Parti en déshérence cherche pays accueillant pour se refaire une dignité

 

« Qu’est-ce que ça veut dire atteinte à la dignité humaine? »

George W. Bush

 

Je dois l’avouer, hier soir, après avoir rédigé ma chronique pour souhaiter bon courage à François Hollande, j’ai eu un petit coup de moins bien. Je me voyais déjà rédigeant des papiers arides et sans joie, je m’imaginais conspué par mes collègues rédacteurs et quémandant une dizaine de lignes dans un webzine spécialisé en chiens célèbres et peoples écrasés, à moins que ce ne fut l’inverse.  Je m’en suis d’ailleurs ouvert dans le paragraphe où je souhaitais de bonnes vacances à Nicolas Sarkozy en attendant que les juges le ramènent par l’oreille:  j’ai craint quelques instants que la source d’inspiration immondaine ne se tarisse.

Oh, bien sûr je commettrai bien vite quelque critique bien sentie sur mon nouveau copain président, j’en ai déjà d’ailleurs rédigé quelques unes à l’époque des primaires, et depuis je ne sais toujours pas s’il va enfin interdire la corrida et abattre les bergers pour sauver les loups, je remettrai ça sur le tapis dès qu’on aura un ministre de l’environnement. Critiquer la gauche quand on est soi-même de gauche, c’est un peu comme être déçu par un ami, ça piquote le palpitant et puis on se souvient qu’on ne peut être déçu que par ce qu’on aime, alors on cache son désappointement dans un coin de son esprit et on chemine un petit peu plus seul. Et puis je pourrais aussi ne parler que de ce qui m’intéresse, les cactus, la cosmopoésie des maths et de la physique, les belles lettres, les chats, le vin, mais ce n’est plus pareil.

Heureusement, alors que je mettais la dernière touche à ma lettre de motivation à Tricot Magazine en déployant toute ma science du point de croix, l’UMP est venue à ma rescousse. A l’instar du vampire qui perçoit la tendre jugulaire de sa proie innocente, mes canines se mirent à repousser à belle allure. Figurez-vous que plusieurs militants de l’ex-majorité présidentielle envisagent sérieusement de partir en Suisse, craignant qu’Hollande ne transforme la France en sous-division administrative du Sahel. Merci, fieffés bourgeois à l’encéphale plein d’eau tiède, merci rupins ignorants, merci richards encravatés et rombières coincées du carré Hermès, merci, vous m’avez ramené à la vie!

Je ne sais pas bien ce que craignent les affidés du tout petit père des peuples: une hausse subreptice des impôts, un afflux massif d’immigrés qui n’ont jamais eu l’heur de parcourir la prose déliée de Nadine de Rothschild, une nationalisation à tout va des banques, des Rolex made in China qui retardent de douze millièmes de secondes, un curé tenant des thèses de la théologie de la libération à Saint Nicolas du Chardonnet, des HLM à Neuilly, que sais-je?

Ces malheureux n’avaient qu’un mot à la bouche depuis hier soir: dignité. Mais est-il bien digne de cracher sur la laïcité, sur les immigrés qui seraient tous des délinquants potentiels, sur les paysans et les marins qui, le dos usé par le travail n’arrivent pas à se pencher pour serrer la main au Président, sur les instituteurs qui n’ont pas envie de passer la moitié du programme sur Napoléon, Louis XIV et la doctrine néolibérale? Est-il tout à fait digne de sacrifier la Grèce pour sauver l’Allemagne quitte à assumer l’entrée de néo-nazis au parlement? Est-ce de la plus parfaite dignité de recevoir Kadhafi pour le remercier de son chèque de campagne et de le flinguer dès qu’il a le dos tourné? Est-ce vraiment décent de lécher les rangers de Marine Le Pen et de faire une sortie honorable sur l’air de « j’ai fait tout ce que j’ai pu »? Est-ce de la plus grande élégance de ruiner notre système social qui loin de grever les comptes français pendant la crise a tout simplement empêché notre pays de se paupériser encore plus que sous l’impulsion de son hyper ex-président?

Et pis que tout: est-il vraiment classe de souhaiter, comme je l’ai lu, que l’avion de François Hollande se crashe avant d’arriver à l’Elysée? Que nenni, mes amis. Par contre, ce qui serait vraiment digne, c’est d’admettre que vous êtes des tanches en économie. La crise, la rapacité des banques et des « marchés » vos seigneurs et maîtres, ne doit pas grand-chose (ou pas totalement) à une gestion dispendieuse des socialistes européens.  La crise, c’est l’état normal du système économique auquel vous tenez tant. Et c’est bien pratique pour maintenir le chômage à un niveau élevé pour faire pression sur les salaires et mener des politiques d’austérité aussi utiles qu’un banjo dans un groupe de death metal. Ce n’est pas moi, en tant que gauchiste irrécupérable qui l’affirme, c’est Paul Krugman, prix Nobel d’économie, alors que François Baroin n’a même pas un Molière pour son interprétation d’Harry Potter imitant Droopy.

Peut-être me trompé-je, et peut-être l’objet de vos craintes se situe plus dans la glande réactionnaire qui vous agite sitôt qu’un comportement sort de votre ordinaire étriqué. Que François Hollande souhaite mettre en avant la jeunesse alors que la plupart des Jeunes Populaires sont vieux à 25 ans, j’imagine bien que ça doit vous irriter l’entre-soi.

Quoiqu’il en soit, si les assujettis au revenant ISF veulent placer leurs économies en Suisse, grand bien leur fasse, puisque leur dignité tient tout entière dans leur portefeuille d’actions. Peut-être qu’un jour la confédération helvétique en aura ras la chocolaterie d’accueillir toutes les racailles financières d’Europe et du monde. Qu’ils emmènent Michael Vendetta, Didier Barbelivien, Enrico Macias, Claude Guéant, Brice Hortefeux et Marine Le Pen, on devrait s’en remettre. Ceux, moins bêtes ou plus courageux, qui resteront se feront peut-être même plus de thune que les expatriés sous la direction de François Hollande, parce qu’il y a quand même loin entre l’ex-député de Corrèze et Lénine, et le fait que l’UMP ne l’ait pas remarqué prouve bien qu’il faut réformer l’Education Nationale. Et s’ils veulent partir aussi, on restera entre assistés indignés et solidaires, sans personne pour nous exploiter.

On souhaite juste bon courage à la Suisse.

 

3 comments on “Parti en déshérence cherche pays accueillant pour se refaire une dignité

  1. Hello, Graoully,
    Ça fait quelques temps que je te lis. J’ai deux remarques à te faire, si ça peut t’intéresser :
    1° Ne te fais pas trop de soucis, je trouve ce billet d’un meilleur niveau que les précédents, donc du point de vue du souffle, y a c’qui faut (et si y a le souffle, c’est que quelque part, y a l’inspiration, – sinon, on peut pas souffler, enfin tu vois, quoi…) ;
    2° Par contre, je ne vois pas bien comment tout d’un coup tu pourrais te désintéresser de la politique et revenir à ta passionnante vie d’avant… Y a du ménage à faire, et à surveiller qu’il soit fait. Sans compter que bon, y aura forcément des ptits (euphémisme) soucis dans les mois et années à venir. Enfin, bref, pour revenir sur le ton de la plaisanterie, les anti-sarkozystes militants ont largement matière à se reconvertir, quel que soit leur bord, politique ou pas, d’origine. Narcisse n’est plus, voyons ce (et ceux) qui entre(nt) dans ce vide laissé pour qu’y circule un courant d’air libérateur… En tous les cas merci à toi.
    P.S. (sans mauvais jeu de mots): Putain ça fait du bien quand même. Et toi, t’arrête pas. J’pense que dès maintenant on va pouvoir recommencer à s’écharper sur le fond, à gauche (encore plus jveux dire).
    P.P.S. : Un sentiment de joie malsaine et un reste de sadisme m’ont poussée à aller regarder les commentaires sur la fanpage de machin sur FB. Et jme dis, « oh les pauvres, on dirait nous en 2007, pis pendant 5 ans… » .)Bon allez jme tais, et à plus.

  2. Bravo pour ce billet, et j’ai adoré Droopy!
    Pour la Suisse, c’est pas gagné, ils ont déjà un parti l’UDC qui traine aussi ses racistes comme Oskar Freisinger ou Christophe Blocher, je ne pense pas qu’ils en veulent, même en demande d’asile…
    merci pour votre journal très sympa et pertinent

  3. Merci à tous les deux pour vos commentaires.

    Je ne crains pas vraiment le manque d’inspiration, c’est juste une petite mise en scène pseudo-littéraire pour rendre l’ensemble moins ennuyeux à lire. Il y a suffisament de boulot, non seulement en politique mais aussi avec toutes les autres formes de pouvoir que j’ai des articles pour les cinquante ans à venir, si mon foie tient jusque là.
    Et Rosa, certes la Suisse a déjà son quota de racistes, mais c’est avec le Jura un des berceaux de l’anarchisme, et c’est James Guillaume qui a converti « le prince » Kropotkine aux idées libertaires. Tout n’est pas perdu!

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