Observations sociologiques au sein d’un groupe de figurants de cinéma (3)

12-28-Mikaël-Jeunes glands

J’étais parti pour vous parler des gens que j’ai rencontrés au cours de cette brève expérience cinématographique et je m’aperçois qu’en fin de compte, je vous parle beaucoup de moi-même… Tenez, je viens à peine de reprendre la plume et j’ai déjà employé six fois le pronom « je » ! Je vous concède que je ne suis pas un modèle de modestie mais de toute façon, il ne faut pas d’être d’une humilité excessive pour estimer que son expérience personnelle mérite d’être racontée au plus grand nombre… Et puis ma démarche est-elle vraiment si prétentieuse ? Je ne pense pas : je ne crois pas à l’impartialité, ni dans le domaine de la recherche ni dans le domaine du journalisme ; Victor Hugo et Charles Baudelaire disaient que quand ils parlaient d’eux-mêmes, ils parlaient aussi des lecteurs auxquels ils s’adressaient, mais la réciproque est vraie : quand on parle d’autrui, on parle aussi beaucoup de soi-même, on ne peut jamais mettre complètement de côté son vécu, son expérience, son caractère, sa culture personnelle, autant de données qui conditionnent toujours inévitablement le regard qu’on porte sur autrui et qui se manifestent toujours, de façon plus ou moins flagrante suivant les cas, dans le discours que l’on tient sur l’autre.

Le chapitre que j’ouvre aujourd’hui est révélateur de cette vérité qui pourrait inciter bien des journalistes et bien des chercheurs à la modestie ; après quelques heures d’attente, nous étions descendus dans un restaurant prendre un repas payé par la production. Le menu était assez copieux et bien servi, ce qui n’était pas du luxe vu que nous étions censés tenir le coup jusqu’à deux heures du matin, qui plus est dans le froid d’une nuit d’automne brestoise… Au cours du repas, c’est connu, les langues se délient inévitablement, et nous échangeâmes donc quelques souvenirs afin de mieux lier connaissance ; ainsi, je fus amené à raconter un différend qui m’opposa par le passé, à la fac, avec un étudiant auquel j’avais reproché quelques bavardages intempestifs qui m’empêchaient de suivre le cours. La jeune femme qui me faisait face me dit que j’aurais dû faire preuve d’indulgence envers cet étudiant, ce à quoi j’opposai que durant un cours, par respect pour le professeur et pour les autres élèves, on se doit de garder le silence (ce fut ma conviction durant toute ma scolarité et je n’ai pas changé d’avis) et qu’une baisse d’attention ne justifie pas que l’on perturbe le cours ; mon interlocutrice me répondit en substance que ça devait bien m’arriver à moi aussi de bavarder en cours et j’eus bien du mal à la convaincre que non : quand elle consentit enfin à me croire, elle n’en revenait pas ! Et pourtant, avec qui aurais-je pu bavarder en plein cours ? J’étais le « bon élève », le « binoclard », autant dire la tête de turc de toutes les grandes gueules de la classe : se monter avec moi était la honte suprême, et je me retrouvais toujours au premier plan, sans jamais personne à mes côtés ! Cela dit, j’avoue que j’admonestais systématiquement ceux dont les bavardages m’agaçaient et m’empêchaient de suivre les cours : j’étais sûr d’être dans mon bon droit, et je n’ai toujours pas changé d’avis ! La jeune femme à laquelle je racontais tout cela dut m’avouer « ah ben tu ne te serais pas plu dans ma classe », ce à quoi j’aurais dû répondre qu’il est plus que probable qu’aucune classe n’aurait de toute façon convenu au jeune homme studieux et aspirant à une vie paisible que j’étais et qui s’est vite retrouvé démuni face à sa génération pour laquelle le rap, le foot et l’insolence à l’égard des aînés étaient les conditions sine qua non de la normalité… Ce dialogue m’offrit la confirmation d’une remarque que m’avait faite jadis mon professeur de latin (oui, j’ai fait du latin et je vous emmerde) qui jugeait que les élèves de ma génération considéraient comme tout à fait normal de bavarder en plein cours : j’avoue que je n’y croyais qu’à moitié jusqu’alors ! Mais ça, à la limite, ce n’est pas le plus grave : au cours de la conversation, je fus également amené à raconter l’une des innombrables avanies qui me firent subir en plein cours quelques-uns de mes « camarades » et je dis, commentant une circonstance dont la narration serait fastidieuse, que le professeur n’allait pas laisser les élèves faire la loi : il n’en fallut pas plus pour qu’une autre convive me fit savoir que les contre-exemples de cet avis, que j’ose croire plein de bon sens, abondent aujourd’hui…

Comme quoi, le projet de Benoît Hamon de refonder l’école, c’était plus qu’une bonne idée, ça reste une urgence. Cela dit, vous voyez : si je n’avais pas été dans le passé un premier de la classe irrémédiablement allergique aux bavardages intempestifs, je ne me serais sans doute pas fait cette remarque… Ce n’est donc pas sans une certaine amertume que, suivant le groupe, je quittai le restaurant, car le moment tant attendu du tournage était arrivé. À suivre… 

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