Le mur des cons de boucher

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J’étais paisiblement à la caisse de mon échoppe de quartier, en train de convertir une demi-heure d’esclavage salarié en un litron de rouge, sous le regard interdit de la caissière. Alors que je comptais fébrilement ma menue monnaie, paniqué à l’idée qu’une pièce de cinq centimes défaillante eut pu me priver de mon vin quotidien et maugréant sur l’inexistence d’un Dieu con au point de faire tomber des trombes d’eau plutôt que du Morgon, elle arborait l’air affable du varan de Komodo affamé qui croiserait un cerf infirme.  « Ah, sœur caissière, si tu prenais la carte bancaire à partir d’un euro comme le font tes concurrents, on n’en serait pas là, eus-je envie de lui dire. Je serais déjà chez moi, et j’aurais eu le temps de trouver une meilleure introduction à cette chronique! « 

« Vous z’avez qu’à en prend’ deux, comme ça vous pourrez faire une carte et ça vous f’ra pas la peine de r’venir tous les jours ». J’eus un peu de peine à comprendre son charabia à cause de son accent de Komodo et à cause du fait que j’ignorais totalement que ces charmants lézards avaient un don de télépathie, mais c’était frappé au coin du bon sens. Je me précipitai donc au rayon des liqueurs et m’emparai de la petite sœur (de la bouteille, pas de la caissière) quand un malotru me fit trébucher et renverser le précieux flacon. Les larmes aux yeux, je m’apprêtai à me relever et à rejouer l’intégrale de Tarantino sur sa sale tête de terroriste buveur d’eau gazeuse, mais il s’abrita derrière une bouteille de Château-Pétrus.

« Laissez, fit-il, c’est pour moi! Je vous prends une bouteille de vodka en plus! » J’acceptai cette forme d’excuses malheureusement trop rare chez nos contemporains tout acquis à l’égotisme le plus grossier, et lui priai de presser le pas parce que cette introduction est décidément trop longue.

Las, sa générosité n’était pas désintéressée, et je compris bien vite qu’il ne s’agissait que d’un « moment sociétal », comme disent les socialistes pour définir la petite gâterie de gauche avant le grand enfilage de droite. D’aucuns appellent également et indifféremment ce moment « Grenelle », « préliminaires », « romantisme », « vaseline », ou pour les échangistes « négociations avec les partenaires sociaux ». Mais je m’éloigne du sujet. Alors que nous quittons la boutique au grand soulagement du varan de Komodo qui  reprit incontinent son air de ruminant ordinaire, l’inconnu me glisse à l’oreille qu’il a besoin de mes innombrables relations dans la presse Web et de l’immense popularité du Graoully Déchaîné pour diffuser une conversation qu’il a intercepté entre Manuel Valls et Pascal Canfin et qui pourrait faire « sauter la République ». Diantre, quel enthousiasme!

Déjà, à la caisse du supermarché, il avait parlé de scandale d’Etat quand la caissière a refusé son billet de 500 euros. Et quand il a ouvert son parapluie, car il tombait toujours de l’eau depuis le premier paragraphe comme il en tombe depuis le premier paragraphe de toutes mes chroniques de l’année, il avait brandi le poing vers le ciel et fait part de son indignation au nom de la majorité des Français qui était contre le mauvais temps. J’en vins à la conclusion qu’il était membre de l’UMP. Cette première impression fut renforcée par le fait qu’il n’avait pas l’air de savoir ce qu’était un bus. Le concept de « transport en commun » lui fit une forte impression. Je lui expliquai qu’il fallait se jeter sous les roues de l’autobus en marche pour rentrer chez soi. Ce qu’il fit, non sans m’avoir préalablement donné son enregistrement, que je vous livre en avant-première mondiale. Vous verrez, ça n’a pas grand-intérêt, mais c’est toujours ça qu’Atlantico n’aura pas.

Manuel Valls: Bureau de la future Présidence de la République, j’écoute?

Pascal Canfin: Allô, Manu? Comment ça va? La femme, les enfants, les flash-balls, tout ça, comment que c’est?

M. V: Ça roule, ma poule. Et toi, tu t’en sors, avec tes sous-développés?

P. C: Tu confonds, Manu, c’est pas Arnaud Montebourg, c’est Pascal Canfin! Ministre délégué au Développement!

M. V: Qu’est-ce j’en ai à foutre? T’es une racaille de gauchiste quand même! Bon, pourquoi, tu viens me chier dans le Taser, là? T’es pas au courant que c’est l’heure de Walker Texas Ranger?

P. C: Mais non, mais tu sais je suis à l’aéroport, là, je vais à une réunion sur le développement à Bamako, et…

M. V: Ben tu passeras le bonjour à Amadou et Maryam!

P. C: Arrête tes conneries t’es pas drôle! J’ai un service à te demander…

M. V: Si c’est pour un jumelage avec Florange, tu vois ça avec Filipetti, moi les blackos et les prolos je suis pas là pour faire copain-copain, tu vois. J’ai déjà pas fini le ménage à Evry, alors tu penses bien.

P. C: Je voulais te demander de surseoir à l’expulsion d’un ressortissant malien qui est dans le même avion que moi. Un peu d’humanité, ça ne te ferait pas trop mal aux seins?

M. V: L’Humanité? Tu m’as pris pour Mélanchon ou bien? Ton copain, il repart à Bamako fissa, et tu la ramènes pas ou je te destitue de la nationalité française mon petit pote. Tu crois qu’elles se gardent toutes seules les frontières? Tu crois que mes hommes n’ont pas assez mal aux mains avec les cathos qui s’inspirent de vos méthodes de trotskistes pour manifester? Alors chacun son taf: toi tu développes leur cambrousse et tu les fais rentrer dans l’Histoire, moi je te ramène de la main-d’oeuvre et je défends notre civilisation comme dit Cloclo. On dit merci qui, petit malappris? Tiens t’es au courant que le vieux grigou blanchissait de la thune? Nan mais sérieusement: Claude Guéant blanchissait! C’est pas énorme, ça?

P. C: T’es vraiment trop con. Je sais pas ce que t’attends pour prendre ta carte à l’UMP.

M. V: C’est pas marqué Eric Besson, là! Je ne trahirais jamais le PS, c’est juste que j’aime pas la gauche.

Manu raccroche. Il imprime la tête de Pascal Canfin sur le trombinoscope du gouvernement, et il le punaise sur son mur des cons de boucher, savant amalgame du mur des cons et du croc de boucher. Un jour, ce sera lui le chef de l’État. Et les droits-de-l’hommistes, il les expulsera tous à Bamako et à Florange.

 

 

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