On dirait le Sud…

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Et oui, le professeur Blequin est de retour après deux mois de vacances ! Après dix mois de tension nerveuse, il me fallait bien ça…

Je présume que beaucoup d’entre vous, pendant ce temps, sont descendus sur la Côte d’Azur pendant leurs congés payés, non ? Ne niez pas, les routes qui mènent jusqu’à cette région sont toujours surencombrées au début et à la fin de l’été (sans parler du chassé-croisé entre juilletistes et aoûtiens), il y en a donc forcément quelques-uns parmi vous à avoir été dans le tas.

Bon, donc, vous avez passé vos vacances sur la côte d’Azur, comme chaque année…et vous êtes rentré chez vous en vous jurant bien que c’était la dernière fois que vous partiez en vacances là-bas, comme chaque année. Pourquoi ? Je m’explique : pendant onze mois, vous avez trimé comme un con, enfermé dans une usine ou dans un bureau avec d’autres galériens, accomplissant pour un salaire dérisoire une tâche ingrate et subissant les foudres de quelque petit chef hargneux ; une seule chose vous rendait supportable cette misère noire : l’espoir de vacances bien méritées au soleil, avec son délicat cortège de plage, de pétanque et d’apéros en terrasse. Alors, sans plus réfléchir, vous êtes monté avec femme et enfants dans votre voiture, avec toutes les affaires nécessaires à ce genre d’exil volontaire, direction la seule région de France où le ciel bleu est garanti, la Côte d’Azur. Et c’est là que le rêve a commencé à virer au cauchemar…

Passons sur la corvée du chargement de la voiture, qui peut prendre à elle seule une journée entière et fait de votre première journée de liberté un « jour zéro » au cours duquel vos allées et venues bras chargés virent au calvaire, la difficulté étant accrue par les trépignements des enfants qui s’emmerdent en attendant le lendemain, tant ils étaient impatients d’enfin pouvoir partir après des semaines sans école. Vient ensuite le jour du départ, jour d’un stress n’ayant rien à envier à celui que vous avez connu tous les jours au boulot : toute une journée au volant, sous une température qui ne fera que croitre au fur et à mesure de votre progression inéluctablement ralentie par « tous ces connards qui partent en vacances au même moment », avec pour seules distractions les gosses qui vous demandent toutes les cinq minutes « Quand est-ce qu’on arrive ? Quand est-ce qu’on arrive ? », les conneries de la bande FM, et en guise de pauses les arrêts-pipi dans des toilettes publiques à l’hygiène douteuse et, bien sûr, le casse-croûte, soit un pique-nique vite fait et mal digéré dans une aire de repos sordide où les routiers laissent ronfler leurs moteurs, soit un repas dans un restoroute bon marché qui vous ferait presque regretter la cantine du boulot…

Une fois arrivé sur place, effectivement, le soleil est au rendez-vous : vous en aurez en tout cas eu plus que tout le monde, surtout si vous êtes aoûtien. Vous en aurez même eu trop car c’est seulement arrivé sur place que vous vous rendez compte que vous ne supportez pas qu’il fasse plus de 30 degrés à l’ombre : vous n’appréciez même pas les orages qui éclatent de temps à autre et rafraîchissent un peu l’atmosphère puisque vous passez ces jours de gros temps coincé dans votre tente, dans votre caravane ou dans votre location à essayer de distraire vos gosses rendus impossibles par la nervosité ambiante qui s’abat nécessairement sur toute région en même temps que l’orage… Parlons d’ailleurs de votre logement de vacances : si vous avez choisi le camping, non content de constater que le confort sous une tente ou dans une caravane n’égale pas celui de votre lit douillet dans votre désormais lointain foyer, vous n’échapperez pas à la promiscuité avec les beaufs en casquettes Ricard ou en bobs 51 qui mettent la radio à fond et braillent comme des sauvages dans leurs portables, et n’ont pour réponse à vos éventuelles récriminations que « faites pas chier, c’est les vacances ! ». Vous choisissez la location ? Oh, malheureux ! Enfin, libre à vous de goûter aux joies d’une literie minable, d’une vaisselle abîmée, de meubles mal entretenus et d’une installation de plomberie catastrophique avec, par-dessus le marché, une minuscule lucarne d’où on distingue à peine la mer en guise de « vue sur la mer » promise. « Location, piège à cons ! » affirmait, péremptoire, le regretté Reiser…

Concernant la mer, vous ne tarderez pas à constater amèrement que vous n’étiez pas seul à rêver de cette mer toute bleue sous un soleil dardant ses milles feux : outre les beaufs susnommés qui n’ont pas appris les bonnes manières durant leur trajet du camping à la plage, il faut compter sur les joyeux cris aigus de leur marmaille s’ajoutant à ceux de vos enfants, vous faisant goûter ainsi ce que subit toute l’année l’instituteur d’une classe dissipée. Sont également au rendez-vous les étudiants boutonneux qui travaillent l’été pour payer leurs études et se reconvertissent pendant vos congés en marchands ambulants qui braillent pour se faire entendre et faire le meilleur chiffre d’affaire possible ; notez que ce ne sont pas les pires, les escrocs poussant autour des plages en été comme les champignons dans les forêts en automne : vous ne serez pas long à constater que tout est plus cher que le restant de l’année, à commencer par les produits de la supérette et les restaurants, autant dire là où vous ne pouvez pas ne pas passer au moins une fois, vous faisant allégrement filouter par des voleurs qui restent éternellement impunis…

Vous décidez de profiter d’être sur place pour faire du tourisme ? C’est comme vous le sentez… Non, je n’ai pas la sévérité du cher Jérôme à l’égard de l’intérêt culturel de la région PACA : oui, je sais qu’il y a quand même des choses à regarder. Mais n’empêche. N’empêche que je peux vous dire, parlant sous le contrôle de notre amie Carmen qui réside là-bas toute l’année, que les grandes villes de la Méditerranée sont d’immenses mouroirs à ciel ouvert où des têtes chenues pleines aux as grillent au soleil le peu qu’il leur reste à vivre ; c’est déjà déprimant, mais le plus déprimant, c’est que pour pouvoir accueillir ces capitaux sur pieds, il a fallu urbaniser à outrance le pays, faisant du « typique » et du « pittoresque » provençaux, qui inspirèrent tant Giono puis Pagnol et firent la joie des premiers touristes, un lointain souvenir noyé dans le béton. Et pour que les vieux os des culs cousus d’or puissent se réchauffer sans avoir à craindre les agressions, les édiles locaux ont bien évidemment recours à une présence policière que l’on peut poliment qualifier d’importante, donnant à vos vacances une ambiance légèrement paranoïaque qui n’a rien à envier à la surveillance permanente dont vous êtes l’objet au boulot…

Bref, vous êtes rentré chez vous (le retour constitue le même calvaire que l’aller, mais dans l’autre sens), vous êtes fauché, encore plus fatigué qu’en partant, et il y a des tonnes de factures qui vous attendent. Et vous vous jurez bien, comme chaque année, que c’était la dernière fois que vous descendiez sur la côté pour les vacances. J’ai bien dit « comme chaque année » car, quand vous reprendrez le collier, une fois passé l’échange de souvenirs entre collègues (chacun prenant soin d’embellir la réalité pour ne pas passer pour un crétin, bien entendu), reviendra le cortège d’emmerdements, d’ordres vociférés et de brimades qui vous avait donné à ce point l’envie de goûter au soleil de la Provence et qui ne manquera pas de vous en redonner l’envie au bout de onze mois, tant il est vrai qu’une galère en chasse une autre de la mémoire… Voilà pourquoi, chaque année, vous êtes toujours si nombreux à partir, à repartir, à re-repartir, à re-re-repartir et caetera pour la Côte d’Azur ; voilà également pourquoi, pendant que vous disiez « Adieu » aux crétins et aux escrocs que vous quittiez, ceux-ci pensaient très fort « à l’année prochaine »… Allez, salut les poteaux !

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