Quand la Chine s’éveillera, passe moi l’aspirine

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Cela fait des années qu’on nous tanne le cuir avec le danger que représenterait la Chine en particulier et l’Asie en général pour notre chère « civilisation occidentale ». Nostalgie à la con de l’Indochine (pas le groupe, s’il vous plaît), des fumeries d’opium et des coolies qui bossent comme des Chinois même quand ils sont laotiens, frousse concomitante du dragon qui un jour s’éveillera et nous bouffera tous en une bouchée.

De l’eau passe sous les ponts, et même inonde tout sur son passage à la faveur de la construction d’un barrage ou de la survenance d’un tsunami, les clichés demeurent. Certes, la Chine et la Corée du Nord sont des vilaines dictatures, où les petits n’enfants fabriquent des pompes et des iPads pour même pas des queues de radis pendant que leurs vieux s’appliquent à ne surtout pas mettre au monde une petite fille, alors que les enfants asiatiques sont les seuls que je trouve beaux. Tous les humoristes à la mode se sentent ainsi autorisés à représenter tous les habitants de l’Extrême-Orient de la même manière, avec un sens de la nuance proche de celui de Bernard Tapie quand il essaie de faire croire qu’il est innocent: une sorte de petit être fourbe, perpétuellement affublé d’un sourire satisfait de boutiquier exotique, tout en humilité feinte et tout imprégné de citations de Confucius ou d’un autre con, qui au final va nous la mettre bien profond en dépit des poncifs sur les modestes proportions de son anatomie intime.

Ca commence à me gaver ces conneries. Même si les boutades incriminées ne sont pas toujours forcément racistes, c’est un peu facile quand on habite en France, où les diverses communautés asiatiques ne la ramènent pas et sont souvent là parce qu’elles ont fui un régime politique qui veut conquérir le monde, où à tout le moins ses marchés, sans que ses propres citoyens ne lui chient dans les bottes. Va raconter tes conneries sur la place Tien An Men, ducon, on va voir si t’es aussi drôle. Figure toi qu’à l’époque où nos druides ramassaient des glands pour éviter que le ciel ne leur tombe sur le coin de la gueule, il y avait déjà des civilisations florissantes en Chine, en Corée, au Japon, et que si tu arrêtais d’apprendre l’humour chez Michel Leeb, tu saurais faire la différence entre tous ces beaux pays.

Mais avant de poursuivre ce vibrant plaidoyer pour les multiples cultures de l’autre bout du monde, faisons un petit détour par l’édition juillet-août du magazine « le Monde des Sciences », version française du célèbre « New Scientist ». Passez les pages sur les nouvelles stratégies de recherche d’extraterrestre, sur la propagation des norovirus, arrêtez-vous quand même à celles sur la stupidité ça peut servir, zappez tout le reste jusqu’à la page 86 en vous promettant d’y revenir après parce qu’on n’oublie jamais assez d’être con. Page 86, donc: « 10000 ans d’ivresses », voilà qui est intéressant. Pourquoi prend-on autant de plaisir à se pinter la ruche et à jouir de la fermentation des saccharomyces? (note pour vos dîners mondains: ne dites plus « j’étais bourré comme un sanglier polonais » mais « grâce à une innovation métabolique des saccharomyces qui convertissent le sucre en éthanol, j’ai passé une fort belle soirée »).

D’après certains scientifiques, l’explication serait évolutive et liée à l’apparition des arbres à fleurs. L’éthanol produit par les levures sur des fruits mûrs aurait permis à nos ancêtres de savoir où trouver à becqueter. Selon Robert Dudley, de l’université de Californie à Berkeley, la sélection naturelle aurait ainsi favorisé les spécimens capables de renifler la goutte d’alcool pour ne pas crever la dalle et c’est pour ça qu’on a soif à l’heure de l’apéro. Et toc les abstinents. Hélas, cette belle histoire ne fait pas l’unanimité, et il serait plus sage de considérer que l’hominidé à commencé de se prendre des mines par hasard, au gré des interactions entre l’agriculture naissante et l’évolution de la biomasse (dont les levures et les plantes).

Hélas encore, l’évolution est une belle garce, et après nous avoir doté d’un nez à la pointe du progrès et d’un foie qui métabolise mieux les enzymes que Chirac esquivait les procès, elle est en train de faire machine arrière et de nous priver de la seule consolation de la vie avec l’art et les congés payés. Ce qui nous amène en droite ligne à notre sujet initial.

En effet, figurez-vous que les populations de l’Est de l’Asie  (Chine et Japon) encaissent bien moins l’alcool qu’un Polonais, qu’un Irlandais, ou que l’auteur de ces lignes. La faute à une version inactive du gène de l’aldéhyde déshydrogénase (note pour vos soirées mondaines: ne dites plus « j’étais tellement plein que j’ai posé des queues de renard partout » mais « mon gène de l’aldéhyde déshydrogénase a connu quelques dysfonctionnements ») qui empêche leur métabolisme de détoxifier l’éthanol et les rend plus enclins au vomi intempestif et aux palpitations. Ces populations se seraient un peu trop fréquemment bourré la gueule par le passé, si bien que la nature a dit « halte là, seuls les abstinents arriveront à se reproduire et à propager l’espèce », avec toute l’iniquité dont elle peut faire preuve quand elle décide par exemple de nous empêcher de grimper aux arbres ou de bouger les oreilles pour que l’on puisse mieux pointer au bureau.

On peut déduire de ces fascinantes observations que si le dragon asiatique profite d’une de nos gueules de bois pour nous dévorer tout cru, ce ne sera pas grâce à ses salaires indignes ou à son horrible tyrannie, non pas grâce à l’insupportable « Gangnam style » ou grâce à son talent à dupliquer les technologies de pointe, et sûrement pas en écho aux prophéties d’ivrogne de Peyrefitte.

C’est simplement parce que la sélection naturelle en a décidé ainsi, et il n’est rien qu’on y puisse faire. Sur ce, je prends de l’avance et je vais me saouler bien comme il faut en lisant Yukio Mishima.

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