vient faire ses 60 heures de travaux d’intérêt général ! » a l’air de dire le Télégramme ! Il est vrai que ça prête à rire, savoir que Coluche exécute la peine à laquelle il a été condamné pour avoir injurié un flic à Paris en assistant à une journée organisée à Quimper par le Conseil national de prévention de la délinquance ! Mais d’un autre côte, c’est révélateur de la relative niaiserie de cette condamnation : d’un côte, la société considère que Coluche mérite d’être traité comme un délinquant, et de l’autre, elle reconnait qu’il est assez digne de confiance moralement parlant pour qu’il participe à une réflexion contre la délinquance ! Qu’est-ce que ça prouve ? Que Coluche, malgré sa gloire, a su éviter de s’embourgeoiser et est resté un désobéissant professionnel qui ne se laisse pas faire face à la poulaille ? Que la justice reste fidèle à ce qu’elle était déjà à l’époque de Beaumarchais, « indulgente aux grands, dure aux petits », vu qu’un autre que Coluche ne s’en serait pas tiré avec des travaux d’intérêt général ? Que la notion de délit d’insulte à un agent est obsolète ? Les trois hypothèses ne s’excluent pas ! L’anecdote, vous le voyez, peut susciter un tas de réflexions sur notre société que le Télégramme se garde bien de faire, se contentant de l’anecdotique, notamment en mentionnant un « invité qui se propose d’apporter un magnétophone pour enregistrer les réparties du célèbre clown. » Une célébrité vient pour exécuter une peine de travaux forcés, et ils en font une attraction folklorique !    

ArMen n°1 (février 1986) : Et oui, c’est le retour de balancier : après toutes ces années de déni, dont un des traits les plus saillants fut le tristement célèbre panneau « défense de cracher et de parler breton », la Bretagne revendique son droit à trouver sa place dans le monde actuel sans renoncer à son identité culturelle. ArMen, cette nouvelle revue dont le premier numéro vient de paraitre, cherche à participer à sa façon à cette revendication, nous faisant découvrir la Bretagne sous ses aspects les plus divers, aussi bien économique que culturel, aussi bien historique que sociologique. À noter cependant que ce numéro 1 s’ouvre sur un article consacré au Muscadet, le vin du vignoble nantais : manifestement, la rédaction d’ArMen accepte pleinement l’idée que la Loire-Atlantique fait partie intégrante de la Bretagne historique ; remarquez, je m’en fiche un peu, mes textes préférés étant, d’une part, le texte de Jean Guéhéno, republié, relatant la grève des chaussonniers de Fougères en 1906, et, d’autre part, l’article consacré à l’un de ces fameux peintres de Pont-Aven, Maurice Denis (1870-1943), que je ne connaissais pas, ce que je regrette d’autant plus que je craque littéralement pour l’un de ses tableaux illustrant l’article, « La fenêtre au Pouldu » avec sa femme et ses trois filles. Au programme pour les prochains numéros, le tumulus de Barnenez, l’entreprise Bolloré, le loup, les moulins à eaux, le bilinguisme, les festou-noz, le choucenn, Carnac, le pâté Hénaff…et oui, il y en a des choses à dire, sur la Bretagne ! ArMen a de la matière pour durer longtemps…      

(A suivre) hors-série (avril 1986) : Le printemps de Bourges est partenaire de ce numéro spécial « Rytm n’Bulles » coordonné par Jackie Berroyer avec la problématique que voici : « La musique et la BD ont-elles quelque parenté ? » Pour tenter d’y répondre, toute une goulée de planches inédites sur la musique et quelques entretiens pour l’aération, les avis les plus enrichissants étant évidemment ceux qui émanent de ceux qui ont plus ou moins un pied dans chacun des deux univers, comme Renaud, Margerin, Casoar, Kent, Jean-Claude Denis, Dodo, Denis Sire, Bourgeon et Favennec, sans oublier évidemment Berroyer lui-même qui, et c’est précisément ce qui m’impressionne chez lui, n’a guère changé sa façon de faire un peu « dilettante » depuis la fin de Charlie hebdo ; ce gars-là, on aime ou on n’aime pas, mais il ne changera jamais… En tout cas, il n’y a pas de réponse définitive à apporter à la question posée : je serais moi-même incapable d’en apporter une, n’ayant pas d’oreille.

Première n°111 (juin 1986) : Le « magazine du cinéma » a publié une critique particulièrement positive de la dernière comédie de Chantal Akerman, Golden eighties, que Philippe Salanches trouve « multicolore, tendre drôle, gracieux et léger » : la réalisatrice nous ferait découvrir « un monde fou où l’on danse à la lumière des néons, un monde fou où l’on se confesse et où l’on s’aime dans les cabines d’essayage », ce qui en ferait « du cinéma jubilatoire. Un cinéma en liberté aussi inattendu que délicieux. » Je n’ai pas vu le film, mais s’il est bien tel, le choix du titre n’est évidemment pas innocent : la réalisatrice entend-elle placer l’ensemble des années 1980, qui ne sont même pas terminées, sous le signe de cette légèreté, de cette joie de vivre, de cette liberté ? Rendez-vous dans vingt-cinq ans pour voir si le souvenir que nous aura laissé cette période lui donnera raison, mais j’ai des doutes. Est également au programme du magazine ce mois-ci une interview de Jean-Paul Goude, ce génial créateurs d’images qui a vraiment su renouveler considérablement la façon de tourner un clip ou une pub ; je l’apprécie encore plus maintenant que j’ai conscience du fait qu’il ne se prend ni pour un artiste ni pour un tâcheron : il a suffisamment d’estime pour son savoir-faire pour ne pas accepter n’importe quelle concession – c’est pourquoi ses créations restent profondément extraterrestres – mais pas assez pour se complaire, comme d’autres réalisateurs, dans la branlette intellectuelle qui n’intéresse que lui et quelques curieux (« Je suis un grand adepte du cinéma-spectacle. Or un spectacle qui n’a pas de public est un spectacle raté. ») et se lancer dans le long-métrage alors qu’il n’a pas encore de sujet… À part ça ? Et bien Anouck Aimée, qui était à Cannes pour la projection de la suite de « Un homme et une femme » a pris un petit coup de vieux mais est toujours aussi belle, et je sais enfin ce que tant de femmes trouvent à Mickey Rourke (qui fait la une à l’occasion du tournage de Angel Heart dont il est la vedette) ; il le dit lui-même : « Avant que je sois comédien, aucune fille ne me regardait… » En clair, même phénomène pour Rourke que pour les chanteurs dont les groupies ont des clitoris en guise de tympans ! En tout cas, il ne doit pas son pouvoir de séduction à son intelligence, puisqu’il déclare qu’il ne lira même pas le roman dont est tiré le film qu’il tourne en ce moment « pour ne pas m’encombrer inutilement la tête » ! Il ne se base que sur le script et les directives du réalisateur, d’accord, mais dit comme ça, c’est autant un aveu de professionnalisme, en tant qu’acteur, qu’un aveu d’inculture… Non ?

Le Monde (9/12/1986) : Danielle Rouard a dressé dans Le Monde le portrait du Malik Oussekine, le jeune homme frappé à mort par les forces de l’ordre lors des manifestations contre la réforme universitaire. On ne peut pas accuser madame Rouard de mentir lorsqu’elle met en valeur l’appétit de vivre qui caractérisait cette victime innocente de la barbarie policière, mais ça n’ajoute rien à l’horreur du crime perpétré par les sbires du gouvernement Chirac… Ah si, il y a quelque chose qui rend cette horreur, sinon encore moins excusable, en tout cas encore plus absurde : « Malik le dit lui-même volontiers : il « aime l’ordre », c’est un « pacifiste ». Il porte costume et cravate, parfois une gabardine à la Humphrey Bogart et toujours un attaché-case. Il veut « réussir et gagner beaucoup d’argent, comme son frère » (…) à qui il demandant déjà de démarcher des clients. » Vous voyez : ce n’était pas un marginal comme Pasqua aime tant en diaboliser ni un « enragé » sans foi ni loi prêt à refaire mai 68 à lui seul ! Il aurait eu sa place toute trouvée dans la société que la droite est en train de construire ! L’idée même que quelqu’un comme ça ait pu avoir, au cours de la manifestation, un comportement susceptible de légitimer une intervention énergique des CRS relève du saugrenu ! Conclusion : les poulets ont tapé dans le tas, à l’aveugle, à l’arbitraire, voulant faire un exemple pour effrayer les protestataires, sachant que leurs chefs leur assureront une quasi-impunité… Ma seule consolation, c’est de me dire que Chirac n’aura plus d’avenir politique après 1988 !

Libération (9/05/1988) : Ouf ! On a échappé à sept ans de reagano-pétainisme sous l’égide d’un Chirac qui va finir dans les poubelles de l’histoire ! Mitterrand est donc réélu, mais l’enthousiasme de 1981 n’est plus de mise : Libé ne s’y trompe pas et titre sobrement « Bravo l’artiste » ! Ce qui est navrant, et Serge July ne manque pas de le mentionner, c’est que « Tonton » a été reconduit pour sept ans grâce aux votes de la droite qui ne voulait pas de Chirac… Cela dit, July, et c’est tout aussi navrant, ne reconnait pratiquement aucun tort à Mitterrand et aux socialistes : la « centrification » du PS, c’est-à-dire le renoncement à toutes les promesses qui avaient assuré la victoire à la gauche il y a sept ans, n’est pas envisagée comme un mal mais au contraire comme une opportunité pour « civiliser la démocratie », expression barbare pour désigner la continuation de la « bureaucratisation » d’un régime qui devait être celui où les saines colères populaires pouvaient trouver à s’exprimer dans toute leur vigueur. July, dans un accès de silence révélateur, ne se pose même pas la question de savoir comment la gauche a pu laisser la droite revenir au pouvoir il y a deux ans et comment elle pourra éviter la redite dans cinq ans ; il termine en agitant l’épouvantail du lepénisme, « oubliant » que Mitterrand a délibérément ouvert l’Assemblée nationale au FN pour emmerder Chirac… Bref, Libération semble se mettre au diapason d’une gauche qui donne l’impression de sortir du premier septennat de Mitterrand avec la conviction que rien ne peut et ne doit changer. Les années à venir vont être tristes…

L’Express (5/08/1988) : L’envoyé spécial de L’Express sur le front irano-irakien a envoyé à son journal un petit carnet beige abandonné par un jeune soldat iranien. On note premièrement que ce jeune homme n’a rien d’un héros et pense d’abord à son foyer dont il est éloigné par la folie des hommes : « Ô vent qui porte les messages, / Viens donc m’arracher cette tristesse, / Dis à ma pauvre mère qui m’attend, / Dis-lui toute ma tendresse, / Dis-lui que son fils est vivant ». Il nourrit un sentiment patriotique certain (« C’est mon âme et ma vie que je te donnerais, ô ma patrie »), mais l’exportation de la révolution islamique ne le concerne pas, il ne cite même pas le nom de Khomeini. En clair, il ressemble beaucoup à nos soldats de la guerre de 14-18, qui ont été envoyés se faire charcuter sans qu’ils sachent exactement pourquoi, moitié parce qu’on les forçait moitié parce qu’on leur avait bourré le crâne des conneries patriotardes grâce auxquelles l’État français s’est doté de générations de petits soldats. Quelle que soit l’époque, quelle que soit le lieu, la guerre n’est jamais que cette saloperie dans laquelle un pays sacrifie sa jeunesse pour que soient sauvegardés les intérêts d’une caste dirigeante : on a le cas d’un iranien, mais je vous parie que côté irakien, c’est la même chose.

Le Monde (16/10/1988) : Jean-Yves Lhomeau a dressé un portrait plutôt sympathique du ministre du budget, mettant l’accent sur sa faconde, sa joie de vivre, sa boulimie de travail, l’esprit de justice qui l’anime et que cachent ses manières bourrues ; je n’aime pas beaucoup Charasse, mais ce n’est pas pour son style qui le met parfois à la limite du beauf à Cabu : au contraire, c’est plutôt rafraichissant, un homme politique qui a gardé un caractère entier malgré ses fonctions ; ça nous change du style compassé de Mitterrand, d’autant que vu par Lhomeau, Charasse, bien qu’auvergnant, me rappelle irrésistiblement les gascons de Cyrano de Bergerac qui se reposent des rudes combats qu’ils mènent grâce à la bonne chère, voire les joyeux lurons du village d’Astérix… Mais est-il question, dans cet article, de sa gestion du budget (c’est quand même pour ça qu’il a été nommé !), de l’assurance que l’on peut avoir, au-delà de ce qu’il a pu faire à l’échelon local, au-delà de ses fameux coups de gueule, concernant l’ancrage à gauche de sa politique à venir (de ce côté-là, j’ai peur que ce soit mal barré) ? Encore un article qui ne parle que de l’image et presque pas du fond ; c’est curieux, je ne m’habitue toujours pas à cette manie des journalistes…    

Super Hercule (Décembre 1988) : Ce mois-ci, le cousin blagueur de Pif gadget s’affirme comme un mensuel à bonnes surprises. Pas pour son gadget, plutôt anodin (le disque des meilleures histoires drôles envoyées par les lecteurs et publiées dans le mensuel) mais pour le parti pris par l’équipe de parodier la télévision : entre deux bandes dessinées, dont un épisode du remarquable (et injustement méconnu) « messire de la Chienlit », des rédactionnels qui nous remettent dans l’ambiance de « Télématin », du « Club Dorothée », du journal télévisé, d’ « Intervilles », des « Dossiers de l’écran » du « Collaro show » des « mariés de l’A2 », de « 7 sur 7 », d’ « Apostrophes » et de « L’heure de vérité » : il y a même des speakerines ! Le clin d’œil est suffisamment appuyé pour être accessible au jeune public du mensuel, et l’équipe aurait pu se permettre d’aller plus loin dans la caricature, mais l’ensemble est amusant.

Le Monde (6/06/1989) : Vous avez suivi les événements de Tien An Men ? On s’apprête, chez nous à célébrer le bicentenaire de la Révolution, les « démocraties populaires » d’Europe orientale tombent les unes après les autres, mais la guerre contre l’oppression est encore loin d’être gagnée, et pas seulement en Europe ! En Chine aussi, il y a des Bastilles à prendre… Quand on pense qu’il fut un temps où la République Populaire de Chine était porteuse d’espoir ! Un contraste bien rendu par un extrait du reportage de Francis Deron dans Le Monde : « Charges, poussées, et, en face, tentatives désespérées de faire encore une fois appel aux sentiments humains de l’Armée populaire de libération (APL), que Mao Zedong voulait « comme un poisson dans l’eau » au sein du peuple ». C’est justement ça qui est le plus triste à une heure où on n’arrête pas de parler de révolutions en Europe : la Chine montre à quel point une révolution peut dégénérer à long ou à court terme ! À croire que l’humanité est auto-productrice d’humour noir… Pour le reste, je vous fais grâce des détails : « Une rafale de mitrailleuse lourde laisse quelques morts sur le macadam. (…) Des plaques de sang coagulé sur la chaussée, des voies jonchées de briques permettent de deviner ce qui s’est passé là. (…) Des étudiants brandissent les cadavres de leurs condisciples tués par l’armée devant des camions de militaires. » Charmant, tout ça ! Encore heureux que c’est une armée de « libération », qu’est-ce que ce serait si c’était une armée de répression ! Et ce n’est pas un énième épisode sanglant parmi tant d’autres boucheries de l’histoire humaine, comme en témoigne le cri de ce « professeur fraîchement revenu des États-Unis » qui fait remarquer que « même dans les pays fascistes les militaires tirent en l’air pour disperser la foule avant de charger. » En clair, je crains que la Chine ait fait atteindre à l’humanité le degré ultime en matière de négation des droits de l’Homme ; toute puissance qui liera un partenariat avec elle cautionnera, ouvertement ou non, ce crime : espérons que tout le monde saura s’en souvenir…

Psikopat n°1 (juin 1989) : Hourrah ! L’esprit « bête et méchant » n’est pas mort ! Huit ans après la fin de Charlie hebdo et cinq ans après la fin de Hara-kiri, Paul Carali, après deux tentatives avortées, s’accroche à son projet de journal qui, même s’il est plus axé sur la bande dessinée au sens strict, n’en est pas moins imprégné de l’esprit potache et joyeusement rabelaisien des publications des éditions du Square ; il semble que des anciens du journal « bête et méchant » tels que Nicolaud, Willem, Hugot, Lefred-Thouron, Charlie Schlingo et même l’immense Gébé, ne s’y soient pas trompés, puisqu’ils participent à cette aventure que l’on ne peut qu’espérer durable, n’en déplaise aux cons qui le proclament déjà mort-né…

Le Télégramme (11/11/1989) : À la a une de l’équivalent breton de votre Républicain lorrain, les deux faces de l’Europe en cette fin de décennie. D’un côté, les Berlinois qui se dressent sur le « mur de la honte » qui coupait leur ville en deux il n’y a guère : cette face, c’est celle des européens de l’Est qui, après des années passées à ployer sous la botte communiste (« Debout les damnés de la terre », mon cul !) reprennent leur destin en main et font chuter les uns après les autres leurs garde-chiourmes à drapeaux étoilés – la Pologne, c’est fait, la Hongrie, c’est fait, la Bulgarie, c’est pour bientôt, à quand la Tchécoslovaquie et la Roumanie ? D’un autre côté, l’annonce des cérémonies du 11 novembre qui mettront « La Marseillaise » à l’honneur pour célébrer une nouvelle fois le bicentenaire de la révolution : cette face, c’est celle des européens de l’Ouest embourgeoisés, pour lesquels la révolution n’est plus à faire, dont la société s’englue dans sa mauvaise graisse et son double menton, qui se berce déjà de l’illusion de ne plus avoir d’histoire et de ne plus rien avoir à faire que ressasser le passé. La chute annoncée du communisme en Europe de l’est ne va pas arranger les choses puisqu’il y a fort à parier que l’on va se persuader qu’il n’est pas d’autre société possible que capitaliste. Le Télégramme n’avait certainement pas l’intention de faire ce parallèle, mais je vous assure qu’en voyant la photo de ces anciens combattants assistant à une cérémonie de Verdun illustrant l’annonce des cérémonies du 11 novembre, je n’ai pas pu m’empêcher de craindre qu’il ne faille la prendre aussi comme une vision de l’avenir des Berlinois qui sont, pour l’heure, encore pleins de la joie fougueuse de la liberté retrouvée… Oh, et puis, on verra bien !

Libération (18/12/1989) : On le sait désormais : les bovins anglais morts de l’encéphalopathie spongiforme bovine (il faudrait peut-être qu’ils se décident à trouver un nom plus simple pour cette maladie qui rend les vaches comme folles) ont chopé cette maladie parce qu’on les a gavés de « farines alimentaires préparées avec des poudres d’os ou de sang de moutons malades ». Pourquoi ? Parce que le virus dont ces moutons étaient infectés est résistant à la chaleur : il aurait fallu au moins porter à de très hautes températures les farines pour l’éliminer mais « en baissant la température de fabrication des farines alimentaires dans un souci de rentabilité, les industriels ont laissé la voie libre à l’agent pathogène ». Cette épizootie est donc le pur fruit de la connerie humaine telle qu’elle a trouvé à se manifester dans le caractère profondément insensé de l’industrie agroalimentaire qui nous gave de bidoche sans goût provenant d’animaux élevés dans des conditions anti-naturelles. Le pire est que ce virus « est aussi responsable de formes humaines de démence précoce : la maladie de Creutzfeld-Jacob et la maladie du kuru ». Et les scientifiques ne savent pas encore si la maladie peut se transmettre à l’homme quand il mange du bœuf contaminé… Bref, rendez-vous dans quelques années pour voir ceux qui auront été transformés en légumes par leur consommation de viande de bœuf industriel, leur santé ayant été sacrifiée sur l’autel de la rentabilité à tout prix ! J’ai bien peur que les années 1990, qui commencent dans moins de deux semaines, ne soient bien tristes…

Voilà, c’est fini ! Je vous laisse apprécier la pertinence de ce que j’avais pu prévoir pour les années suivantes … Allez, kenavo !

One thought on “POULET DE PRESSE spécial 1980’s

  1. Pif gadget à propos!!!
    Plus tard, quand j’ai su que les cocos pilotaient pif gadget, j’ai aimé l’idéologie !!! mais dans ma prime jeunesse c’était surtout le gadget que je vénérais en premier, et puis sens le savoir j’ai probablement inoculé l’esprit d’humanité de ce journal!!!

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