« Mon légume préféré, c’est le tabac »
Frank Zappa
Comme c’est le weekend et qu’on est plus soulagé de la glande démocratique qu’il y a une semaine, on ne va pas se fracturer le neurone métaphysique. Quand l’idée de cette chronique a commencé à germer dans mon esprit, il faisait une chaleur accablante et j’avais grand besoin de rosé frais. A peine sorti de mon échoppe de quartier, la pluie avait fait son retour, et au bord de la déshydratation, je me demandais combien de gouttes tombaient au mètre carré et si leur répartition obéissait à un schéma particulier. Certes, la question est d’un intérêt très relatif et la réponse ne bouleverserait pas l’avenir de l’humanité ni le sort des malheureuses bouteilles que je portais, mais comme nombre de mes concitoyens, j’aime enlever sa laisse à mon esprit et le laisser gambader dans les champs de la futilité. Je tiens d’ailleurs « l’Encyclopédie du Dérisoire » de Bruno Léandri, ce panthéon des enculeurs de lépidoptères, pour un sommet de la connaissance.
Mais pour certains, l’accouplement contre-nature avec les mouches n’est pas suffisant, il leur faut en plus asséner une rude séance de SM à ces malheureux insectes pour satisfaire leur imagination. Car rien n’est plus dangereux qu’un ouvrier de l’insignifiant quand il est mû par le désir d’oeuvrer au bonheur de son prochain, qui au demeurant n’avait rien demandé.
Ainsi, pendant que le Conseil Constitutionnel se torture les méninges avec des fariboles comme le harcèlement et les violences sexuelles, une bande de désoeuvrés qui trouve que les tribunaux ne sont pas assez encombrés a cru malin de saisir la cour d’appel de Paris pour qu’elle juge si oui ou non il est légal de fumer sur une terrasse couverte et protégée par des bâches. Les requérants, groupés sous la bannière de l’association Droits des Non Fumeurs, nous ont ainsi rappelé qu’il existe en France deux sortes de citoyens: les fumeurs, sorte d’espèce invasive qui refile le cancer passif à tout le monde par pure malignité, et les non-fumeurs, minorité opprimée qu’on oblige à s’asseoir à l’arrière des bus et qu’on voue aux taches les plus ignominieuses pour qu’ils gardent bien à l’esprit qu’ils ne sont pas comme nous.
Le juge d’appel a confirmé la décision de la première instance et a renvoyé nos amis étudier leur évangile, la loi Evin de 1991 et l’arrêté Bertrand de 2006, estimant que l’association n’apportait pas la preuve que les terrasses étaient des lieux couverts et fermés. Alambiqué, mais beau comme l’antique. Je vous passe les détails de l’arrêt de la Cour d’appel par égard pour les mouches, sachez juste que Droits des non-fumeurs a décidé de mégoter (s’il y a une ligue des droits des anti-calembours, vous pouvez me faire un procès) et de se pourvoir en cassation.
Mais au fond comment décide t-on de s’engager pour un monde sans clopeurs? Je suis allé faire un tour sur le site de DNF pour comprendre leurs motivations, si ça c’est pas de l’investigation, je postule au Figaro Madame. Au fond, sur certains points, les anti-fumeurs n’ont pas tort: la cigarette tue, rend stérile (est-ce vraiment un inconvénient?), provoque des maladies cardio-vasculaires et toutes les calamités qu’on voit sur nos paquets de clopes illustrés par de belles images à faire passer Charles Manson pour le cinquième Teletubby. L’industrie du tabac est aussi l’un des plus puissants lobbys du monde, et faute de débouchés en Europe où les législations sont de plus en plus restrictives, elle vend sa camelote dans les pays pauvres. L’Etat qui en a bien profité quand il avait le monopole de la distribution tire toujours d’importants subsides de la vente de clopes, mais la gamme de maladies provoquées par les schmers (cigarette en platt pour les non-mosellans) coûte cher à la Sécu, encore qu’il est hasardeux d’attribuer ces maladies au seul tabagisme en occultant l’alimentation, le style de vie, la pénibilité du travail ou de la misère. Et la clope ça pollue, ça troue la couche d’ozone presque aussi vite qu’une usine ou que les millions de bagnoles dont ne sauraient se passer la plupart de ceux qui ont la flemme de marcher. Bref, la clope, il faut bien l’admettre, n’a pas que des avantages.
Là où le bât blesse, c’est que DNF a des méthodes pour le moins réactionnaires, et encore c’est le weekend je pèse mes mots. Rien que le nom de l’association évoque une victimisation qui frise l’exagération et la paranoïa. Sauf erreur de ma part, on n’a jamais vu de pogroms de non-fumeurs, et quand les diverses mesures visant à interdire le tabac dans les lieux publics ont été adoptées, on n’a pas vu de manifestations dans les rues, sauf des buralistes qui ne sont qu’une variété d’épiciers comme les pharmaciens (on dit bien des comptes d’apothicaire) et qui abritent leur profit sous le vocable toujours pratique de liberté. Pauvre liberté que l’on accommode à toutes les sauces pour les motifs les plus débiles. D’ailleurs, emboîtons le pas aux épiciers pour rappeler que fumer est aussi légal et est aussi une liberté, et que la simple politesse commande de s’enquérir auprès du non-fumeur de sa tolérance à la fumée, alors que jamais un non-fumeur ne demande à un fumeur s’il supporte l’air pur. Faute de pouvoir compter sur la politesse ni d’un côté ni de l’autre, il a bien fallu légiférer pour se répartir l’oxygène, l’azote, l’argon, le dioxide de carbone, l’hélium et autres éléments qui constituent l’essentiel de l’atmosphère.
Et c’est vraiment là que DNF m’énerve, d’ailleurs si je n’avais pas vu ce lien sur leur site je n’aurais pas écrit cet article et je me serais contenté d’assister distraitement à l’agonie du FC Metz en lisant Jack London. Mais nos chers camarades soucieux du bien commun et de la santé publique appellent carrément à la délation. Pas besoin de chercher longtemps sur leur site, on trouve un lien qui propose de constater les infractions à la loi Evin et de déposer une plainte. Mais c’est Claude Guéant qui les a reconnu d’utilité publique ou on donne ce statut à n’importe quel pékin qui prétend oeuvrer à la salubrité?
Qu’on ne tolère pas l’odeur des cigarettes, je le conçois, moi-même je lutte quotidiennement contre les gens qui cuisinent des choux de Bruxelles ou des tripes à la mode de Caen en laissant leur fenêtre ouverte. Qu’on s’inquiète pour la santé publique, parfait, c’est d’ailleurs un chantier gigantesque, entre le nucléaire et les hydrocarbures, l’agriculture productiviste, la santé au travail, la prévention, la surconsommation, je pose mon verre et j’applaudis des quatre mains. Par contre, l’appel à la délation donne à ce combat des petits relents hygiénistes de très mauvais goût. Et après, on passe à quoi? La fédération pour les droits des non-buveurs non-conducteurs, car les accidents de voiture entraînent aussi la mort par alcoolisme passif? La ligue des droits des non-parents, qui ne veulent plus souffrir les rires d’enfants? La coalition des non-voyageurs, qui ne peuvent plus pâtir des photos de voyage de leurs amis? Et a t-on vraiment besoin d’embêter un juge pour ça? Non-fumeur, non-fumeuse, mes amis, je vous en prie, ne devenez jamais aussi chafouin que ces frustrés qui ne conçoivent la liberté qu’à l’aune de leurs propres critères.
Sept cigarettes ont été fumées pendant la rédaction de cet article, et aucun non-fumeur n’a été maltraité.
Bon, on résume: le problème en ville, ce n’est pas la pollution des chauffages au fioul, ni celle des voitures ou des usines, c’est les clopeurs!
Surtout quand ces gentils culs-bénis ne sont pas aussi virulents contre d’autres fleaux comme les gens qui ne se lavent pas et qui vont en club car entre l’odeur de transpiration et l’alcool…on regrette la clope.
Je dis ça mais je dis rien: je ne vais dans les bars qu’en terrasse et je vais plus en club à cause de ça…
Je précise que je ne bois pas une goutte d’alcool mais que je fume, donc je suis une grande hérétique.
ET en plus, cela ne me gène pas que les autres boivent, moi!
Tant qu’ils sont heureux comme ça!
Amicalement
C’est vrai que l’odeur de transpiration est pénible en club, mais le pire fléau, c’est la musique qui y est diffusée!