Le réveil du lyncheur (mais dormait-il vraiment ?)

« Une chose certaine : quelles que soient les circonstances, celui qui se distingue de la foule n’est jamais un con. » (Reiser)

J’ai eu vent par la radio de deux faits que je ne peux m’empêcher de rapprocher : premièrement, l’accueil dont Bertrand Cantat a fait l’objet à Grenoble, traité « d’assassin » par des gens du coin qui se donnent l’illusion de lutter contre les violences faites aux femmes en faisant retomber toute la responsabilité de ce fléau sur un seul homme ; deuxièmement, l’expulsion de squatters menée par des locataires de l’immeuble apparemment zélés et soucieux de faire plaisir à leur propriétaire en faisant son travail à sa place pour pas un rond.

Le rapport entre les deux faits ? Dans un cas comme dans l’autre, on assiste au réveil du lyncheur. Car oui, le lyncheur n’est absolument pas une spécificité américaine : on le trouve aussi en France où il peut prendre, suivant les circonstances, les traits du dénonciateur de Juifs, du tondeur de femmes, de l’ado harcelant son camarade ou du villageois accueillant à coups de fourches celui qui n’est pas du pays. Il peut s’emparer d’une grave erreur d’un artiste commise jadis par une artiste pour l’empêcher de travailler ou bien s’en prendre à plus faible que lui, de préférence un « marginal » pour se donner une illusion de puissance, se rassurer sur son propre compte en se disant qu’il est du « bon côté ».

J’écris « il » au singulier mais, en réalité, le lyncheur n’agit jamais seul : en aucun cas il n’aura ce courage. Il n’y a souvent, au sein d’une communauté de lyncheurs, qu’un seul lyncheur vraiment « actif », encore que son action se limite à donner le coup d’envoi en signalant la présence de l’élément indésirable, qu’il s’agisse du « pauvre », du « pédé », du « bougnoule » ou de autre individu que l’abruti standard ne peut s’empêcher de considérer comme un sous-homme. Ce qui rend le lyncheur dangereux, c’est qu’il n’a aucun effort à faire pour que tous les autres crétins le suivent spontanément : en signalant la présence de « l’intrus », il a fourni l’étincelle qui manquait pour allumer le brasier de haine qui couve dans l’esprit de tous les minables. Les grandes gueules d’extrême-droite n’ont pas besoin d’agir autrement pour pousser les foules à casser du « nègre » ou du « youpin ». Rien n’est plus facile de suivre le troupeau pour aller faire un sort au bouc émissaire : la culpabilité est tellement dispersée qu’elle en devient quasiment nulle pour l’individu.

L’intrus n’est pas toujours innocent mais il n’est jamais absolument coupable : battre à mort sa femme, c’est très grave, mais quand on l’a fait sous l’emprise de la boisson et qu’on a payé sa dette envers la justice, on a déjà été assez puni ; squatter un logement, ce n’est pas bien non plus, mais bien souvent, on n’a pas le choix si on ne veut pas crever de froid en pleine rue. En fait, personne n’est absolument coupable ou innocent, mais le lyncheur est un être immature qui croit encore qu’il y a le bien d’un côté et le mal de l’autre ou, plutôt, cherche à maintenir cette croyance si rassurante pour lui mais incroyablement meurtrière pour autrui… J’arrête là, je vais finir par vouloir moi-même lyncher un lyncheur !

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