La solitude du macaque de Java

 

Ce matin dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, j’ai dû me rendre à Nancy pour des raisons de peu d’intérêt. Or Nancy est loin d’être ma ville préférée. Pas seulement pour de basses raisons de rivalité atavique avec ma bonne ville de Metz, mais aussi parce qu’une fois parcouru le court trajet qui mène du musée lorrain à la place Stanislas (mais si, vous savez le roi de Pologne déchu qui n’a fait construire la fameuse place qui porte son nom que pour lécher les bottines de son gendre Louis XV), j’ai envie de rentrer chez moi.

Une fois mon rendez-vous passé, j’avais un peu de temps à tuer. Le climat était plutôt clément et faisait mentir la fâcheuse réputation de l’automne lorrain avec ses violons à la langueur monotone qui pleurent et qui blessent le cœur de Verlaine, pauvre lapin, pauvre Lélian. Quoiqu’un peu fatigué de m’être levé à l’heure où habituellement je me couche, j’étais de bonne humeur et disposé à donner une seconde chance à la cité nancéienne. Avant d’entamer mon périple, je décidai de faire une halte sur un banc du parc de la Pépinière, le seul espace de verdure du centre-ville.

Après quelques minutes de morne ennui à contempler les bourgeoises promener leurs lardons, j’avisai un petit parc animalier, entendez une prison miniature pour animaux. Je ne cautionne pas l’incarcération de nos frères à poils et à plumes, mais comme je trouve que les animaux sont plus agréables à regarder que la plupart des enfants, je décidai d’aller apporter un peu de réconfort aux captifs. Le mouflon corse s’emmerdait encore plus que moi, et le mouton d’Ouessant avait le regard hébété du téléspectateur moyen, à cette différence près que le bel ovin du Finistère n’est pas assez con pour se cogner les pubs. Il est même réputé pour être peu productif voire légèrement feignant, ce qui prouve bien à quel point on l’insulte en le comparant à l’hominidé à télécommande.

Entre les deux, une cage qu’au premier regard je crus vide, mais que nenni. A ma grande surprise, un joli petit singe fit son apparition. A la lecture des petits panneaux informatifs, il apparut que le primate était un macaque de Java. Comment il était arrivé de son île indonésienne à la Meurthe-et-Moselle, je l’ignore. En tout cas, on sait comment il est arrivé dans cette cage: il a été temporairement isolé du reste du groupe à la suite d’un conflit. Le reste du groupe, justement, était dans un espace en retrait. Une demi-douzaine de macaques s’égayait et s’égaillait dans une sorte de fausse grotte, grimpait à toute allure sur les pierres et les cordes, et s’adonnait aux différents usages de la vie sociale, car Macaca Fascicularis vit en groupe avec des bandes, des hiérarchies, et tous ces comportements que l’évolution l’oblige à adopter pour échapper à ses prédateurs (alors que l’Homme perpétue la hiérarchie juste pour la joie d’être con).

Je retourne voir mon ami en exil. Assis tout en haut d’un perchoir, il épluche une poire, en boulotte la moitié, puis la jette. Il escalade les barreaux de sa cage et grignote sans conviction quelques feuilles de bambous, puis arpente son cube de fer en tous sens. Il passe devant moi, et à l’observer se mouvoir, il est difficile d’échapper à la tentation de l’anthropomorphisme. Au loin, on entend des enfants jouer au foot en braillant. Incontinent, mon copain grimpe au sommet de sa prison pour capter la provenance des cris de joie. Lui est enfermé tout seul, pour un conflit dont personne n’a bien voulu nous expliquer l’origine. Alors à Nancy aussi, c’est George Bush qui décide du bien et du mal? Et entre ses barreaux et le terrain de foot, il y a la grotte de ses congénères. Il va peut-être se passer du temps avant que ce petit singe déviant regagne sa troupe. Je ne connais rien en comportementalisme animal, aussi me garderai-je bien d’émettre des hypothèses sur le bien- fondé de cette quarantaine. Mais ça a nettement amoindri ma bonne volonté à l’endroit de Stanislas City.

J’aimerais bien ouvrir sa cage au macaque, et lui dire allez viens, mon ami, mon frère simiesque, quittons cette ville et partons à Java, à Manille, où dans n’importe quel endroit où tu seras mieux qu’ici (et moi aussi). Je repasse une dernière fois devant la grotte. Un panneau porte l’inscription « ne pas se pencher, animaux dangereux ». Là, en revanche, je me sens assez compétent pour dire que le seul animal dangereux, c’est celui qui se tient sur ses deux pattes arrière et qui se sent assez supérieur aux autres espèces pour les enfermer, pour détruire leur habitat naturel au profit de la déforestation, de l’industrie, de l’agriculture, du Stade Brestois, de l’élevage et in fine de l’économie, pour finir par les mettre en danger ou par les exterminer. Le seul primate qui mériterait d’être en voie d’extinction, c’est celui qui est assez fier de sa civilisation pour créer des races au sein même de sa propre espèce, le même qui occupe des immeubles à Poitiers et qui parle de reconquête, alors que Charles Martel a arrêté les Arabes à Vouillé, pas à Poitiers,et encore c’était moins une guerre de conquête qu’une razzia, et la Reconquista quant à elle, a eu lieu en Espagne à une époque où les Arabes étaient partis de France depuis un moment.

Bref, Nancy, depuis ce matin, c’est officiel, je te hais.

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