Merde aux prophètes, merde à la République, vive la liberté

Les horribles assassinats d’hier m’ont rappelé à quel point ce pays est fasciné par les morts, et à quel point toute la mythologie républicaine est marquée par ses martyrs. De l’extrême-droite à la gauche la plus radicale, tu as toujours un casse-couilles pour te dire « il y a des gens qui sont morts pour que tu aies le droit de… » quand tu refuses de voter, de t’incliner devant le drapeau, ou rendre hommage aux glorieux anciens. Tu me diras, pour chaque mort pour une noble cause, il y a aussi en face un mort pour une cause à postériori indigne, et au fond chaque belligérant était persuadé d’être dans son bon droit, laisse une veuve et des mioches qui n’auront le temps de faire leur deuil que jusqu’à ce que les vainqueurs leur mettent la main dessus. Si tu veux affiner les résultats en séparant les morts par conviction et ceux qui ont été envoyé à la boucherie parce qu’ils traînaient dans le coin et n’avaient rien de mieux à glander, ça fait toujours, au bout du compte, énormément de morts pour rien.

Hier, on a donc beaucoup entendu « les journalistes de Charlie sont morts pour la liberté d’expression ». A mon avis, ils ont plutôt vécu pour ça, et ils sont morts à cause de deux connards inféodés à un fantôme moyenâgeux. La liberté d’expression, comme toutes les libertés, n’est pas un acquis généreusement octroyé par la République. D’une part, il a fallu l’arracher à Anastasie, autre bonne fille de la République, et d’autre part, comme l’affirme la devise du Canard Enchaîné, la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Une liberté, c’est bête à entendre, mais ça s’exerce.

Aussi, même si je ne doute pas un instant de la sincérité des hommages de la presse aux confrères de Charlie, je me suis demandé si dans quelques rédactions, on n’avait pas envie qui d’enquêter sur le dopage dans le Tour de France pour l’Equipe, qui sur les affaires de Dassault dans le Figaro, qui sur les malversations du Crédit Mutuel dans le Républicain Lorrain, sur les ennuis de Baylet dans la Dépêche du Midi, et on peut passer la journée à citer des plumitifs qui n’ont pas une totale liberté d’expression. Demandez à Reporters sans Frontières si la presse française est si libre que ça, et combien aimeraient envoyer promener les annonceurs une bonne fois pour toute, avoir la liberté totale d’exercer son boulot. En revanche, je ne doute pas un instant non plus que la récupération politique va bon train, car un politique sans arrière-pensée, c’est comme un bon dessin de feu Jacques Faizant, le Cabu du Figaro: c’est aussi crédible que des excuses publiques d’Al Qaida.

Pour clarifier mon point de vue, j’ai donc décidé de publier mes dernières volontés immondaines au cas où je me ferais zigouiller par un bigot fatigué des mes chroniques anticléricales, par un automobiliste rendu hystérique par ma lenteur sur les passages piétons, ou par un maniaque de la ponctuation usé par ces phrases interminables où qu’on sait jamais où qu’on peut respirer.

Tout d’abord, je consens à ce qu’on se rassemble sur toutes les places des grandes villes pour célébrer ma mémoire, et qu’on brandisse des bouteilles de pinard pour la paix de mon âme. Pour faciliter le travail de mes amis journalistes et pour être sûr que vous ne raconterez pas de bobards dans ma nécrologie, vous pourrez dire que j’aimais bien les chats, les forêts, les bouquins, le vin rouge, les instruments de musique, les filles aux grands yeux et aux jupes légères et les poivrots magnifiques. C’est tout ce que vous avez besoin de savoir. Et puis allez-y mollo sur les mouchoirs, je n’ai jamais pu encaisser les veillées funèbres.

Vous noterez que je ne désire être nommé citoyen d’honneur d’aucun patelin où j’ai vécu ni d’aucun bled où j’aurais coulé un bronze en méditant sur mon impérissable œuvre que vous pouvez toujours acheter ici.

Quoique que je serais heureux de recevoir à titre posthume quiconque a envie de venir (sauf les chasseurs, les propriétaires de 4×4 et les buveurs d’eau), je vous serais reconnaissant de ne pas convoquer de marche républicaine. Il est bien sûr absolument hors de question d’accueillir des membres du FN qui sont à la liberté ce que Jean-Jacques Goldman est au punk hardcore, mais je ne tiens pas non plus à voir de membres de l’UMP (puisque d’aucuns persistent à y trouver une différence avec le FN), ni du Modem ni de l’UDI ni du PS ni d’une quelconque autre organisation qui s’empresse de sortir les grands principes lors des grands évènements mais qui sème la discorde sociale tout le reste de l’année. Allez, vous faire empapaouter, républicains de circonstance prêts à saloper la moindre forme de vie et de beauté pour un dixième de point de croissance.

Idem, point d’union nationale. Outre le fait que je n’ai aucun amour particulier pour la patrie et les frontières, je trouve que passés la légitime émotion et l’hommage aux victimes, on devrait commencer à aiguiser arguments, invectives et à ouvrir  débats et discussions pour savoir pourquoi on en est arrivé là et comment on fait pour s’en sortir.

Enfin, avant que de vous ébahir sur la liberté d’expression – et sur la liberté au sens large- des autres, commencez déjà par exercer la vôtre. Brûlez les panneaux publicitaires et les publicitaires avec, décapitez les éditorialistes qui répètent presque tous la même chose à longueur d’antenne depuis des décennies, bâillonnez les élus et les candidats qui promettent le plein emploi, le grand soir ou 70 innocentes qui n’ont rien demandé à personne, venez chroniquer ou faire des crobards dans le Graoully ou sur les murs de votre patelin, bref faites ce que vous voulez mais faites-le. Ça emmerdera les intégristes et ça évitera que les représentants de la République ne vous transforment en symbole de quelque chose qui les dépassent de très loin.

Charlie Hebdo mérite amplement l’hommage qui lui est rendu depuis hier. Ça m’agace quand même un peu que tout le monde les trouve formidable aujourd’hui alors que le canard était pas loin de mettre la clé sous la porte. Pensez aussi au vieux Siné qui décidément nous enterrera tous.

Bref, je suis Charlie, je suis Graoully, mais je vous préviens, les rapaces de l’info-politique: je ne serai jamais le martyr de quelque cause que ce soit.

5 comments on “Merde aux prophètes, merde à la République, vive la liberté

  1. « je ne serai jamais le martyr de quelque cause que ce soit. » Ma-gni-fi-que !
    Quelle est donc l’intérêt d’avoir des convictions si tu te bas pas pour elles? Rester dans ses chiottes en disant « j’ai des convictions mais je lutte pas pour elles, je suis une pauvre fiotte »?
    Suuuuuuuuuuuper, vraiment !!!! Quand on a une cause, petit gaucho de mes deux, on se donne à elle, pleinement, prêt à n’importe quel sacrifice pour la cause qu’on aime! Une cause, c’est un ensemble d’idées: les idées sont faites pour êtres appliquées!
    Vouloir un monde meilleur, c’est bien: le construire c’est mieux!
    Le Héros, c’est pas celui qui avait que des bonnes idées et qui est mort dans son coin; le Héros, c’est celui qui applique l’héroïsme « Acte d’un courage exceptionnel »: l’héroïsme, c’est vivre, lutter et mourir pour ses idées, quelles qu’elles soient!
    Je terminerai par une citation qui illustre assez bien ma pensée :
    « Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens : ceux qui les font et ceux qui en profitent. » Napoléon Bonaparte.

    1. Le sujet de l’article et ce que j’appelle « martyre », c’est la récupération dont les victimes des attentats ont fait l’objet par des gens qui ne partagent sûrement pas les mêmes combats.

      Le petit gaucho de vos deux vous invite donc à reprendre l’apprentissage de la lecture avant de poster des commentaires hors sujet.

    2. Puisque vous aimez les citations, permettez-moi de vous proposer de méditer sur celles-ci :
      « Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente. » Georges Brassens
      « L’invective ne déshonore que son auteur. » René Goscinny
      Vous remarquerez au passage que je cite des personnalités qui n’ont jamais envoyé personne se faire tuer, contrairement à Napoléon, mort certes en captivité mais dans son lit.

    3. Et j’ajoute qu’il est d’autant plus malvenu de traiter Jonathan de « gaucho » qu’il est avant tout, comme moi, un voyou qui ne croit pas aux lendemains qui chantent, ce qui, je m’en doute, doit être encore pire pour vous…

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