L’humanisme, c’est (presque) dépassé

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Tout le monde connaît la fameuse phrase de Protagoras: « l’Homme est la mesure de toute chose« . C’est ce gazier qui a inspiré au premier chef les Humanistes, du nom du mouvement culturel et artistique de la Renaissance qui sous l’égide d’Erasme et de Montaigne a rendu la vie intellectuelle plus intéressante que l’œuvre de BHL ou d’Eric Zemmour.

A l’époque, les animaux et les femmes étaient encore des biens meubles, pour reprendre l’expression de François Hollande, et quoique je ne dispose pas de la citation de Protagoras en version originale, je ne doute pas que seul le mâle de l’espèce était visé par cette tentative méritoire d’envoyer les dieux se faire foutre au Walhalla ou à l’Élysée ou où que ce soit d’autre où ils étaient supposés crécher.  Mais attends, c’est pas là que je veux en venir. A la Renaissance, des penseurs se sont dit: « Bon commenter la Bible c’est marrant un millénaire et demi, jouer au gnostique faux-derche comme Descartes ça nous a fait marrer cinq minutes, mais là on se fait chier la bite, intellectuellement parlant. Finalement tous ces païens méditerranéens aux mœurs douteuses et au panthéon surabondant que nous ont ramené les Arabes n’ont pas l’air de raconter que des conneries. On devrait peut-être reprendre et développer leurs idées au lieu de se battre pour savoir si Jésus était plutôt slip ou caleçon. » (je schématise légèrement, en fait il y avait quand même une vie intellectuelle au Moyen-Âge avant la Renaissance, mais c’est pas le sujet). L’Humanisme était né. Désormais, quand tu te mettais des trucs dans le carafon pour arrêter d’être con, on disait que tu faisais tes humanités.

Avançons encore un peu dans le temps. Fin XVIIIè siècle. Les bourgeois se rendent compte qu’ils sont plus riches que les aristos, que déjà les forces vives de la Nation sont entravées par l’Etat et les impôts, et pourtant le socialisme n’était pas encore né. L’époque est hostile envers les curetons et les noms à particules. Un mecton qui a un peu lu hèle ses pairs et brame: « Les gars, j’ai une idée du feu de Dieu ». On lui coupe la tête pour modérantisme. Un pote a lui qui était au courant de ses plans enchaîne: « Les gars, j’ai une idée. On va rédiger un truc plein de bonnes intentions qu’on appellera Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. On s’en fout, mets tout ce qui te passe par la tête. Juste, oublie pas le droit au travail, sinon on a l’air con pour le business. Mais non, pas les Noirs et les femmes, tu veux tuer le petit commerce ou bien? ». Les copains opinent du chef et coupent celui du roi pour fonder la République. (on avait essayé à Metz au XIIIè siècle, ça avait plutôt bien marché. Alors tu parles qu’on s’en fout de la fierté d’avoir hébergé les Ducs de Lorraine, de Bourgogne ou de mon cul). Bref, l’humanisme connaît un glissement sémantique et désigne désormais tous ceux qui sont concernés par les droits de l’Homme, voire même ceux qui éprouvent de l’empathie pour leurs frères et sœurs « défavorisés ».

Voilà, fin du résumé historique. Le terme a assez peu évolué depuis, on y a juste glissé quelques trucs au gré de sa sensibilité politique. On est toujours très fier de l’article premier de ladite déclaration: « les hommes naissent libres et égaux en droits« . C’était sans doute une déclaration de principe valable en 1789, où le déterminisme n’était qu’une lubie de huguenots. Depuis, la pensée politique et philosophique a considérablement évolué, on sait qu’on ne naît certainement pas libre et que l’égalité des droits reste un vœu pieux. La deuxième partie de l’article 1 (« les distinctions sociales ne peuvent être justifiées que par l’intérêt commun« ) a largement pris le pas sur la précédente. Une expression a fleuri dans l’étroit cervelet des réacs nostalgiques de l’Ancien Régime, qui consiste à traiter quiconque est soucieux de dignité humaine de « droit de l’hommiste ». Et pourtant, même Marine Le Pen, quand elle veut expulser tout ce qui migre jusqu’aux pigeons, prétend le faire par humanisme. Même le Front de Gauche, qui devrait pourtant être plus instruit de ce qu’est la recherche de la liberté dans le déterminisme, se range sous le slogan « l’Humain d’abord ».

Alors, et j’en viens enfin à la question qui me taraude, est-ce que l’humanisme est encore une notion valide aujourd’hui? D’un strict point de vue biologique, je me fous complètement de savoir si l’humanité va subsister en tant qu’espèce ou non. C’est l’évolution, mektoub. Si la nature décide qu’on a assez foutu la merde et qu’il est temps de débarrasser le plancher, si elle estime qu’on prolifère bien plus que de raison et qu’elle nous coupe les moyens de, bon débarras.

Si l’on parle du devenir des individus, je suis déjà un peu plus partagé. On reproche à notre époque d’être cruellement matérialiste et individualiste, c’est absolument faux. Égoïste, autant que tu voudras, paranoïaque, mégalo et grégaire à la fois, sans aucun doute. Pas mal de monde se contente de vivre en tant qu’organisme reproducteur. La fameuse supériorité de l’homme sur l’animal dont certains se vantent tant, c’est juste de l’égo mal placé.  Hélas, tout ce que l’Homme copie chez l’animal, il va le chercher chez le malheureux bétail qu’il exploite pour on ne sait quelle raison. Sous le joug de la nécessité, il arrête de vivre et se contente d’exercer ses fonctions vitales essentielles (quand il le peut). Alors individualiste, give me a break.

L’humanisme reposait sur un credo optimiste qui voudrait que les capacités intellectuelles de l’Homme soient illimitées et portées vers le bien. Alors que la multitude, abrutie par le travail et la quête d’argent pour subvenir à ses besoins, ne demande rien d’autre qu’un peu de confort à ruminer tranquillement, en échange de quoi elle peut subir à peu près toutes les humiliations sans regimber.

Finalement, on ne vaut guère mieux que les amibes ou les virus enfouis dans la toundra sibérienne. Et tous ceux qui se font les chantres de la responsabilité individuelle et qui croient encore qu’on est totalement maître de son destin sont de sacrés comiques. La seule chose que l’humanité a créé, c’est le besoin, qu’elle a pingrement substitué au désir et à l’instinct, les parts animales qui nous manquent tant. L’humanisme a eu son utilité, mais maintenant il a fait de nous des enfants gâtés et paresseux. A quoi bon avoir un si gros cerveau si c’est pour ne l’utiliser qu’à des conneries?

Les humanistes feront un grand pas en avant quand ils se décideront à mettre fin au travail et au pouvoir, les deux entités les plus contraignantes en matière d’oppression et de nécessité. Mettre fin au pouvoir, c’est mettre fin à la hiérarchie entre humains avec tous les échelons que l’on a eu le temps d’inventer au cours des siècles, mais aussi entre l’être humain et le reste du vivant. Il ne s’agit pas d’un impossible retour à la nature, mais bien de remettre de l’animalité dans la culture et de revenir au monde au lieu de se développer en autistes. Les intellectuels du Moyen-Âge dont je parlais plus haut, et toute une ribambelle de philosophes de bon aloi ne s’y étaient pas trompés en chargeant toute leur œuvre d’un imposant bestiaire.

Bref, l’humain est quelque chose qui doit être dépassé.

2 comments on “L’humanisme, c’est (presque) dépassé

  1. Les réseaux sociaux aussi, c’est (totalement) dépassé – surtout pour les punks à chats …

    Merci donc, Le Graoully !

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