Pour qui sonne le glas

 

« Il n’y a pas le pouvoir. Il y a l’abus de pouvoir, rien d’autre »

Henry de Montherlant.

 

Heureusement pour tous ceux qui comme moi n’en ont rien à cogner des variations de la TVA, du faux suspense sur la candidature de Sarkozy, du nombre de Rafales que l’Inde achètera peut être pour prouver au Pakistan que la métempsycose c’est pas plus bête que 70 vierges qui se goinfrent de raisin, pour tous ceux qui se tamponnent le coquillard avec frénésie des derniers transferts du PSG, des états d’âme de Rachida Dati, et de la trombine du futur candidat républicain aux élections US, bref pour tous ceux qui ne lisent plus les journaux de peur d’y tomber sur une bonne nouvelle, il y a encore des vraies raisons de s’insurger et de trouver le monde un peu plus dégoûtant chaque jour. Si ce n’était pas le seul monde possible, ça fait un moment que je me serais fait la malle et que je vous enverrais des chroniques dégoûlinantes de bonheur de ma planète ensoleillée où il pleut du Château Yquem juste dans mon verre.

C’est un peu difficile à concevoir, mais il y a encore une quarantaine d’années, il y avait en Europe des dictateurs qui pétaient la santé pendant que leurs concitoyens peu enclins à courber l’échine se faisaient étriller par paquets de mille. Aujourd’hui quand on pense à l’Espagne, nous viennent à l’esprit les joyeuses ramblas de Barcelone, la Costa Brava, et les plages paradisiaques où on se fait griller la couenne en sirotant du calimucho. Il y a pourtant moins d’un demi-siècle, un sémillant dictateur du nom du Franco avait posé son auguste cul sur le siège réservé à celui qui exerce le pouvoir, et comme il y était depuis 1939, le siège avait pris sa forme. La patrie de Picasso et de Cervantès croupissait dans une pauvreté affligeante dont elle ne sortira qu’en intégrant l’Union Européenne (ce qui prouve aux contempteurs actuels de l’Union que la crise n’est pas la faute de l’Europe, mais de celle des imbéciles qui ont trouvé que leurs fessiers augustes étaient à l’étroit dans leurs fiefs respectifs, qu’ils soient gouvernementaux ou bancaires: demandez aux Irlandais, au Portugais, et même aux Grecs à l’époque si l’Europe les a ruiné). Comme tous les dictateurs, Franco était un homme assez susceptible, doté en plus du tempérament sanguin propre à la péninsule ibérique: depuis les années 30, il supportait assez mal la contradiction et n’hésitait pas à envoyer ses très catholiques concitoyens  voir si Jésus ne racontait pas de conneries sur la vie après la mort. Elipsons, élipsons: en 1975, Franco avale son bulletin de naissance, et Juan Carlos pose son fessier sur le siège du Caudillo, et ajoute en plus une couronne sur sa tête.

Depuis, l’Espagne est une démocratie, c’est à dire qu’un certain nombre de personnes se partagent le pouvoir, pas trop non plus sinon c’est l’anarchie et Franco détestait les anarchistes. Or quelle est l’une des différences essentielles, en théorie, entre une dictature et une démocratie? Dans un régime autoritaire, le propriétaire du siège-à-auguste-fessier réécrit l’Histoire à son profit pour démontrer qu’il n’est pas là par hasard. Dans une démocratie, on autorise des historiens à contester l’histoire dite officielle à mesure que les recherches progressent, même s’il reste toujours d’invariables crétins pour justifier tout et son contraire. Et voilà t-il pas qu’aujourd’hui, le célèbre juge Baltasar Garzon se retrouve assis sur le banc des accusés, qui est bien moins confortable que le trône royal, pour avoir essayé de prouver que l’Espagne est une démocratie assez mûre pour affronter son Histoire la moins jolie. Pour ceux qui ne connaissent pas M. Garzon, nous pourrions le définir comme un garçon qui a de sacrées cojones comme on dit en idiome local, encore que je n’ai jamais compris le rapport entre le courage et la possession de testicules hypertrophiés. Il compte à son tableau de chasse moultes membres d’ETA, l’arrestation d’Augusto Pinochet, des enquêtes sur les disparus espagnols en Argentine et au Chili ainsi que sur des affaires de corruption dans la classe politique espagnole, en résumé il n’a pas peur de finir sur un croc de boucher.

Notre ami a donc comparu aujourd’hui pour ses enquêtes (ouvertes en 2008) sur les quelques 114000 républicains disparus sous le règne de Franco. Des associations d’extrême droite l’accusent, ce faisant, de violer la loi d’amnistie de 1977 qui n’est ni plus ni moins que du négationnisme institutionnalisé. Le Tribunal est passé outre la demande de relaxe formulée par le parquet et Garzon encourt 20 ans d’interdiction d’exercer. L’affaire soulève quelques questions: tout d’abord celle que j’évoquais plus haut avec une perspicacité qui m’étonne moi-même, à savoir l’Espagne est-elle prête à affronter les fantômes du franquisme avec sérénité, et d’autre part est-ce que le kaki ne recommencerait pas un tout petit peu à revenir à la mode, à l’instar de la Grèce, qui saignée par la crise (et par ceux qui ont besoin d’un euro fort), s’est vue offrir un gouvernement très très à droite alors que le régime des colonels commençait à refroidir? L’Espagne aussi a beaucoup souffert de la crise, les Indignés se sont vus promptement évacués dès que le Pape est venu faire son malin cet été, et le très réac Mariano Rajoy a succédé à Zapatero à la tête du gouvernement. On sait que les périodes de crise favorisent les replis identitaires, quand ce n’est pas carrément l’extrême-droite, et sans vouloir faire d’amalgame, il est quand même juste de se demander si le jugement dont Baltasar Garzon va faire l’objet n’annonce pas une résurgence de sombres périodes de l’Histoire. Enfin, quand on aura fini de totalement décrédibiliser l’Union Européenne, Dassault vendra sûrement un peu plus de ses avions poubelles.

Dans un prochain épisode, nous nous réjouirons qu’un tel procès ne puisse avoir lieu en France. Chez nous, pas besoin de lois d’amnistie, on a le secret-défense, qui protège même les bétonneurs de TF1 contre les juges indélicats.

 

 

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