Dans la presse déchaînée n°11

Ouest FranceOuest France n°20.878 du 5/04/2013 : Devezh mat, Metz, mont a ra ? Il y avait longtemps que je n’avais plus alimenté cette rubrique consacrée aux commentaires que m’inspire la presse écrite, faute de motivation. La motivation, je l’ai retrouvée ce midi en lisant à la « une » du quotidien du grand Ouest un éditorial qui m’a rendu vert de rage !

Ouest France est capable du meilleur comme du pire : autant les chroniques de Jacques Le Goff dans ce quotidien sont souvent un régal, autant cet édito dû à Jeanne-Emmanuelle Hutin, la fille du patron du journal (sans commentaires…) me consterne par sa médiocrité de pensée et son conformisme idéologique étriqué. Je ne crois pas à la possibilité de l’impartialité journalistique, l »emploi des mots est TOUJOURS révélateur d’un certain point de vue voire d’un certain engagement, et il est très clair pour moi que madame Hutin fille prend fait et cause, commentant l’examen du projet de loi sur le mariage pour tous par le Sénat, pour les opposants au projet. La chose est évidente dès le second paragraphe de son article :

« Alors que le projet de loi provoque une profonde facture à l’intérieur de la société, le rôle du Sénat sera déterminant : trouvera-t-il le chemin de l’apaisement ou sera-t-il une chambre d’enregistrement, risquant d’accroître le désarroi et l’émotion qui persiste ? » Ah bon, ce projet provoque une profonde fracture ? Une poignée d’intégristes arriérés qui gueulent plus fort que les autres refusent qu’on cesse de discriminer toute une frange de la population et ça suffit à ce qu’on parle de fracture ? Et puis quand bien même il y aurait fracture, cela voudrait dire qu’il y aurait la moitié de la population opposée au projet et une autre qui lui est favorable : au nom de quoi serait-ce prendre le chemin de l’apaisement que de mécontenter cette seconde moitié ? Un des aspects les plus emblématiques du programme du président de la République passerait à la trappe et ce ne serait pas un facteur de désarroi et d’émotion ? Les homosexuels qui attendent avec impatience de pouvoir se marier et les hétéros qui les soutiennent comptent pour du beurre, c’est ça ?

Madame Hutin continue en dénonçant le fait que les institutions démocratiques se seraient grippées face aux opposants au mariage pour tous : et alors ? Je suis peut-être le seul, mais considérer que les homosexuels doivent avoir moins de droits que les hétérosexuels, c’est de l’homophobie, et les propos homophobes sont réprimés par la loi ; quand bien même cette discrimination ne serait pas le fait d’une homophobie plus ou moins latente, les slogans des manifestants et les messages postés sur internet ont donné lieu aux pires manifestations d’homophobie et d’intolérance : les institutions démocratiques, loin de se gripper, ont donc été trop tendres avec un mouvement qui aurait dû être déclaré illégal.

Notre brillante éditorialiste poursuit l’édification de son monument à la gloire des saints martyrs amis de Frigide Barjot en invoquant une soi-disante mixité sociale à l’oeuvre au sein de ce mouvement ; elle pourrait au moins donner ses sources pour justifier cet argument ! Mais même sans ça, ce qu’elle insinue est tout de même malsain : « On peut se demander ce qui rassemble des personnes de toutes générations, de toutes opinions politiques, de tous milieux sociaux, des croyants comme des non croyants, des hétérosexuels comme des homosexuels… » Je veux bien croire qu’il y a parmi les homos des cons et des masos qui jugent normal de ne pas être considérés comme des citoyens à part entière, mais au nom de quoi la diversité sociale que l’on constaterait, paraît-il, au sein de ce mouvement, serait-elle extraordinaire ? Madame Hutin fille a l’air de juger qu’il faut un miracle pour que des gens qui ne se ressemblent pas tombent d’accord sur un truc ! Qu’y a-t-il de significatif à ce qu’un homosexuel et un hétérosexuel tombent d’accord sur un point ? Je suis souvent d’accord avec Jérôme, le président du Graoully, qui est ouvertement homosexuel, et je n’y vois rien de miraculeux !

Vient ensuite l’argument comme quoi les intégristes seraient des martyrs de la liberté d’expression ; déjà que j’estime que la liberté ne peut se contredire elle-même et ne peut donc être invoquée pour justifier un discours prônant la privation de liberté pour une frange de la population au nom de critères relevant du non-choisi, comme l’origine ethnique ou la préférence sexuelle, mais en plus, tel qu’il est formulé par Hutin, cet argument ne tient pas debout : « Les incidents en marge des cortèges, lors du dernier rassemblement, ont occulté leurs revendications. Ils n’ont été ni reçus comme ils le demandaient, ni même entendus. » Les « incidents » comme elle les appelle avaient été savamment planifiés par les organisateurs, on l’a su peu de temps après : manifestement, madame Hutin est mal informée, sans quoi elle aurait su que ces braves militants ont délibérément provoqué les forces de l’ordre et mis leurs gosses au premier rang pour émouvoir l’opinion publique…  Des tas de manifestants pacifiques, qui luttent pour leurs droits, se font régulièrement taper dessus par les forces de l’ordre, dans la plus totale indifférence de la part du pouvoir : au nom de quoi aurait-il fallu recevoir et écouter des manifestants ouvertement agressifs qui luttent pour priver d’autres citoyens d’un droit dont ils jouissent déjà ?

Vient ensuite le sempiternel refrain, « un enfant a besoin d’un papa et d’une maman et gnagnagna » : on a beau leur répéter sur tous les tons qu’il n’y a pas plus d’enfants traumatisés d’avoir été élevés par deux personnes du même sexe (car c’est déjà une réalité en France, il faut se réveiller !) que d’enfants névrosés par la vie que leur ont faite leurs parents hétéros, rien à faire, ils ont manifestement des oeillères en acier trempé ! Passons rapidement là-dessus pour revenir sur les soi-disantes « dérives » qu’amèneraient cette « cassure de la filiation » qui « serait amplifiée si, par la suite, la PMA puis la GPA étaient tolérées ou légalisées. En Californie, où ces chemins ont été pris, on assiste à la marchandisation des femmes et même des bébés. » Déjà, la PMA et la GPA ne figurent plus dans le projet de loi, comme madame Hutin l’avait pourtant rappelé en introduction : il n’y a donc pas de lien de cause à effet entre la légalisation du mariage homosexuel et celle de ces pratiques qui effraient tant les benêts qui ne se sont jamais remis d’apprendre que les gosses ne naissaient pas dans les choux ! Pourquoi en parler ? L’exemple de la Californie est d’ailleurs mal choisi, vu que la légalisation du mariage homosexuel a été annulée par referendum après avoir été enclenchée… Quant à la marchandisation des femmes, c’est déjà une réalité en France,  ça s’appelle la prostitution ! La marchandisation des bébés aussi, hélas ! D’où l’intérêt de légiférer pour limiter les dégâts de cette pratique encore occulte au lieu de se voiler la face et persister à croire qu’on vit dans un monde tout beau, tout propre, tout joli et tout sucré ! De toute façon, un enfant se rappelle rarement du moment où il est sorti du ventre de sa génitrice et encore moins de l’instant de la sortie de bite du spermatozoïde qui allait féconder l’ovule et ainsi enclencher le processus de formation du foetus qu’il était ! Ses vrais parents seront ceux qui l’élèvent, pas ceux qui le conçoivent, point barre ! On ne devient un père ou une mère que quand on reconnaît son enfant et qu’on le prend en charge ! J’ose le dire, le fait qu’un couple élève un enfant né d’une mère porteuse ne me choque pas plus que le fait qu’un couple élève un enfant adopté ; l’homme n’est pas seulement un être de nature, il est aussi un être de culture : le fait que nous vivions en société en nous conformant à un code civil n’est pas un fait de nature mais une construction culturelle grâce à laquelle nous pouvons vivre ensemble sans que l’homme soit forcément un loup pour l’homme, comme c’est le cas dans l’Etat de nature tel que l’a théorisé Hobbes dans le Léviathan ; donc, le droit peut se passer de tenir compte de la nature, je ne vois donc pas ce qu’il y a d’incongru à voter « une loi qui va à l’encontre de la réalité biologique de l’espèce humaine« , d’autant que je ne vois pas en quoi la loi va à l’encontre de cette « réalité biologique » (par ailleurs fantasmée, mais ça nous entraînerait trop loin) vu qu’elle n’interdit pas aux gens de se reproduire suivant la voie naturelle.

Par pure bonté d’âme, je passe rapidement sur une soi-disante dérive autoritaire du pouvoir exécutif face aux parlementaires qui, par ailleurs, était plus accentuée sous Sarkozy mais n’avait pas tellement l’air de déranger les éditorialistes de Ouest France… Je vais quand même donner l’estocade à l’éditorial de madame Hutin fille en citant sa phrase finale : « Alors que la France traverse une grave crise économique, doublée d’une crise politique, et qu’elle doit se mobiliser pour s’adapter au monde, est-il vraiment opportun de bouleverser les fondements de la société et de brouiller le repère millénaire de la famille ? » Il y aurait beaucoup à dire que les fausses évidences qu’elle nous assène, mais la question qu’elle pose est un faux problème : quel rapport y a-t-il au juste entre les problèmes économiques et politiques invoqués et l’octroi d’un droit aux homosexuels ? Parce que ça va arranger les choses de persister à maintenir les homos en état d’infériorité juridique ? Parce que la frustration des homos qui attendent de pouvoir se marier et la déception de ceux qui les soutiennent n’aggravera pas le désaveu populaire que subit actuellement l’exécutif ? Mais suis-je bête, j’avais déjà vu que pour notre brillante éditorialiste, ces gens-là n’existent pas ! Bien sûr, seul vaut à ses yeux l’avis des bons bourgeois bien élevés et propres sur eux qui forment le gros du mouvement anti-mariage pour tous ! Et de toute façon, le « repère millénaire de la famille« , renseigne-toi un peu, Jeanne-Emmanuelle : ça fait des années qu’il est déjà brouillé ! Un mariage sur deux se termine par un divorce, des enfants sont privés de leur père depuis des années sans que ça émeuve personne (souvenez-vous des papas divorcés qui montaient au sommet des grues, à Nantes…), les familles recomposées se multiplient, et surtout, les enfants élevés par deux personnes du même sexe, c’est déjà le cas, et ce n’est pas ça qui crée le plus grand trouble aujourd’hui !

Je m’arrête là, sinon je sens que je vais devenir vraiment grossier et je n’ai pas les moyens financiers de faire face à un procès intenté par la famille Hutin… Kenavo, les aminches !

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