Avec Valls, les illusions ont de l’avenir

 

Prenons un peu d’avance sur notre chronique radiophonique du mercredi sobrement intitulée « Rendons Manuel Valls à l’UMP » (et gageons que d’ici mercredi il aura sorti une autre connerie pour alimenter cette saga). Marine Le Pen, fidèle à ses habitudes, a enjoint le bon peuple de France a conspuer le gouvernement qui allaite l’islamisme en son sein d’albâtre en accueillant des hordes d’immigrés barbares qui ne goûtent ni le jambon ni les aventures extraordinaires du petit Jésus (qui comme chacun sait, aime la France plus que nul autre pays). Pour pacifier le Moyen-Orient et pour redonner son lustre à la patrie des Lumières, rien de plus simple: il suffit d’interdire les signes distinctifs de religion de l’espace public.

Tout à l’euphorie de sa diatribe, et emportée par son élan, la cheftaine du FN s’est vue rattrapée par les vieux réflexes paternels et a ajouté, allez tant qu’on y est, enlevez-moi cette kippa, et les vaches seront bien gardées. (toujours rien sur la croix, sinon Jeanne d’Arc va arrêter de payer sa cotisation). Bref, du Le Pen classique en bois brut avec des barbelés autour et un mirador à chaque angle. Sur ce, notre vénérable ministre de l’Intérieur et des Cultes, lors du Nouvel An juif, a cru de bon ton d’encourager les croyants à arborer leur couvre-chef avec fierté. D’une, c’est religieusement absurde puisque la kippa renvoie étymologiquement à la crainte de dieu (dieu a t-il le droit d’avoir une majuscule dans l’espace public graoullien? Non, parce que je trouve qu’il se la ramène beaucoup en ce moment), et elle doit donc être portée avec humilité.  De deux, et c’est autrement plus important, depuis quand un ministre de la République laïque est habilité à ce genre de commentaire? On l’a déjà dit, l’État garantit la liberté du culte et prémunit les croyants contre la discrimination, mais c’est tout. Quoiqu’on sache la haute estime qu’il a de lui-même, Valls n’est pas l’intermédiaire céleste qui gère les relations entre le ciel et la Terre, fut-ce contre l’écumante Walkyrie de Saint-Cloud.

Manu a quand même fait la tournée des popotes monothéistes pour confirmer à chacune que les membres des clubs à la croix, au croissant ou à l’étoile de David pourraient continuer à suivre leurs prescriptions fashion dans les limites de la loi de 1905. On commence à penser que Sarko avait raison quand il disait qu’il avait « tué le job » de ministre de l’Intérieur: avec sa laïcité positive et les gages donnés à chacune des chapelles (qui s’y accrocheront avec bien plus de véhémence que la CFDT à un acquis social), ses successeurs se sentent obligés de faire au moins aussi bien. Manuel Valls, malgré son indéniable talent dans la veine « droite décomplexée qui n’a pas fait son coming-out mais ça commence à se voir » n’échappe pas à la petite ombre tutélaire de Sarkozy version bleu marine.

Et du coup, on commence à entendre à nouveau le slogan de cette vieille baderne de Malraux, qui voudrait que le XXIè siècle soit spirituel ou pas. Et c’est un fait, ce siècle n’a que douze ans, ce n’est encore qu’un adolescent boutonneux dans l’Histoire, et les intégristes de toutes les paroisses sont plus souvent dans les médias que Nagui et Michel Drucker réunis, au détriment de la majorité des fidèles qui ne demandent qu’à vivre et à croire en paix. La religion est redevenue un instrument de géopolitique très puissant, entre les fondamentalistes protestants des States, les barbus héritiers du 11 septembre et les tarés belliqueux des deux côtés de la frontière entre la bande de Gaza et Israël. Pour être juste, il n’y a pas qu’eux, les bouddhistes aussi savent oublier d’être non-violents, et dès qu’on mélange religion et politique, c’est le bordel.

Du coup, je me demande si en attendant que ce siècle à la con finisse sa crise d’adolescence (et d’identité), nous autres athées ne pourrions pas avoir aussi des signes distinctifs pour que le Ministre de l’Intérieur vienne nous faire des papouilles et nous apporter des croissants à Nouvel An. Pour les agnostiques qui, courageusement, ne se mouillent pas trop afin de ne pas hypothéquer leurs chances si jamais il y a quelque chose, un joli petit point d’interrogation à la boutonnière serait du dernier chic. Pour les mécréants, on pourrait porter un badge avec sa propre trombine, pour marquer la certitude que son existence ne doit rien à personne si ce n’est à l’évolution d’un singe arboricole et la rencontre fortuite entre un spermatozoïde et un ovule. Ou on pourrait confier la mission à un plasticien qui ferait ça très bien (mais pas à cette feignasse de Ben, à un vrai artiste).

Ainsi, Manuel Valls ne serait pas obligé de s’échiner à faire la tournée des églises alors qu’il y a encore tant de Roms à expulser et de corridas à aller voir. L’athée étant l’ennemi commun à toutes les religions, ces dernières pourraient ainsi communier dans la chasse au chien d’infidèle hérétique pour accélérer son transit en enfer, et arrêteraient provisoirement de se taper dessus.

Avant que ça ne dégénère pour de bon à cause de ma bonne idée, et puisque que personne ne semble décidé à délester les religieux de la moindre prérogative politique (hors celles du citoyen ordinaire), je tiens à apporter mon soutien plein et entier au gourou Thierry Tilly. On ne sait jamais, peut-être que dans mille ans le successeur de Manuel Valls viendra réveillonner au château de Montflanquin.

 

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