Au service secret de sa Majesté le Marché

 

Shocking au G20. Pendant que les représentants des pays riches se la coulent douce au Mexique en se demandant qu’inventer pour sauver l’euro et vaincre la crise sans blasphémer le dieu Marché, le premier ministre anglais qui a dû abuser du peyotl dans son thé décide de s’asseoir sur l’Entente Cordiale, et se déclare prêt à dérouler le tapis rouge aux entreprises françaises qui souhaiteraient échapper à la politique bolchevique du camarade Hollande, et à ses 75% d’imposition. Ce n’est pas la première fois que Cameron fait le coup: il avait déjà tenté d’attirer les exilés fiscaux potentiels quand Sarkozy faisait semblant de défendre la taxation sur les transactions financières.

De ce côté-ci du Channel, l’UMP qui se cherche un chef et une doctrine ne se sent plus de joie. On vous l’avait bien dit, que le socialisme c’est l’irresponsabilité, la faillite, le gaspillage des deniers publics, et la fin de la liberté de faire du fric sur le dos des autres, qui est la seule liberté que connaît la droite dans le monde. Sauf que, en reprenant la vieille antienne de l’impôt qui paralyse la créativité des entrepreneurs et des forces vives de la Nation, Cameron ne confirme pas le diagnostic des savants économistes umpistes mais poursuit l’affolante fuite en avant de la droite européenne vers le populisme le plus gluant.

Premièrement, Cameron sait aussi bien que François Hollande que la taxation à 75% a aussi peu de chances de voir le jour qu’un bon film de Bernard-Henri Lévy: un tel taux aboutirait à des impositions globales supérieures à 100% (et oui, c’est possible), et ne passerait jamais le Conseil Constitutionnel, où siège en plus depuis hier Nicolas Sarkozy. Alors certes, les impôts vont augmenter, mais ils ont aussi augmenté lors du dernier quinquennat quoiqu’en disent Copé et consorts. A cette différence près qu’ils ont jusqu’à présent pénalisé la consommation et frappé les fameuses « classes moyennes » chères au coeur du docteur Wauquiez, le cancérologue de la société, et seule l’éventualité d’un soubresaut de la croissance permettra de juger de l’efficacité de la mesure socialiste.

Ensuite, en draguant les bourges et en leur promettant l’étoffe de pourpre pour adoucir le contact de leurs petits petons sur le dur sol britannique, Cameron admet implicitement que son pays est un paradis fiscal. C’est un secret de polichinelle: il y a beau temps que la City est le coeur économique du Royaume-Uni, avec son cortège de traders fous, de chambres de compensation, et d’argent qui n’a pas d’odeur. Cette attitude prouve que la fameuse liste noire des paradis fiscaux dont on nous a rebattu les oreilles en nous promettant que plus jamais ça, salauds de financiers on va vous pendre avec les tripes des agences de notation, n’était que poudre aux yeux et attrape-nigauds.

Pour autant que je sache, les îles Caïman n’ont pas connu de soudaine désaffection des clients soucieux de remettre leur argent dans le circuit économique, le Luxembourg n’a pas créé de tribunal spécial pour les banquiers indélicats, et la Suisse continue de balancer les salariés de ses banques aux autorités américaines pour ne pas avoir à lever le secret bancaire. Bref, le G20, les sommets de la dernière chance, la moralisation de la finance, les procès de Madoff et de Kerviel ont eu autant d’effet sur l’économie que le sommet Rio+20 en aura sur la lutte contre le changement climatique, et si vous voulez mon avis, les ours polaires vont devoir s’adapter au climat méditerranéen avant que la finance trouve le mot éthique dans le dictionnaire.

Pendant ce temps, la Grèce, et bientôt l’Espagne et d’autres, se font dépouiller par les marchés avec un acharnement plus cruel que le dépeceur de Montréal à l’encontre de ses victimes, parce qu’elles sont endémiquement endettées et peinent à emprunter à un taux d’intérêt décent sur les marchés, en attendant que la Banque Centrale Européenne sorte du dogme qui veut que l’inflation, c’est pire que Gengis Khan, Al-Qaïda et la gastronomie britannique réunis.

Deuxièmement, Cameron n’est pas seulement un menteur et un allié objectif des anges fiscaux (s’il y a des paradis fiscaux, il doit bien y avoir des anges fiscaux ou alors je ne comprends rien à la liturgie). C’est aussi un fieffé populiste qui essaie d’acheter l’approbation de ses concitoyens en entubant l’Union Européenne. Le Royaume-Uni n’a jamais voulu de l’euro pour d’obscures raisons d’insularité multiséculaire, et surtout parce la livre sterling est bien plus forte, mais ne crache pas sur les aides européennes: demandez à Mamie Windsor si la PAC ne l’aide pas à arrondir ses fins de mois et à organiser des pique-nique pour son jubilé. Soit, admettons, les Anglais ne veulent rien faire comme tout le monde, c’est leur choix et c’est même plutôt sympathique.

Mais que Cameron ait l’outrecuidance de dire que les exilés fiscaux français permettront de financer les écoles et les hôpitaux anglais, là excusez-moi, mais je pouffe, je m’esclaffe, je me tords de rire mais quand même moins qu’en regardant les Monty Python. Depuis quand le chantre du conservatisme et de l’ultra-libéralisme british s’intéresse à la dépense publique et au sort des fonctionnaires et des usagers des services publics moribonds? Il a déjà oublié les émeutes de Tottenham d’il y a un an? Il a oublié les grèves de l’hiver dernier pour les retraites, les plus massives depuis le règne de sinistre mémoire de la Dame de Fer? Ou vient-il de découvrir les vertus du keynesianisme?

Après coup, quand on a fait remarquer au Prime Minister qu’il avait eu un comportement pour le moins cavalier, il a répliqué qu’il plaisantait « à moitié ». Je vous laisse deviner dans quelle moitié se situait la blague.

 

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