Merci Cavanna

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Cher Cavanna,

tu es vraiment un beau salopard. Quand dans une autre chronique j’encourageais les lecteurs/lectrices du Graoully à s’endetter et à délaisser temporairement l’obole aux clodos pour que Denis Robert puisse réaliser un film sur toi, j’avais bien mentionné que j’espérais ne pas le voir à titre posthume. Je sais bien que les gars qui ont tâté de l’aggloméré sur les chantiers ou qui ont côtoyé les nazis (les vrais, pas les pauvres cloches de quenelliers de mon cul) font rarement de vieux os, je sais bien que le cancer  ou toute une vie passée à gagner sa croûte laissent rarement le loisir à l’honnête homme ou à l’honnête femme de vivre au-delà de quatre-vingt-dix balais. A plus forte raison quand on a fait profession comme toi de lutter contre les cons, l’ouvrage le plus ardu qui soit. Président de la République, par exemple, c’est plus facile, il suffit de convaincre un groupe de cons que les cons c’est les autres.

Finalement, Denis Robert a réuni la thune assez promptement, et annonçait fièrement, il y a quelques jours, qu’il allait se remettre au turbin. Et c’est le moment que tu as choisi pour avaler ton bulletin de naissance de Nogent sur Marne, ben ouais j’ai lu tous tes bouquins, je sais où que t’as vu le jour mon gars. Alors tu vas rejoindre Desproges, Choron, Pasquini, tu vas peut-être même enfin retrouver ta chère Maria, et toute la troupe, sacré veinard. Mais tout ça c’est des conneries. A cause de toi, j’ai appris à lire alors que l’école avait fait de son mieux pour m’en dissuader. Du coup, je suis au courant que le bistrot dans les nuages avec les vieux copains et tout ça, c’est à peu près aussi probable que la réconciliation entre Philippe Val et Siné (d’ailleurs, si tu nous lis Bob, ne te sens pas obligé de faire comme François). Une fois que tu as plié ton pébroque, c’est le festin des asticots et salut l’artiste. N’en déplaise aux apprentis martyrs de droite comme de gauche qui trouvent ça beau de mourir au combat, je t’accorde qu’une infection pulmonaire après une opération du col du fémur à un âge canonique, c’est quand même vachement plus classe que clamser au STO ou sous les coups de tonfa d’un CRS. Jusqu’au bout, tu as eu raison mon pote, à part sur la date qui est bien trop précoce à mon goût.

A présent, tu n’en as plus rien à talquer, mais le singe n’en finit plus de devenir con, comme tu l’écrivais dans « l’Aurore de l’humanité ». Le con en colère, qui veut faire mai 68 à l’envers, qui déteste les femmes, l’humour, la joie de vivre, l’individualité, le vrai reproducteur en batterie qui ne pense qu’à procréer, qui geint pour ses impôts mais qui préfèrerait crever que de changer un tant soit peu de mode de vie, et encore moins  laisser chacun vivre comme ça lui plaît. Comme dit le marquis de Sade, celui qui ne pense qu’à se remplir et à se vider. Mais pas que. Le con civique aussi s’y met, à chanter comme des psaumes ses articles de foi républicains, qui trépigne et qui surjoue l’indignation à la première petit secousse, tout aussi dénué d’humour que son frère calotin et tout aussi imprégné de ses certitudes, le révolutionnaire de canapé qui est une engeance encore plus pénible que les vrais révolutionnaires.

Et toutes les autres variétés de con, à uniforme, à drapeau, à rosaire, à maillot de sportif, à cravate de journaliste, que sais-je encore, ont dû déboucher le champagne quand ils ont eu vent de ton trépas. Ça doit un peu les soulager quand on est un de moins à leur chier dans les bottes.

Je ne pousserai pas le cliché jusqu’à dire que tu nous laisses orphelins. On est encore une belle troupe, on en a vu d’autres partir trop tôt, toujours trop tôt. On n’est peut-être pas nombreux, mais la tripe à vif et les reins et les intestins solides, on continuera à leur souiller les mocassins, à ces baltringues.

Bref. Je ne suis pas doué pour les éloges funèbres, j’écris moins bien que toi et comme moi je ne suis pas mort, j’ai des trucs à faire. Alors je vais faire court: merci pour Hara-Kiri, merci pour Charlie, merci pour les bouquins, merci pour la rage et la tendresse, merci de ne m’avoir pas laissé vivre heureux comme un pape et con comme un panier, merci d’avoir emmerdé des générations de constipés.

Mais quand même, mourir si jeune, tu fais chier.

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