La B.D. fait son cinéma (4)

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Hier sortait Astérix et Obélix au service de sa majesté, l’occasion idéale pour parler une nouvelle fois des rapports qu’entretiennent la B.D. et le cinéma. Aujourd’hui, passons en revue les quelques grands noms du cinéma qui ont tâté de la B.D. et les quelques grands noms de la B.D. qui ont tâte du cinéma…

WINSOR McKAY

Saviez-vous que le génial créateur de Little Nemo n’est pas un pionnier que de la bande dessinée moderne mais aussi de l’animation ? Il est en effet le réalisateur d’un des premiers grands classiques du cartoon américain, Gertie the dinosaur (1914) : mister Winsor était sur scène, près de l’écran projetant les images du diplodocus femelle et commandait sa créature de papier en temps réel ! Imaginez que vous vivez à la veille de la première guerre mondiale et que vous voyez revenir à la vie un animal disparu depuis des millions d’années ! Si ça ne vous met pas comme deux ronds de flanc, je ne sais pas ce qu’il vous faut ! Mais là où Gertie the Dinosaur constitue une date dans l’histoire du cinéma d’animation, c’est que le film ne se résume pas à une simple curiosité foraine : Gertie a un caractère, elle pleure, elle se rebiffe, fait des niches à un éléphant… En somme, elle a une vraie personnalité et annonce déjà des personnages tels que Bugs Bunny ou Donald Duck ! On ne dit pas assez tout ce que nous devons à Winsor McKay…

TERRY GILLIAM

Le talent de graphiste de l’américain des Monty Python n’est pas totalement inconnu du grand public : il suffit de se souvenir de ses montages qui rythmaient le Flying circus ; au début des années 1960, il a publié de temps à autre quelques bandes dessinées dans le fanzine universitaire Fang. À la suite de sa rencontre avec John Cleese, Gilliam entreprit un voyage en Europe ; après être allé jusqu’en Turquie, de retour à Paris, où il avait rencontré Goscinny à l’aller, le futur Monty Python n’avait plus un radis et c’est donc afin de pouvoir se payer un billet de retour vers les États-Unis qu’i il publia dans Pilote deux pages intitulées « La Bonhommedeneigeologie ». En 1967, Gilliam est définitivement installé en Angleterre : une nouvelle période de vaches maigres débute et il demande une nouvelle fois à Goscinny de lui prêter main forte. Le créateur d’Astérix lui donne donc à illustrer un scénario de six pages de Fred, « Les ramoneurs » ; Fred n’avait pas encore créé Philémon et n’avait encore le droit qu’à écrire des scénarios pour d’autres dessinateurs, Goscinny craignant, à juste titre, que son graphisme très particulier ne prenne à rebrousse-poil les lecteurs de l’hebdomadaire. Il avait déposé le scénario des « Ramoneurs » sans même savoir qui l’illustrerait et n’a même jamais rencontré Gilliam ! Ce que c’est de nous, tout de même !

JEAN YANNE

On doit à Jean Yanne les scénarios des deux albums des dossiers du B.I.D.E. dessinés par Tito Topin ; écrite en 1969, caractérisée par un humour délirant, cette série contient de nombreuses allusions à la situation politique de l’époque : le B.I.D.E. (Bureau d’Investigations pour la Défense des Espèces) mène des enquêtes aux objectifs franchement farfelus, comme retrouver les langoustes qui ont disparu de la surface de la terre, l’enjeu étant vital puisqu’il s’avère qu’elles contiennent des vitamines de paix, ou chercher où se trouve l’infiniment bête, le tout sous la direction d’Astra Khan, le secrétaire de l’ONU. Tout un programme… Jean Yanne aurait même candidaté pour le prix Goncourt avec le deuxième album de la série : ces bons messieurs du jury ont dû avoir les cheveux qui se sont dressés sur la tête !

RENÉ GOSCINNY

Le créateur d’Astérix rêvait de devenir un Walt Disney français : c’est à cette fin qu’il fonda les studios Idéfix, dont sortirent deux dessins animés de long métrage de grande qualité, Les douze travaux d’Astérix et La ballade des Dalton ; malheureusement, ces studios n’ont pas survécu à leur créateur, aucun des associés de Goscinny, ni Georges Dargaud ni même Albert Uderzo, n’éprouvant de réelle passion pour le cinéma. Goscinny reçut tout de même, en 1978, un césar posthume pour l’ensemble de son œuvre ; il a également co-écrit avec Pierre Tchernia le scénario du film Le viager et caressait l’espoir d’adapter au cinéma Iznogoud avec, en vedette, Louis de Funès dans un rôle taillé sur mesure pour lui. Le film ne s’est jamais fait, faute de budget ; notez que Goscinny avait imaginé dans un premier temps une distribution absolument pharaonique, avec notamment Peter Sellers ! Parmi les comédiens dont il rêvait, seul Rufus jouera effectivement dans le film Iznogoud de Patrick Bradoué, film dont la mémoire du grand René se passerait bien…

PATRICE LECONTE 

Formé pour être cinéaste, le réalisateur des Bronzés et de Ridicule a d’abord fait de la bande dessinée pour gagner sa vie ; il a ainsi été un pilier des pages d’actualité du journal Pilote de 1970 à 1974 – il a également réalisé, pour le même journal, de nombreux récits plus ou moins longs, scénario et dessin. Il a même participé aux tous débuts de Fluide Glacial et les éditions Audie ont publié en 1979 un recueil de ses récits, intitulé Gazul & Cie. Une B.D. de Leconte est reconnaissable entre mille : graphisme très rigide, presque géométrique, et histoires réglées comme des horloges : sa contribution au 9ème art fait encore aujourd’hui figure d’OVNI. Il n’a pas persisté dans cette voie, la B.D. n’ayant jamais été pour lui qu’un pis-aller avant de faire du cinéma ; aujourd’hui, il ne reprend le crayon que très occasionnellement. Tant mieux ou tant pis !

GOTLIB

À l’instar de son père spirituel Goscinny, Gotlib a toujours été littéralement fasciné par le cinéma : il y a consacré certaines de ses meilleures Rubriques-à-brac et a créé la série Cinémastock avec Alexis. Il a même contribué à sa façon au Viager cité plus haut en réalisant les faux dessins d’enfant expliquant le principe du viager, et son nom figure au générique ainsi : « dessins du petit Gotlib ». L’occasion de faire du cinéma lui a été donné lorsque Patrice Leconte, qu’il a connu à Pilote, a réalisé son premier long-métrage. Gotlib a en effet co-écrit le scénario du film Les vécés étaient fermés de l’intérieur, qui se voulait une parodie de polar, à l’image des enquêtes du commissaire Bougret. Le film fut un échec, dont Gotlib n’est pas très fier aujourd’hui, et a bien failli coûter à Patrice Leconte sa carrière de cinéaste : Gotlib était incapable de se plier à la discipline nécessaire pour participer à la réalisation d’un film, rendant les conditions de tournage assez difficiles. Il n’y eut pas d’autre tentative de la part de Gotlib qui se consola en réalisant des romans-photos dans Fluide glacial : le géniteur de Gai-Luron fit de la figuration dans L’an 01 de Gébé et Doillon (il joue le gardien de prison) et dans Le nouveau Jean-Claude de Tronchet, mais sa timidité exacerbée et son incapacité à parler en public sans bafouiller lui interdisent de jour des rôles plus importants…

SERGE GAINSBOURG

En 1983, la défunte revue Métal hurlant publiait Blackout, une bande dessinée par Jacques Armand (qui a également publié avec Renaud Les aventures de Gérard Lambert) et scénarisée par Gainsbourg : un drame noir et passionnel vécu à la lumière des phares d’une Cadillac pendant une panne de courant générale à Los Angeles, entre un scénariste, sa femme et sa maîtresse. À la base, le scénario était destiné à un film qui ne s’est finalement pas fait, faute d’avoir trouvé un interprète masculin – Gainsbarre essuya les refus successids de Dick Bogarde, de Robert Mitchum, d’Alain Delon et de Robert de Niro. Jacques Armand voulait illustrer les chansons de Gainsbourg puis finalement s’attaqua avec enthousiasme à illustrer Blackout, donnant aux personnages féminins les traits de Jane Birkin et d’Isabelle Adjani, qui devaient être les interprètes féminines du film. Le personnage principal hérita de la tête de Gainsbourg.

ALAIN CHABAT

Ce n’est pas le scoop de l’année : Chabat est un fou de B.D. Il en a même fait avant de devenir la star de la télé que l’on connait, publiant des planches dans la défunte revue underground Antirouille. Le virus de la B.D. ne l’a jamais vraiment quitté, comme peut en témoigner l’inspiration d’une grande partie de ses sketches et de ses films, et il a été jusqu’à se faire scénariste de B.D., co-signant avec Tamburini l’intrigue du troisième album de RanXerox. À titre plus anecdotique, il a également co-écrit avec Gotlib le scénario de la dernière planche de B.D. dessinée par ce dernier et publié un crobard dans le numéro spécial de Fluide consacré aux 20 ans du magazine, une façon comme une autre de payer la dette que l’humour de Canal+ a envers le géniteur de la Rubrique-à-brac

GÉRARD LAUZIER

À partir de la seconde moitié des années 1980, Lauzier s’est progressivement éloigné de la bande dessinée pour s’orienter dans le cinéma, adaptant notamment ses fameuses Tranches de vie en 1985. Toutefois, il n’abandonna pas totalement la bande dessinée et, en 1992, il sortit, contre attente, un nouvel album mettant en scène son personnage fétiche, Choupon ; il n’a jamais complètement abandonné le dessin et son matériel était encore, parait-il, à portée de sa main en 2003, cinq avant sa mort : seuls lui manquaient les automatismes acquis à l’époque de Pilote, autant dire le surcroît de motivation apporté par la conscience de travailler pour un périodique.

DIDIER TRONCHET

Dessinateur, scénariste, écrivain, rédacteur en chef de périodiques, one-man-show, cinéaste : Tronchet est un touche-à-tout de génie dont toute l’œuvre, au-delà de sa diversité, a un dénominateur commun : la rédemption des gens ordinaires. Jean-Claude Tergal et Raymond Calbuth, ses deux personnages fétiches ont une façon de porter bien haut tout ce que nous avons de plus médiocre d’une façon rédemptrice. Si vous lisez bien ses autres B.D., vous découvrirez qu’on retrouve cet aspect partout… Partant du principe qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il a réalisé lui-même le film inspiré des « aventures » de Jean-Claude Tergal, Le nouveau Jean-Claude. Dans les faits, le film s’inspire assez librement de la B.D. ; il a recueilli un accueil honorable mais sans plus. On y voit notamment Clotilde Coureau à l’époque où elle n’était pas encore princesse : accepterait-elle encore aujourd’hui d’être aussi douce et caressante avec ce pauvre Jean-Claude ?

 

JOANN SFAR

Je ne peux pas dire que je sois fan de tout ce qu’il fait, mais je me sens tout de même assez proche de ce particulier qui, comme moi, fait de la B.D. avec une formation de philosophe : au vu de son phénoménal succès, je me dis que je n’ai pas tout à fait raté ma vocation… En tout cas, il cumule les prix et les récompense dans les deux domaines : dans la bande dessinée, il sort tellement d’albums par an qu’il est logique qu’il y en ait quelques-uns, dans le tas, qui remportent l’adhésion du public. Dans le cinéma, il a quand même obtenu le César du premier film pour Gainsbourg, vie héroïque (encore Gainsbourg !) et le César du meilleur film d’animation pour Le chat du rabbin, adaptation d’un de ses séries fétiches : pour ce dernier film, il a bien fait d’exploiter son propre fonds : on ne sait jamais ce qu’aurait pu donner une adaptation en dessin animé réalisée par je ne sais quel tâcheron, et Goscinny avait bien montré qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même… Pour le film sur Gainsbourg, je ne peux rien vous dire : il est sorti en pleine vogue des « biopics », et cette mode m’horripilait tellement, comme tout ce dont on cherche à nous gaver, que je n’ai eu aucune envie d’aller le voir. Tant pis…

RIAD SATOUFF

Ah, en voilà un autre, que j’aime tout particulièrement ! C’est un de mes auteurs de B.D. actuels préférés, ses histoires me font marrer comme c’est pas permis ! Je suis bien content qu’il rencontre le succès, tiens, y compris avec ses films ! Il est un peu notre rédemtpeur à nous, nous qui avons eu une adolescence difficile parce que nous n’étions pas assez « mâles dominants » ! En 2009, donc, il a sorti Les beaux gosses et a décroché le César du premier film, qui plus est l’année où il recevait le prix du meilleur album à Angoulème ! La revanche du puceau timoré, quoi ! Puisque le cinéma lui réussit, il aurait tort de se priver ; ainsi, il prépare une nouvelle comédie ayant pour cadre une « gynarchie » musclée, un État où les femmes ont le pouvoir et imposent aux hommes des règles qui n’ont pas grand’ chose à envier à ce à quoi les islamistes radicaux obligent leurs femmes… Nouveauté radicale dans son œuvre ? Pas tout à fait : une de des histoires de Pascal Brutal avait le même sujet ; on ne pourra pas lui reprocher de ne pas être fidèle à lui-même.

 

BENOÎT DELEPINE

Le Michael Keal du Groland est autant amateur de B.D. qu’Alain Chabat, comme ses sketches peuvent le faire sentir, d’auant qu’il réside à Angoulême, mais ses premiers « vrais » scénarios de bande dessinée se situent dans un registre à des lieues de l’humour potache qu’on lui connait : on lui doit trois albums sortis durant la première moitié des années 2000, dessinés par Stan et Vince, et qui se situent dans un registre plutôt « heroïc-fantasy » ou « space opera » en tout cas, rien de franchement rigolo. La série de strips S & Fils, dessinée par Diego Aranega et mettant en scène Sarkozy et son fils, renoue avec la veine satirique du Groland mais aussi et surtout des Guignols de l’info, dont Délépine fut un  des auteurs pendant huit ans. La série, éditée par Dargaud dans un album en forme de carnet de chèques, avait été prépubliée dans Siné hebdo, en réaction au fait que Siné, le fondateur du journal, avait été remercié de Charlie hebdo suite à une plaisanterie stigmatisant l’arrivisme de Jean Sarkozy : à ce jour, cette petite B.D. reste une des critiques les plus toniques jamais adresséees au phénomène des « fils de… » Allez, salut les poteaux !

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