Notre glorieuse Nation peut se targuer d’un talent sans faille dans la verve humoristique, et d’une tradition dans la gaudriole qui ne s’est jamais démentie, de François Rabelais à Coluche, j’en passe et des pires. Aujourd’hui, la scène comique est heureuse d’accueillir en son sein un nouveau talent, que dis-je, un nouveau Molière, un de ces génies éclairés qui au coeur de la Comédie Humaine qui n’est au fond qu’une vaste tragédie, a su décrisper mes zygomatiques pourtant peu enclins à l’exercice matutinal.
Ainsi, le dénommé Maurice Lévy, qui occupe dans le civil les nobles fonctions de PDG de Publicis et de président de l’association des entreprises privées, a poli dans la glaise ingrate de la crise économique une perle qui devrait figurer prochainement dans la Pléiade des mots d’esprits, à mi-chemin entre la féroce truculence de Pierre Desproges et la rigolade désabusée de Jules Renard. Notre ami souhaite donc « une contribution exceptionnelle des riches, des plus favorisés, des nantis » pour résorber notre dette aussi profonde que notre corpus d’amuseurs publics. Au moment où l’on reprend un peu d’air, après s’être si virulemment tenu les côtes, Maurice enfonce le clou et ajoute qu’il estime « indispensable que l’effort de solidarité passe d’abord par ceux que le sort a préservés« . Je m’esclaffe.
Toutefois, après avoir séché nos larmes et réprimé notre hilarité dans un dernier hoquet, on pourra rétorquer à notre nouvelle idole qu’il vient juste de découvrir un fondement de la République. Faut-il que les fabricants de cerveau disponible soient dans un telle panique à l’idée de voir le système qu’ils ont contribué à créer disparaître corps et biens, pour qu’ils s’aperçoivent que l’impôt n’est pas une mesure confiscatoire mais une façon de financer la solidarité nationale? Faut-il que les rentiers soient à ce point pris de remords d’avoir saigné le monde entier pour qu’ils consentent à jeter une piècette dans notre bas de laine public troué aux mites?
Ces hypothèses hâtives seraient bien mal comprendre le trait d’esprit de Maurice. Toute la saveur de la blague réside bien sûr dans l’adjectif « exceptionnelle« , qui nous rappelle que si les élections approchent et que notre reptilien Président va nous refaire le coup de la mue à coups de « j’ai changé » , les super-riches sont d’une continuité dans la bêtise qui force le respect.