Si j’en crois mon dictionnaire d’étymologie, diva proviendrait du latin et signifierait déesse. Je m’en doutais un petit peu mais c’est toujours bien de vérifier. A titre d’exemple, le commérage était autrefois synonyme de baptème, alors qu’il renvoie aujourd’hui à de basses médisances qu’on ne prête grossièrement qu’aux femmes: on n’a jamais entendu parler de compérage pour désigner le colportage de ragots de la plus basse espèce. Pourtant, pour défier l’étymologie, (parce que les plus belles sont celles qu’on invente soi-même), je vais moi-même me livrer au commérage sur deux divas à qui je souhaite une franche extinction de voix.
Commençons par Madonna. La mémé de la pop aseptisée (ce n’est pas en écoutant ses chansons qu’on risque d’attraper une maladie nosocomiale tant c’est stérile) a remarqué que le béret du Che dissimulait avantageusement ses rehauts botoxiques. « Bon sang mais c’est bien sûr », s’écria t-elle en se frappant le front pour redresser une arcade sourcilière qui se faisait la malle. Depuis son concert à l’Olympia d’avant-hier, le monde ébahi a donc appris que la madone était révolutionnaire. Tremblez dictateurs et autocrates, numérotez vos abattis, agences de notation et patrons voyous, prépare ton exil, Bachar El-Assad, Madonna a mis le couteau entre les dents. Pouf pouf. L’histoire ne précise pas si Hugo Chavez s’est fendu d’un featuring au charango pendant que Mélanchon taquinait les platines, ni si la Vème Internationale survivra à la controverse sur le matérialisme dialectique entre Miley Cyrus et Lady Gaga.
Reste que pendant que 2500 dindonneaux se faisaient plumer par la Madone à l’Olympia (de 80 à 300 euros selon les sources pour 45 minutes de concert), il y a de vraies révolutionnaires qui croupissent en calèche un peu partout dans le monde. Par exemple en Russie, Poutine garde au frais depuis quatre mois trois membres du collectif féministe Pussy Riot, car ces dernières ont scandé une « prière punk » dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou pour protester contre l’énième élection truquée du « plus pur démocrate du monde » et contre le patriarcat intégriste de l’Eglise orthodoxe qui est aussi portée sur l’humour et la gaudriole que sa collègue vaticanaise. Même les clients de ladite Eglise trouvent que la sanction encourue par nos amies punkettes (sept ans de zonzon pour hooliganisme) est un peu tirée par l’iroquoise. Pendant que Madonna affirme ne pas vouloir se fâcher avec Marine Le Pen, Sting et les Red Hot Chili Peppers ont clairement affiché leur soutien à Pussy Riot lors de leurs derniers concerts moscovites. Et pendant que Madonna remarque à juste titre que la pauvreté entraîne l’intolérance, faisons-lui remarquer que pour être malheureux et intolérant, nul n’est besoin de mendigoter sur la place Syntagma, il suffit d’écouter une de ses insipides soupes au chou de Bruxelles sans avoir bu les deux litres de vodka préalables à une telle expérience.
Mais cessons de nous moquer des personnes âgées, et revenons dans nos frontières où l’on est si bien. Ségolène Royal, la première Ex de France, aurait déclaré que si Najat Vallaud Belkacem s’était appelé Claudine Dupont, elle n’en serait peut-être pas là aujourd’hui. Premièrement, je dis bien « aurait déclaré » parce qu’aujourd’hui une interview est nettement moins irréfutable qu’un tweet. Deuxièmement, si Najat s’était appelée Claudine, il serait beaucoup plus malaisé de l’imaginer faire des batailles de polochon en nuisette avec Fleur Pellerin. Mais je m’éloigne de mon propos.
Il est facile à concevoir que Ségolène Royal, après la gifle des législatives, soit un tant soit peu aigrie. On pourrait penser de prime abord que si elle était restée bien gentiment dans les Deux-Sèvres à veiller à la qualité du Chabichou et à la bonne santé du Marais Poitevin, elle n’en serait pas là aujourd’hui, c’est du moins les propos les plus courants dans les commentaires odieux que j’ai pû lire sur cette affaire. Il n’en reste pas moins qu’être une femme et avoir de l’ambition politique est encore un chemin de croix dans notre prestigieux pays des Droits de l’Homme (et de la femme si on a le temps). Mais j’ai quand même du mal à comprendre, en dépit des défaites électorales, en dépit des humiliations privées qui tombent dans l’espace public, et en dépit du fait que je sache que quand on a appris la politique chez Mitterrand on est pas à une crosse près, comment on peut se réduire à faire du sous-Marine Le Pen, avec toutes les réserves exprimées dans le paragraphe précedent sur la véracité des propos tenus par madame Royal.
Et cette petite tache de caca sur la robe virginale de l’ex-prophétesse de la fra-ter-ni-té (la scansion est importante) raffermit ma convition que les féministes, plutôt que de réclamer la parité et une égalité numérique parfaite entre mâles et femelles dans tous les domaines de l’existence (ce qui, au passage, laisse de côté, tous ceux et celles qui n’ont pas envie de choisir entre un genre et l’autre) feraient mieux de lutter pour l’abolition de toutes les formes de pouvoir, dans le « landerneau » politique, dans le monde des arts, et partout ailleurs.
Ainsi, plutôt que de subir l’immonde potage de Madonna, on écouterait avec profit les avatars de Bikini Kill et de Patti Smith, et plutôt que de se faire tanner le cuir à coup de France éternelle et de majorité des trois cinquièmes au Congrès pour modifier la Constitution et pour sauver les banques et les fabricants de bagnole, on pourrait se consacrer à des activités autrement plus intéressantes, comme la bataille de polochon.
Et comme le disait Pierre Desproges dans « Des Femmes qui Tombent », plutôt que d’être « moyenne avec intensité, plus commune qu’une fosse, et d’une banalité de nougat en plein Montélimar », on pourrait avoir le groin barré d’un perpétuel sourire de joie de vivre. Parce que la révolution avec Madonna et Ségolène Royal, c’est un peu comme la parité à l’Assemblée: c’est pas demain la veille.