Plus féministe que moi…

 

« La femme est la moitié de l’Humanité amoureuse de moi »

Jonathan Hoesch, Dictionnaire solipsiste et mégalomane de l’expansion du Moi en milieu humide et tempéré

 

Ce qui est bien au Graoully Déchaîné, c’est qu’il n’y a pas de ligne éditoriale et qu’on est libre d’écrire ce qu’on veut, d’où une variété de sujets et d’angles de reflexion qui rendent le webzine d’autant plus vivant. Aussi, je fus quelque peu surpris de voir le nombre d’articles que mes copains rédacteurs ont consacré au même sujet ce weekend. Quoique cela ne fasse que six mois que j’ai revêtu les écailles de notre dragon légendaire pour y distiller mes divagations ethyliques et pseudo-philosophiques, je n’avais vu une telle unanimité. Et autant de temps je n’ai encore jamais répondu à un rédacteur quand j’étais en désaccord, mais là ils sont quatre alors je ne vais pas me priver.

Le sujet qui nous occupe est le retrait des affiches du film « les Infidèles » qui ont fait pousser les hauts cris aux féministes. Sans avoir vu le film, on peut penser au vu desdites affiches qu’il s’agit d’une énième comédie bien gauloise qui conte les péripéties de deux beaufs généreux du gland qui s’empresseront de retourner chez Bobonne quand ils se seront rassurés sur leur identité sexuelle, parce que si la morale ne gagne pas à la fin, ça se vend moins bien. Enfin pas de quoi fouetter un chat, d’ailleurs rien ne justifie de fouetter un chat, même un chat très con.

Tout d’abord, pas tout à fait d’accord avec les partisanes du retrait des affiches. On leur concèdera aisément que les panneaux étaient parfaitement vulgaires et aussi sexy qu’un baril de lessive sans adoucissant. Je comprends parfaitement le rejet de l’exploitation du corps à des fins publicitaires, mais c’est l’essence même de la pub de jouer sur la frustration pour créer un besoin inconscient. Plutôt que de demander une réclame « éthique » et soucieuse du respect de l’intégrité féminine, demandons plutôt la fin de la pub. (Christian Blachas a d’ailleurs commencé le boulot hier). On défend mal une cause à coups d’interdits et de récriminations, et à mon avis aucune femme ne se sent plus libre depuis que Decaux a remis des pubs pour les bagnoles. Autant le dire, en matière de féminisme, je me sens beaucoup plus proche de Frida Kahlo et d’Emma Goldmann que d’Isabelle Alonso et Elisabeth Badinter (qui dirige d’ailleurs une agence de comm’), parce qu’elles étaient de vraies libertaires qui ont compris que la liberté n’est pas un règlement intérieur mais une pratique quotidienne.

Aussi, je pense que les féministes, dont on ne doit pas oublier l’exceptionnel travail sur le terrain, gagneraient à être plus pédagogues. Le meilleur moyen de lutter contre le déterminisme du genre reste l’éducation, et c’est vrai que nos institutions patriarcales ne facilitent pas la tâche, en dépit des propos « civilisateurs » de Claude Guéant. Il faut également garder à l’esprit que même si les hommes ont le beau rôle dans ce déterminisme, ils en sont tout autant des victimes. Il suffit pour s’en convaincre de penser que tous ne sont pas disposés à entrer dans le carcan du mâle viril avec plein de poils. En vérité je vous le dis, la virilité vulgaire, le poète s’en bat les couilles avec une plume de cygne et lui préfère sa racine étymologique la virtu, qui a aussi donné le vocable virtuosité avant que les monothéismes ne transforment l’homme en variété brutale de singe mû par ses hormones.

Ensuite, pas d’accord avec mes collègues rédacteurs. Curieusement, en s’insurgeant avec raison contre le retour à l’ordre moral et au puritanisme, tous ont amené le débat sur le terrain de la liberté sexuelle, et ont trouvé que les féministes poussaient le bouchon un peu trop loin. Comme l’a observé Blequin, la femme sur l’affiche est désincarnée, et il est difficile de juger de sa liberté en ne voyant que ses jambes. Je partage déjà moins les convictions morales sur l’adultère, mais je trouve qu’un homme qui parle de la liberté pour une femme de disposer de son corps s’aventure sur un terrain glissant. D’abord, parce qu’on pourrait penser qu’il prêche pour sa paroisse (en l’occurence masculine et hétérosexuelle), ensuite parce que cela sous-entendrait que les féministes seraient des hystériques bitophobes à ranger dans le même camp que les ayatollahs.

Il faut dire que les données du problème sont biaisées, par la faute de Freud l’obsédé qui a décidé de faire un concept universel de ses propres névroses, et la lutte pour l’égalité des sexes devrait être rebaptisée « égalité des genres », quitte à faire de la peine à MM Vanneste et Daubresse. C’est aussi oublier que le féminisme est certes un combat pour la réappropriation de leurs corps par les femmes (et dans liberté sexuelle, il y a aussi liberté de ne pas donner son corps), mais c’est aussi et avant tout un combat social, qui s’exerce dans le domaine du travail avec l’égalité des salaires et de l’accès aux responsabilités, du couple avec la répartition des tâches ménagères, l’éducation de la marmaille et la fable de l’instinct maternel, dans l’art avec la démystification du thème de la Muse qui est un avatar mythologique du « sois belle et tais-toi », j’en passe et pas que des meilleures. Défendre les affiches des « Infidèles » sur le thème de la bien-pensance qui gagne du terrain, c’est aussi répeter l’argument des publicitaires qui disent exactement la même chose quand on les traite des bas de plafond parce qu’ils se sentent obligés de mettre un mannequin dans une pub pour un yaourt. Même Eric Zemmour déblatère sa misogynie et son racisme au nom de la liberté d’expression, ça ne justifie pas ses propos pour autant.

Toutefois, comprenons-nous bien: il n’est absolument pas répréhensible d’être un obsédé sexuel (dans les limites de la loi quand même). Moi-même je tiens le catalogue de Victoria’s Secret pour l’une des plus grandes inventions du génie humain, loin devant l’I-Phone et le satellite qui permet de regarder des gens s’ennuyer dans la rue sur Google Street. Mais, chers amis rédacteurs, ce n’est sûrement pas à nous seuls de décider de ce qui libère nos soeurs et ce qui les asservit, on ne peut qu’apporter notre aide et notre indéfectible soutien, en attendant les lendemains qui chantent sur d’ineffables sommiers qui couinent.

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