« Life » de Keith Richards

Ici Brest, les Bretons parlent aux Lorrains ! Aujourd’hui, je vous propose un article que j’avais rédigé il y a quelques mois de ça, courant octobre, pour le journal culturel de l’UBO, Sortie de secours. Malheureusement, aucun numéro de cette sympathique publication n’a pu paraître cette année, alors j’en fais profiter les lecteurs du Graoully déchaîné ; je ne cherche pas à concurrencer la chronique de notre ami Cédric Boyon, mes connaissances en matière de rock’n’roll me l’interdisent. Bon, on y va ? Hum…

Aujourd’hui, lorsqu’une vedette du show-business parle d’un de ses confrères autrement que pour le couvrir de louanges, tout le monde crie aussitôt au règlement de comptes, tant le grand public est désormais habitué à voir le show-business s’auto-congratuler en permanence. C’est ce qui est arrivé dernièrement à Keith Richards dont l’autobiographie a souvent été réduite à un règlement de comptes avec Mick Jagger.

De fait, le co-fondateur des Rolling Stones n’épargne pas son coéquipier historique, dont il dénonce l’autoritarisme et la mégalomanie (même si feu Brian Jones, apparemment, était cent fois pire), défauts qui se sont toujours davantage manifestés au fur et à mesure que le succès des Stones grandissait ; Richards cherche cependant moins à casser l’image du très charismatique chanteur lead du groupe qu’à nous faire part de la déception qu’il éprouve en constatant les ravages causés à l’amitié par le temps qui passe et l’évolution morale d’un collaborateur qu’il apprécie sincèrement (« j’aime tendrement ce mec, on est potes à la mort. Mais ce n’est pas toujours facile d’être son ami. » p.364) ; il finit même par conclure à ce sujet, philosophe : « tu travailles avec un mec depuis quarante ans et des poussières, ça ne peut pas être tous les jours vent arrière et grand soleil, non ? Il y a forcément des grains et des conneries. C’est comme un mariage » (p.629). De toute manière, il serait absurde de réduire l’intérêt de l’ouvrage au récit des relations entre Mick Jagger et Keith Richards : si celui-ci a sobrement intitulé son livre Life (Vie), c’est précisément parce qu’il s’agit bien de son autobiographie au sens plein du terme, c’est-à-dire du récit qu’il est en mesure de faire, à 65 ans passés, de sa vie, laquelle fut aussi bien remplie que put l’être celle d’un musicien ayant connu et connaissant toujours un succès mondial.

De surcroît, si Richards avait des comptes à régler, c’était moins avec Mick Jagger qu’avec ses détracteurs passés et présents et toutes les rumeurs plus ou moins farfelues qui courent sur son compte. Le livre s’ouvre ainsi sur une anecdote éclairant son arrestation en Arkansas en 1975 et dénonçant le ridicule des attaques dont il a pu être l’objet de la part des puritains de tous les pays : « Dans notre village, le Département d’État avait signalé une flambée d’émeutes (vrai), de désobéissance civile (vrai) et d’actes sexuels illicites (ne me demandez pas ce que ça veut dire). Et nous, pauvres baladins, étions censés en être les responsables » (p.11). Si l’on fait confiance à la sagacité des traducteurs, Bernard Cohen et Abraham Karachel, on remarquera ici le sens de la formule qui caractérise l’ensemble du livre et que l’on retrouve notamment au moment où l’enfant qu’était Keith s’est pris de plein fouet les mesquineries du système scolaire anglais après avoir fait les beaux jours de la chorale de son école : « À treize ans, notre voix a mué, et les trois sopranos ont été mis au rancart. Mais ce n’est pas tout : on nous a obligés à redoubler parce qu’on n’avait pas assez de physique et de chimie, qu’on n’avait pas fait nos maths. « Attendez, c’est vous qui nous avez dispensés, à cause des répétitions ! Et on a bossé comme des malades, dans cette chorale ! » Plutôt raide, comme remerciement ! » (p.70). De cette trahison, il gardera une antipathie tenace envers les détenteurs de pouvoir et les conformismes de tout poil, ce qui peut expliquer bien des choses, comme par exemple son flirt avec l’héroïne ; certains n’ont pas manqué d’être choqués par quelques passages consacrés à la drogue, mais quand Keith dépeint à quels écarts Anita, sa première femme, fut conduite par sa propre consommation de stupéfiants (« elle était devenue imbuvable. » p.451), quand il enfonce le clou pour nous rappeler qu’il a définitivement arrêté l’héroïne et quand il dit lui-même « j’avais beau donne dans le haut de gamme, j’étais quand même tombé assez bas » (p.306), on se dit qu’il a une drôle de façon de pratiquer l’incitation à la consommation de drogue comme on l’en accuse…

Keith met également fin (ou, du moins, essaie, tant les mythes ont la vie dure) à la légende de la rivalité Stones-Beatles (« Entre les Beatles et nous, il y avait une vraie relation d’amitié » p.170), au mythe de la gloire qui donnerait plus d’assurance dans le domaine des conquêtes féminines (« Pas une fois dans ma vie je n’ai fait le premier pas avec une fille. J’en suis incapable » p.251), à la rumeur selon laquelle il se serait fait changer le sang en Suisse… Bref, de nombreux fantasmes engendrés par la fascination que provoque son succès planétaire sont ainsi balayés, bien que Keith ne nous épargne pas le récit de certaines soirées où on ne consommait pas que du sucre ni celui d’altercations musclées, mais toutes les anecdotes plus ou moins croustilleuses qui parsèment l’ouvrage et qui participent de l’effort d’introspection mené par le guitariste ne doivent pas faire oublier l’essentiel : Life est avant tout un document déjà précieux pour qui veut connaître le parcours des Rolling Stones en général et celui de Keith Richards en particulier, notamment concernant ce qui l’a amené à la musique, la découverte de son propre style, ses rencontres avec d’autres artistes et avec le public… En fait, la drogue passe au second plan au profit de la musique, présentée comme « une came beaucoup plus forte que l’héro – la preuve, c’est que je suis arrivé à lâcher l’héroïne mais jamais la musique » (p.76).

À cet égard, tel Joachim du Bellay rappelant que la pratique de la poésie nécessite d’abord un travail acharné, Keith nous donne l’occasion de réaliser à quel point son fameux riff, qui donne tant de fil à retordre aux jeunes guitaristes bluffés par la spontanéité avec laquelle il le produit, tout en demeurant un miracle même à ses yeux, n’en est pas moins le fruit d’une formation autodidacte et cependant rigoureuse : « Il ne faut pas s’imaginer qu’on est le nouveau Townshend ou Hendrix parce qu’on sait faire oua-oua-oua avec sa pédale et qu’on connait deux ou trois trucs électroniques. D’abord, il faut maîtriser cette saloperie d’instrument. Il faut dormir avec » (p.90). Ce fameux riff lui-même est apparu grâce à une des chansons fétiches des Stones, Satisfaction : « j’avais pensé à des cuivres (…) mais on n’avait pas de cuivres et je me suis contenté d’enregistrer le riff à la guitare en me disant qu’on rajouterait les cuivres plus tard » (p.208). La suite, on la devine : la chanson est enregistrée telle quelle et fait un tel carton que ce qui n’était qu’un pis-aller en attendant mieux devient l’empreinte de Keith dans le paysage du rock, « ces riffs fantastiques et déterminants qui me venaient de je ne sais où » (p.281). Sex, drugs, d’accord, mais d’abord rock’n’roll ! Et de ce point de vue, ce n’est pas près de s’arrêter : « Je prendrai ma retraite le jour où je casserai ma pipe » (p.640). Very well, Keith, I can get satisfaction… Allez, salut les poteaux !

Keith vu par votre serviteur.

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