Infâme automne douçâtre…

Graoulliennes, Graoulliens, amical bonjour de la pointe Bretagne ! Alors, c’est vrai, il ne fait que 2 dégrés au-dessus de zéro, chez vous ? Et bien je vous envie !

Non, non, ce n’est pas ironique ! Ici, en Bretagne, il fait beaucoup trop doux à mon goût et j’en ai marre de cette douceur ! Je hais cette atmosphère tiédasse et bâtarde, sans caractère ! Moi qui aime tant sentir le souffle profond de l’océan… Vous me direz que c’est anecdotique et que mon goût personnel en matière de climat vous importe peu, ce qui est vrai ; sauf que voilà : il n’y a pas que mon goût personnel qui est en jeu. Se préoccuper du temps qu’il fait, à notre époque, ça n’a plus rien d’innocent. En effet, tout le monde sait ou (feint d’ignorer) que notre planète est aux prises avec d’inquiétants changements climatiques : la calotte glaciaire fond vitesse grand V, les ours polaires risquent de disparaître, les inuits assistent au bouleversement de leur mode de vie, la mer avance en Afrique et menace les paysans installés près de la côte, le désert avance et menace l’Espagne. En somme, ce n’est plus une simple menace mais une réalité quotidienne. Dès lors, parler du temps qu’il fait aujourd’hui revient à dresser, consciemment ou inconsciemment, le bilan clinique du climat. Et je pose la question : est-il normal, arrivé au mois de novembre, que le thermomètre dépasse encore les dix degrés dès le matin, que des gens puissent se permettre de rouler avec la fenêtre de leur voiture ouverte, que je crève de chaud dès que je me couvre un peu ?

Peut-être allez me dire que je n’ai pas à me plaindre s’il fait bon, que je n’ai qu’à en profiter et que je ne suis qu’un rabat-joie. Peut-être… mais rien à faire : cette douceur de l’air ne fait que me renvoyer en pleine figure le fait qu’il y a un vrai problème de réchauffement climatique ! Vous me direz qu’il ne faut pas crier à la fin du monde dès que les températures sont légèrement supérieures aux normales saisonnières. Oui, mais le problème, c’est que, l’année dernière déjà, et aussi l’année d’avant, et aussi l’année d’avant l’année d’avant, l’automne a été « exceptionnellement » doux. Qu’est-ce que cela signifie si ce n’est le fait que cette douceur, loin d’être un évènement isolé, est le signe d’une tendance globale ? Et ne me citez pas Claude Allègre on a eu la preuve il n’y a pas longtemps qu’il nous prend pour des rigolos – à moins que ce ne soit tout simplement un imbécile.

Vous l’aurez donc compris, et tant pis si on me trouve méprisant, les commentaires sur la météo actuelle disant que c’est agréable qu’il fasse bon et qu’il n’y a qu’à en profiter me font penser, au mieux, aux gens qui chantaient à bord du « Titanic » quand celui-ci sombrait et, au pire, au guignol de Roselyne Bachelot quand l’intéressée était ministre de l’écologie. En ce moment, comme je hais viscéralement les irresponsables, les gens inconséquents et frivoles, j’ai envie de dire « ta gueule » à tous ceux qui disent « il fait doux » ou « il fait pas froid », je grogne chaque fois que je vois une fenêtre ouverte… Même les oiseaux qui chantent, j’ai envie de les faire taire, n’étant retenu que par le fait que je ne sais pas comment y parvenir sans les faire souffrir – hé, il n’est pas écrit « tartarin » sur mon front ! Si je devais choisir un symbole vivant de cette attitude frivole, ce serait ce beauf que j’avais vu dans une séquence du zapping de Canal+ (piochée je ne sais plus où) diffusée en février il y a un an ou deux (vous voyez bien que c’est une tendance globale !) et qui disait, en substance « le réchauffement climatique, pour le moment, c’est agréable ». Cher imbécile, du fond de ta vision à court terme, tu ne vois que ton agrément momentané et tu ne te préoccupe que de prendre des bains de soleil pour te fignoler un cancer de la peau, prendre un café en terrasse histoire de fumer impunément, et porter des fringues ridicules qui dévoilent tes bras mous et tes jambes pleines de varices. On verra si tu trouves toujours aussi agréable le réchauffement climatique le jour où ton pavillon préfabriqué acheté à crédit sera englouti par les flots à cause de la montée du niveau des mers. Tu ferais mieux de songer, ne serait-ce que l’espace d’un instant, à ce que vivront tes descendants, à ce que vivent déjà les habitants des régions les plus démunies de notre planète !

Bon, tu dois me trouver bien hautain à ton égard et je m’en excuse, mais j’avais ça sur le cœur, il fallait que ça sorte. Et puis au fond, tu n’es qu’une énième victime du diktat de l’héliotropisme, cette attitude qui consiste à dire qu’il faut forcément être content quand il y a du soleil et que la normalité est incompatible avec une préférence marquée pour un temps plus frais et plus nuageux (comme c’est mon cas). Ce diktat est directement cultivé par les media qui nous rabâchent inlassablement cette idée d’occidental pourri-gâté associant directement la pluie à l’ennui et le soleil à la joie. Qu’ils disent au moins, en signalant qu’il fait « bon », que ce n’est pas normal et que le réchauffement climatique est un vrai problème. J’ai parfois l’impression que l’occidental moyen voudrait avoir du « beau » temps doux et ensoleillé toute l’année, preuve qu’Albert Camus avait raison : l’homme occidental moderne, en se parquant dans ses grandes villes, a, comme le disait le grand homme de lettres, « amputé le monde de sa vérité, de ce qui fait sa permanence et son équilibre ». Sans faire ici l’éloge du « bon sens paysan » qui donne tant d’eau au moulin du poujadisme et du journal de Jean-Pierre Pernault, reconnaissons que l’homme urbain, en se coupant de la nature, a oublié à quel point il est important que le cycle des saisons soit respecté. Ce « temps agréable » dont on se réjouit tant n’est pas forcément notre ami et peut être à la source de la grave crise alimentaire tant redoutée par Hubert Reeves.

Il y a toute une mentalité occidentale, au sujet de la météo, qui est à rééduquer. Une fois tombé ce diktat de l’héliotropisme, peut-être la population se mobilisera-t-elle contre les vrais responsables de cette catastrophe écologique en devenir. Car il faut cesser aussi de culpabiliser le citoyen de base : commençons par imposer aux industriels de ne plus jouer avec les gènes, de ne plus mettre en vente les produits les plus polluants, de ne plus faire construire d’appareils hors d’usage au bout de cinq ans d’utilisation. Obligeons les commerçants, petits et grands, de ne plus avoir recours à des enseignes lumineuses : quand je traverse une ville le soir, je suis écœuré par toute l’énergie inutile gaspillée par des néons.

J’avoue, j’écris ce texte avec une relative aigreur parce que, personnellement, je ne suis pas un amateur acharné de « beau temps », en tout cas en ville. Pour être bien dans la vie quotidienne de l’étudiant que je suis, j’ai besoin d’une ambiance sereine, et le climat électrique qui s’installe en ville en même temps que la douceur n’est pas de nature à me convenir. J’ai toujours été réservé, j’ai toujours aimé les ambiances où il y a un minimum d’obscurité et de fraîcheur. La première fois que j’ai senti une grosse chaleur, étant bébé, j’ai hurlé comme après une fessée de mon père, et quand mes parents m’ont fait mettre mon premier short, je n’ai pas supporté de devoir montrer mes genoux. La perspective de ne pas pouvoir faire un mouvement sans suer (et je transpire facilement ), de travailler avec les rayons du soleil qui m’agressent me déplaît au plus haut point. Cela dit, le fait que je fonde mon point de vue sur un goût personnel rend-il moins légitime que je me préoccupe des problèmes liés à l’effet de serre ? Franchement, je ne crois pas. Oh, Zeus, aie pitié d’un jeune homme qui a tant besoin de fraîcheur ! Allez, kenavo.

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