Comment l’esprit vient aux femmes (de dictateurs)

 

« Quiconque va trouver un tyran devient son esclave, même s’il est venu libre »

Sophocle

 

Même quand on n’allume plus la télé de peur de tomber sur Laurent Ruquier ou sur Nicolas Sarkozy, les deux goules du temps d’antenne, les sangsues du petit écran, qui donnent envie de consacrer l’argent de la redevance à l’achat d’un lance-flammes, on a du mal à ne plus ramener tous les malheurs du monde à leurs sales trombines. Au diable les calembours poussifs dans lesquels même un Carambar refuserait d’être emballé, et foin des nabots bourrables qui couinent « j’ai changé » à chaque scrutin, à nous les hautes sphères de la poésie et le voyage historique ou scientifique sans conséquence pour le bilan carbone autre que les millions de clopes qui jalonnent  les  paragraphes par groupes de trois. Alors on s’arme de patience et d’une lampe-torche pour explorer la grotte où, malgré la quantité astronomique de papier imprimé qu’on dévore mensuellement, on entrepose tous les livres qu’on s’était promis de lire sitôt qu’on aura un peu de cerveau disponible.

J’ai donc pris un livre, et coup de bol il était passionnant: « Femmes de dictateur » (tome 1 sur 2) de Diane Ducret. Dans un style oscillant ironiquement entre le roman à l’eau de guimauve et le document historique, l’auteur nous conte par le menu la vie amoureuse de Mussolini, Bokassa, Lénine, Staline, Ceaucescu, Mao et Hitler, et de toutes les femmes qui ont parsemé leurs parcours sentimentaux, de leur prime jeunesse de militant ou de brigand anonyme à leur accession aux irresponsabilités. Le sujet peut sembler aride, mais comme disait je ne sais plus quel lèche-bottes en mal d’affection, derrière chaque grand homme il y a une femme. Pour être honnête, il y en a même plusieurs: rares sont les dictatures qui ne cultivent pas la virilité exacerbée au détriment de la reproductrice qui offre son utérus à la gloire de la Nation (même dissimulée dans le bleu de travail de l’ouvrière émancipée par le socialisme), et rares sont les dictateurs qui se conforment aux grands principes qu’ils professent. Le chapitre le plus symptomatique est celui concernant Mussolini. Le Duce considérait que la foule était féminine, et qu’il fallait la séduire, non pas en lui chantant le best-of de Julio Iglesias à la mandoline sous son balcon, mais en la violant.

Il paraît que le pouvoir rend beau. C’est encore plus vrai dans une dictature, où le culte de la personnalité et la propagande ont tôt fait de transformer un trumeau décati en playboy doué d’une aura chevaleresque. Mais ce n’est pas une raison pour penser que les groupies des dictateurs sont des oies blanches: parmi les compagnes de Mussolini et de Lénine notamment, on trouve nombre de militantes féministes et révolutionnaires issues du gratin intellectuel européen, qui se sont laisser griser par l’énergie dégagée par les avatars du Surmâle ( si vous avez aussi une grotte d’ouvrages inlus, cherchez-y Alfred Jarry, c’est juste à côté d’Alphonse Allais). On déduit finalement que la seule constante entre toutes ces compagnes d’autocrates, qui sont si différentes par leurs origines sociales, leurs milieux culturels, leurs engagements politiques, et leur « potentiel de séduction » public et privé, c’est d’avoir été volontairement ou non des outils politiques aux mains de leurs jules. A moins d’avoir été elles-mêmes des candidates au pouvoir personnel comme Elena Ceaucescu ou Jiang Qing.

La page 419 de l’ouvrage précité tournée (en édition de poche), et le livre sorti de la grotte, on revient à notre obsession initiale, surtout pour le plus petit et le plus hétérosexuel des deux crétins du paragraphe inaugural. Peut-être est-il abusif de dire que Sarkozy est un dictateur, on se contentera de spéculer sur son absentéisme aux cours de droit constitutionnel lors de sa vie estudiantine vu son mépris pour la séparation du pouvoir, et on s’arrêtera à gloser sur son exercice légèrement autiste du même. En tout cas, une chose est certaine, il a une épouse et elle aussi, elle est entrée en campagne. Voilà une jeune femme, enfin comparée à Bernadette Chirac, qui se disait il y a encore peu de temps « épidermiquement de gauche », qui n’envisageait la monogamie que comme un état transitoire, et qui pour un ancien top-model avait des lettres. Quelques années d’hymen avec le candidat de la France forte, et voilà Madame botoxée comme un Bogdanov, premier soutien du président le plus réac et le plus antisocial de la Vè république, qui trouve tout ce que fait l’UMP merveilleux et qui regarde « Plus belle la vie » tellement ça ressemble à la vie des pauvres et tellement ça nous aide à garder un lien avec la réalité la plus éloignée du VIIIè arrondissement. D’ailleurs, Carlita est tellement représentative de la culture ouvrière que le maire de Nogent sur Marne envisage d’ériger une statue à son effigie pour rendre hommage aux plumassières.

On sait que la maternité et son cortège d’émerveillement forcé ne contribuent qu’en de très rares cas à l’élévation de la pensée, et que l’amour peut mettre des oeillères roses au plus vigilant des séditieux, mais peut-on penser que Carla Bruni est vraiment sincère quand elle prend fait et cause pour son petit père du peuple? Son image de femme libre était-elle savamment étudiée ou la Première Dame est-elle rentrée dans le rang à son corps défendant? Et si la foule est vraiment féminine, peut-elle encore être séduite après cinq ans de sévices et de maltraitances? Peut-on encore pratiquer la politique en faisant abstraction de sa composante féministe? Impossible de répondre depuis l’obscurité de ma grotte. Peut-être vais-je chercher la réponse dans « Plus belle la vie ».

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