La rentrée littéraire des chacals

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Comme promis dans ma dernière chronique, j’ai bien suivi le résultat de Lille-Metz. Si tu veux savoir, j’ai même regardé le match en compagnie de deux bouteilles de blanc. En revanche, je suis actuellement devant un match et j’ai du mal à m’engager pour l’une ou l’autre des équipes. Avouons-le, je n’y comprends même pas grand-chose.

A ma droite, il y a Amazon, le célèbre distributeur américain de livres numériques et papelard. A ma gauche, Hachette, maison d’édition et de distribution française, qui n’est pas jouasse des pratiques du géant américain, et qui bénéficie du soutien de la ministre de la Culture Aurélie Filipetti qui n’a pas l’air d’y comprendre grand-chose de plus que moi.

Donc les vilains tueurs d’Indiens d’Amazon voudraient faire baisser les prix des ouvrages édités par Hachette en version numérique. Pour ce faire, Amazon multiplie les filouteries du genre délais de livraison du catalogue d’une justesse digne d’une grille d’horaires de la SNCF, tentative de débauches des auteurs qui se verraient attribuer la totalité des droits d’auteur sur les versions numériques de leurs œuvres, divulgation de l’email du patron d’Hachette, et autres prévarications certes inélégantes, mais pas franchement étonnantes dans ce contexte.

Souvenons-nous qu’Hachette, propriété du groupe Lagardère, s’était entendu avec Apple pour fixer les prix au mépris de la sacro-sainte loi de la concurrence et des concurrents, puis avec Google pour l’édition numérique des titres épuisés de la maison d’édition. Rappelons-nous également que le groupe détient entre autres Larousse, Armand Colin, Stock, Lattès, Grasset Fayard, les éditions Mille et Une Nuits, et une part non négligeable du très estimable Livre de Poche. Je passe sur la concentration de journaux co-détenus avec Lagardère et Disney, qui font d’une bonne partie de la presse française une catin soumise aux desiderata des annonceurs. (et je digresse en ajoutant que ce n’est sans doute pas un hasard si le mot « détenu » désigne à la fois la possession et l’incarcération).

Mme Fillipetti, qui doit avoir du temps libre avec toutes ces grèves d’intermittents, s’insurge des pratiques d’Amazon, contre sa politique d’emploi, contre cette vile attaque contre la culture et contre les créateurs, et souffre avec le pauvre libraire indépendant qui ne vend pas de livres numériques. J’espère qu’un jour quelqu’un la renseignera sur les activités de Lagardère, j’espère qu’elle est déjà allée faire un tour sur le site d’Hachette qui divise le monde en « France », autres pays alentour , et « nouveaux marchés ». Et surtout, j’espère que quelqu’un lui expliquera l’action du gouvernement dont elle fait partie à l’endroit des créateurs.

M’enfin bref. D’un point de vue rigoureusement économique, pour moi la différence entre Hachette et Amazon est assez comparable avec celle qui pourrait exister entre Marc Lévi et Guillaume Musso.

Étudions donc les arguments des deux protagonistes de l’affaire.

Amazon prétend défendre le consommateur. J’ai horreur qu’on me traite de consommateur, cela m’est aussi odieux que quand un des copains de Fillipetti me traite de peuple. Hélas, dans un sens, Amazon n’a pas tort, et n’est pas le seul à nous considérer comme des consommateurs de bouquins. Toute la clique des Lévi, Musso, Foenkinos, Gavalda, Pancol, l’auteur de cinquante nuances de mon cul, et consorts pondent du bouquin comme Peugeot chie de la bagnole. Toutes ces braves gens publient des pavés à flux tendus, mais ces livres ne t’apprennent rien, ne contiennent rien (et surtout pas la moindre étincelle de vie), et sont écrits dans une langue aussi novatrice qu’un discours de Jean-François Copé. Toutes ces encyclopédies du conformisme ressassent avec mièvrerie le bovarysme que Flaubert avait  relaté avec génie en son temps, et sont aussi utiles à la littérature que Cyril Hanouna à Arte. C’est exactement le genre d’ouvrages qu’on ne trouve pas chez le libraire indépendant cher au cœur de Mme Fillipetti (et au mien). Et pourtant ils représentent une part non négligeable du chiffre d’affaires de l’édition en France. Il est fort probable que les éditeurs de ces messieurs-dames axent leurs recherches de « nouveaux talents » et de « nouveaux marchés » sur des standards de ce genre. Avec toutes les réserves que l’on peut émettre quand une entreprise prétend défendre le consommateur (comme Free dans un autre domaine), on peut difficilement reprocher à une boîte de chercher à faire du profit avec du fumier quand c’est le modèle généralement établi. Le « consommateur » a heureusement la possibilité d’aller chez un libraire digne de ce nom ou sur une autre plate-forme de distribution s’il n’est pas content.

De leur côté, Hachette et Mme Fillipetti prétendent défendre les auteurs, en s’appuyant sur la pétition qui a réuni 900 auteurs américains et leur guilde contre les pratiques d’Amazon. Il faut reconnaître que les États-Unis sont l’un des très rares pays où un écrivain peut vivre de son art. Les signataires de la pétition m’ont l’air motivés par de nobles raisons, mais comme dans la liste d’auteurs cités plus haut, il y a aussi quelques baltringues qui doivent y trouver leur intérêt. En France, c’est quand même plus compliqué. A moins de faire partie des blockbusters de la rentrée littéraire ou à moins d’être devenu écrivain après avoir amassé un max de thunes (comme Beigbeder, que je trouve très bon au demeurant), la plupart des bons écrivains contemporains continuent à exercer dans l’enseignement, dans le journalisme, ou dans je ne sais quoi. Une bonne partie de mes héros littéraires, comme Bukowski, Miller, Casanova, Nietzsche, Villon, Verlaine ou Baudelaire, ont même connu une misère noire une bonne partie de leur existence pour avoir voulu élever leur art au-delà des contingences de la nécessité.

Donc, au point où j’en suis, je ne sais toujours pas qui d’Amazon ou d’Hachette a raison, mais je subodore que ni les auteurs ni les lecteurs ni les libraires de bon aloi n’y gagneront quoi que ce soit, et que point ne sera besoin d’ajouter un appendice à l’Art du Roman de Milan Kundera quand quelqu’un aura tranché le débat. En attendant, Amazon édite aussi de bons auteurs comme not’ président ou moi-même.

Et finalement, même si je ne suis pas un fan de Louis-Ferdinand Céline, je préfère en débattre avec mon pote Johnny Alasti (dont vous trouverez les bons ouvrages ici ) que de savoir qui est dans son bon droit des deux firmes dont il est question.

Parce que nous on est des punks, mec. On publie en mode DIY.

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