Note de l’auteur:
J’ai été absent un long moment d’ici, l’endroit où l’aventure a démarré pour moi. Je n’oublie rien. Voici donc pour vous, en exclu planétaire, très chers camarades graoullyiens, les premières pages de mon premier roman. Il est encore en gestation. Il est donc possible que ces premières pages deviennent totalement inédites! Elle est pas belle, la vie ?!
Bien à vous !
Ça a débuté par un coup de téléphone que j’ai passé trop vite. La femme a suggérée que je me rende immédiatement chez elle pour un entretien. Une heure plus tard, je passai prudemment le portillon de l’entrée et traversai le long jardin parsemé de chiens de chasse de toutes sortes et de toutes tailles, priant pour que l’un deux ne décide pas soudainement que je dégageai une odeur alléchante, que j’avais l’air d’un cerf, d’un sanglier, d’un renard ou pire ! d’un facteur. J’arrivai alors devant une porte-fenêtre qu’une femme dans la soixantaine d’années ne tardai pas à ouvrir. M’introduisant à l’intérieur, je jetai comme à mon habitude en entrant chez n’importe qui, un regard à cent quatre-vingt degrés, comme ça, pour évaluer. La vieille, immédiatement alertée par ma curiosité, me demanda ce que je regardai. J’allai répondre machinalement ce que je répondais tout le temps lorsque l’on me posait cette question. Je me retins néanmoins juste à temps et montai une bien piètre histoire à propos de mon intérêt pour la décoration, la hauteur sous plafond, et la provenance des jolies moulures dorées style rococo qui couraient tout autour. En temps normal, la première chose qui attirait vraiment mon regard et suscitai un énorme intérêt chez moi, c’était si oui ou non la personne avait une bibliothèque. Si c’était non, c’était bien dommage mais il allait falloir faire avec. Si c’était oui, quid quant au contenu ? Souvent, je vois des bouquins totalement démoralisants du genre de ceux que pondent Marc Levy ou Amélie Nothomb; parfois les gens appellent simplement un magazine un livre, et je me retrouve avec la personne en train de me foutre le dernier numéro de Closer sous les yeux; la plupart du temps, c’est une grande déception mais il arrive que…parfois… un exemplaire de ce que je considère être un bon livre, suffise à me rendre plus aimable envers mon hôte et plus réceptif à ce qu’il va me raconter. Je n’ai encore jamais vu un bon livre chez un inconnu. Du Marc Lévy, ça, il y en a à la pelle chez presque tous les beaufs qui croient vraiment lire. Pourtant ce type est le David Guetta de la littérature. Il parle aussi bien d’amour qu’un eunuque parlerait de sexe. Les couilles sur le bas-côté. Je ne vois en général que la plupart des best-sellers genre « Cinquante nuances de Grey » tous plus vendus en une semaine que des jeunes albanaises en plusieurs années, et qui souillent l’esprit de ses lecteurs aussi frénétiquement qu’un djihadiste la vertu d’une fillette à Mossoul. Je ne parle encore que des plus connus, ceux dont chaque livre est assuré de figurer dans le top ten des meilleurs ventes. Les éditeurs de toutes ces grosses ventes qui écrasent tout à chaque rentrée littéraire devraient presque en reverser les bénéfices à une association caritative pour hommes de lettres lobotomisés. Je ne m’attarderais pas sur le cas de la myriade d’autres écrivaillons, moins mainstream, plus bobos-rebellos-branchés, conseillés par les Inrocks et consorts, qui vendent la même merde que les autres mais en l’enrobant de fausse subversion, et qui hantent sans vie les couloirs des grandes maisons d’éditions. Du business tout ça, rien que du business. Elle sont rares aujourd’hui, les personnes qui parviennent à démêler le vrai du faux, à différencier le bon du mauvais. C’est l’effet culture de masse. C’est triste, non ?
En parcourant certaines bibliothèques, je suis néanmoins déjà tombé sur une superbe édition reliée des Rougon-Macquart de Zola, la Bovary de Flaubert, le Goriot de Balzac, L’étranger de Camus, le Bel-Ami de Maupassant, tous ces auteurs merveilleux mais qui me donnent l’impression, que ces victimes de mon voyeurisme, n’ont lu que ce que leur imposait l’éducation nationale et que ces livres occupent une place sur leurs étagères uniquement car ils ne les ont pas jetés à la poubelle après l’obtention du bac ; les seuls vestiges d’un passé de lecteur enterrés plus profondément que des ossements de dinosaures. Ça, ou des polars, ou les derniers Goncourt et Renaudot.
Jamais de Céline, de Pasolini, de Nabe, de Bukowski, de Safranko, de Dostoïevski, de Mirbeau, de Kafka, de Jack London, de Thoreau, de Hunter S. Thompson, de Hamsun, de Henry Miller, et encore moins de la poésie. Ah ça non ! Jamais ! Les seuls « Alcools » chez eux rendent débiles, apathiques, et violents.
J’aime à croire qu’en observant la bibliothèque de quelqu’un, je peux savoir d’avance s’il est possible que des liens puissent être créés avec la personne en question; et si ce n’est pas le cas, pourquoi perdre son temps avec elle et ne pas se barrer s’en jeter un dans le premier bar venu ? Bien sûr, je n’ai jamais pu vérifier cette théorie parce que les gens ne lisent plus. Ils ne savent même plus écrire correctement. Certains font même pire ; ils affichent de superbes éditions reliées et dorées qu’ils n’ont jamais ouvert une seule fois. Ils poussent même parfois le vice jusqu’à faire trôner sur ces bibliothèques sans âme, des coffrets sans aucun livre à l’intérieur. « Ça s’appelle de la décoration, inculte ! » m’a t-on répondu une fois. Soit.
En l’occurrence j’étais là pour un entretien d’embauche, pas pour faire ami-ami. J’allais donc devoir remettre à plus tard mes besoins vitaux d’amoureux des mots. J’ai passé trois quarts d’heure de ma vie dans son bureau, trois quarts d’heure de ma vie que je ne rattraperais jamais. Pour vous parler de la stupidité de la manœuvre : elle m’a demandé de remplir une petite fiche de renseignements, d’y inscrire les informations qui se trouvaient sur ma carte d’identité et ma carte vitale que je venais pourtant de lui remettre dix secondes plus tôt pour qu’elle les scanne. Comme à l’école ! Elle m’a ensuite demandé si ça me dérangeait de bosser les samedis, quelques jours fériés, et parfois même les dimanches.
« Non madame ! Pas du tout ! Je suis là pour ça ! » lui ai-je répondu en simulant l’enthousiasme. Bien sûr que j’ai envie de bosser. Je suis un dur, un vrai, un tatoué. Bien sûr que ça ne me dérange pas de te donner tout mon temps pour la bonne marche de ton entreprise, pour que tu puisses te payer un troisième 4×4 rutilant, et une deuxième baraque sur la côte. J’ai déjà eu envie de l’ouvrir à peine arrivé, de lui dire que son job à la con elle pouvait bien se le carrer dans son vieux cul fripé, que ça me faisait déjà chier de devoir bosser cinq jours par semaine, que ce n’était pas possible pour moi de tenir trois mois dans son business, de lui réciter quelques vers pour donner à cette scène un côté tragique, de partir dans une longue tirade marxiste, lui balancer que la mise au travail avec le pistolet de la survie sur la tempe était une vérité que je goûtais très peu, lui parler du rapport de domination du rapport salarial, lui pondre un essai, là, à l’oral, en totale improvisation, pour lui montrer que tout larbin miséreux que j’étais à venir lui quémander un job, j’étais tout de même au fait de ma misérable condition d’Homme, de ces droits aliénants, de ceux qui n’existent que sur papier et qui sont oubliés lorsque l’on part pour huit heures de trime. Instinctivement j’ai su qu’il valait mieux la fermer et ne pas se lancer dans ce genre de cabotinage. Il faut savoir ce que l’on veut au bout d’un moment. De plus, je n’avais pas été à la noce ces derniers mois, accusant refus d’embauche sur refus d’embauche, pour les prétextes les plus hétéroclites. De l’inexistence d’expérience dans un quelconque domaine, à ma constitution physique trop faible pour « un métier d’homme ». La fierté serait donc pour plus tard.
La semaine suivante, je reçois un appel et je vois le nom et le numéro de la vieille qui s’affichent. Je ne suis pourtant supposé ramasser les asperges qu’en mars, on est en février. C’est sûrement pour planter les poireaux. Elle m’en avait parlé lors de l’entretien. Voilà pourquoi j’ai décroché. Mais finalement, ce n’était pas pour ça. Elle voulait savoir si je pouvais venir sur deux ou trois demi-journées pour remettre en place le plastique thermique qui couvre les buttes où poussent les asperges et qui à cause des récentes et violentes rafales de vents, s’était envolé. Je n’ai pas su dire non. Le faible ! Elle ne m’en a pas dit plus non plus et sur le coup je pensais à quelques aprèmes peinard à remettre des bâches en place et à prendre du blé facilement. Sans aller plus loin dans ma réflexion. C’est sur le chemin, dans la voiture, que j’ai commencé à flipper.
Le jour J, j’ai pris Arnaud en chemin, un mec que j’ai rencontré l’année précédente à la castration du maïs. Il vit dans le même village que moi. J’ai donc été le chercher pour économiser l’essence et sauver cette putain de planète. Je suis comme ça. Et quand il m’a raconté de quoi il en retournait, j’ai failli faire demi-tour. Il avait déjà été faire ça la veille. L’idée que ça allait être physiquement casse-couilles s’ancrait de plus en plus profondément en moi. A un tel point que je crois que seule la présence de mon collègue à la place du mort m’a empêché de céder à l’une des deux tentations qui me dévoraient l’esprit. Faire demi-tour, ou m’envoyer m’écraser à toute pompe contre le premier pin venu au tronc suffisamment membré, en espérant que la caisse s’enroulerait tout autour tel un boa hystérique et que je serais déchiqueté sur le coup. Une mort bien sanguinolente, un truc bien crade, qui ferait chier les flics, les pompiers, le SAMU, et qui attirerait l’œil des curieux qui ralentirait en passant à côté, se délectant de cette bande-annonce de ce qui nous attendait tous au grand final. J’ai tenu le coup. On s’est motivé l’un l’autre, sans non plus se bercer d’illusions. Mais à deux ça passe toujours mieux. On trouve de belles formules pleines de bon sens pratique, on rit désespérément, les nerfs à vif, pour se convaincre que tout ça va servir à quelque chose.
Voilà comment je me suis retrouvé à enfiler ma vieille tenue de pluie trouée, tentative bien vaine face au déluge landais, à attraper une pelle, et à suivre un mec sur un sillon en me demandant ce que j’allais devoir faire. Je n’avais pas encore tout capté même à ce moment là et la présence d’une pelle dans mes mains ne m’inquiétait pas plus que ça malgré ce que m’avait dit mon collègue. Je ne visualisai toujours pas la chose avant de plonger tête la première dans ce paysage Verdunois, époque grande guerre. En théorie, c’était tout con. Je devais attraper un bout du plastique en même temps que le mec avec qui je faisais équipe- un des fils de la patronne- attrapait l’autre bout, le vider de toute l’eau qui était venu s’y loger, le rabattre en le tendant bien jusqu’au sol sans trop le lever pour éviter que l’air ne s’y engouffre et que le plastique se gonfle comme une montgolfière furieuse, puis creuser dans le sol pour déposer ensuite la lourde boue récupérée sur le plastique thermique de façon à le maintenir au sol. Tout ça parfois dans trente centimètres d’eau, en plus de la pluie et de la grêle qui nous attaquaient à tour de rôle, et des fortes rafales de vent glacial qu’aucun obstacle, aucune bâtisse, aucun édifice quelconque n’arrêtent, ici, au milieu de nulle part. J’avais l’impression d’être un de ces prisonniers américains en combinaison orange condamné aux travaux forcés. C’est là que je me suis mis à penser que la taule pouvait être un plan de carrière comme un autre. Où donc, sinon en prison, pourrais-je avoir le temps de lire tout mon soûl, d’écrire, voire de passer un diplôme supérieur, sans avoir à me préoccuper de réalités matérielles ? A l’asile peut-être. Mais je n’étais pas encore considéré comme assez fou cliniquement pour ça. De plus, je n’aimerais guère qu’un énergumène se permette de me tripoter l’esprit. Encore fallait t-il qu’il en existe un assez dérangé pour en comprendre le fonctionnement. Après trois après-midi à faire ça non-stop, j’ai cherché de nouveaux biceps sur Amazon mais le produit n’était plus disponible. Les gringalets ont la vie dure, c’est moi qui vous le dis. Les miens me faisaient souffrir atrocement. Mes muscles me reprochaient en hurlant tout leur soûl de douleur mon manque d’exercices. C’est qu’il y en avait du plastique qui s’était fait la malle, il y en avait des sillons. Des kilomètres. Je me disais ensuite que je n’étais qu’une chiffe molle à me plaindre pour une petite douleur passagère uniquement due à mon absence d’activité physique et qu’au moins, j’étais prêt pour la suite. Mieux, j’étais impatient d’aller trimer. Ça ne pouvait pas me faire de mal et ça me permettrait de me payer ma première voiture, sans laquelle aucune forme de liberté n’est possible dans les Landes. Voilà ! C’était bien ça la mentalité qu’il fallait avoir pour se la créer cette vie de chèque en bois, cette mort à crédit, comme disait Céline. J’allais me mettre au wagon, et que sourient les bigots et tous les attachés aux vieilles valeurs ancestrales, le monde du travail devenait le but de ma vie.