– Tiens, un revenant !
– Bonjour, madame Kervella.
– Et bien, professeur Blequin, il y avait longtemps que vous n’étiez plus venu dans mon bar, ça plaisir de vous revoir ! Je vous sert un petit blanc demi-sec, comme vous aimiez ?
– J’aime toujours, madame…
– Au fait, bravo pour votre doctorat, hein ! Ah, si mon fils pouvait être aussi brillant que vous pour les études !
– Bof, je ne le lui souhaite pas…
– Et ben, vous n’avez pas l’air d’avoir le moral, vous ! Vous avez une petite mine… C’est les attentats à Paris qui vous détruisent le moral, hein ?
– …
– Ah, je comprends mieux votre retour : vous êtes au fond du trou alors vous venez chercher un peu de réconfort auprès de tatie Kervella, c’est ça ?
– Puisque vous faites les questions et les réponses !
– Allez, ne vous laissez pas aller ! Tenez, je vous offre la tournée ! En hommage aux familles des victimes ! C’est que mine de rien, aller au bistrot, c’est devenu un acte militant, un geste de résistance !
– Vous vous ne seriez pas passée d’une telle promotion ?
– …
– Hum ! Pardonnez-moi, je suis ridicule… Snif !
– Mais non, je comprends que vous soyez triste ! Vous êtes encore sous le choc, c’est le normal ! Mais il faut que la vie continue ! Et d’ailleurs, elle continue : regardez, vous êtes là, bien vivant, à mon bar à moi qui servait déjà à boire à votre oncle quand vous étiez tout petit… Je me souviens qu’on était tous émerveillés par ce petit garçon joufflu qui lisait déjà à deux ans…
– …
– Allez, reprenez-vous ! Sortez le soir, allez voir vos amis !
– C’est prévu : demain soir, au Mac Orlan, à Brest, mon amie Marjorie Bergonzo donne une représentation d’un nouveau spectacle de danse…
– Marjorie ? C’est pas la belle blonde venue de Nice avec qui vous avez fait vos études ?
– Si, c’est elle.
– Ah, elle fait de la danse ?
– Oui, elle adore ça et elle se débrouille bien. Il n’y a pas si longtemps, elle avait commencé un spectacle autour du personnage de Médée…
– Et c’est ce spectacle-là, qu’elle donne demain ?
– Non, rien à voir, ça s’appelle « Dans les yeux » et c’est basé sur le poème de Charles Baudelaire « la beauté ». Ça commence à 20h30, si le cœur vous en dit…
– Oh, je n’aurais pas fermé mon bar… Mais dites-moi, professeur, votre visite, ce n’était pas en partie un prétexte pour pouvoir faire la promo du spectacle de votre amie ?
– En partie seulement, madame Kervella : j’avais vraiment envie de vous revoir… Mais j’avoue que je ne me voyais pas chroniquer un spectacle que je n’avais pas encore vu : comme je ne m’y connais pas très bien en danse et que je ne voulais pas prendre le risque de dire n’importe quoi, ce que j’avais à dire aurait tenu en trois lignes. Il fallait bien étoffer un peu…
– Bon ! Et bien même au fond du trou, vous restez malin, professeur ! À votre santé et à celle de Marjorie !
« Dans les yeux », vendredi 20 novembre à 20h30 au Mac Orlan, 65 rue de la Porte, Brest