« Prends ma main Donald » : lisez-le !

Après la promenade de santé de Kendokei (paru en 2015), Julien Péluchon a fait son retour dans nos librairies avec Prends ma main Donald, où l’on retrouve les principaux personnages de son précédent roman : il n’est cependant pas nécessaire d’avoir lu Kendokei pour comprendre et apprécier ce nouveau roman dans lequel l’auteur taquine la crédulité publique qui, loin de reculer grâce aux progrès technologiques comme on l’a longtemps espéré, ne cesse de faire toujours plus de ravages, les théories complotistes les plus délirantes jouissant aujourd’hui d’une visibilité sans commune mesure avec celle que pouvaient connaître les rumeurs les mieux fondées il y a à peine trente ans.

Sculpture de « dinosauroïde » sculptée par Ron Seguin à la demande de Dale Russell. Photo signée Jim Linwood.

On retrouve donc le loser magnifique Donald Leblond, anti-héros à la fois noble et grotesque, désormais converti à une cause crypto-religieuse à peine plus abracadabrante que toutes celles pour lesquelles ses frères humains s’entretuent depuis des millénaires : le lagartisme, une hérésie chrétienne selon laquelle les entrailles de la Terre seraient peuplées par des « dinosauroïdes » dotés d’une intelligence supérieure, les Troodons, qui, non contents d’avoir survécu à l’extinction massive des grands reptiles, tireraient secrètement les ficelles des maux de l’humanité afin d’en précipiter la perte et ainsi pouvoir peupler à leur guise la planète ! Donald est-il un déséquilibré doublé d’un mythomane comme finit par le penser son « fidèle » Deshi, un égoïste se cherchant des prétextes pour abandonner sans remords ses conquêtes féminines comme le pensent ces dernières, ou bien un authentique héros des temps modernes comme il en est lui-même persuadé ? Une chose est sûre : ce n’est pas un simple fou.

Donald et Deshi forment un duo qui fait irrésistiblement penser à Don Quichotte et Sancho Panza : ce n’est évidemment pas un hasard et ce n’est pas la seule référence dont le livre est imprégné. De fait, Julien Péluchon connait ses classiques et a certainement été influencé par les récits de descente aux Enfers : on pense à Dante, bien sûr, mais ses références dans le domaine sont aussi antiques, le connaisseur pensera tout de suite au mythe d’Orphée et Eurydice. L’érudition de l’auteur se manifeste également dans la création d’une théorie du complot inédite appuyée sur des théories scientifiques extrapolées (les reptiles humanoïdes de Dale Russell) et des sources textuelles douteuses mais suffisamment « crédibles » pour déstabiliser voire édifier un public en quête de repères : l’écrivain s’avère avoir en commun avec le charlatan de connaître les techniques permettant de faire adhérer autrui à un mensonge, ce qui le rend apte à déconstruire les manipulations des complotistes de tout poil.

Il serait cependant injuste de réduire Prends ma main Donald à une simple dénonciation des théories du complot : si les préoccupations sociologiques de l’auteur y sont incontournables, il n’en s’agit pas moins, avant tout, d’un roman bien structuré, dû à un auteur en pleine maturité qui maîtrise parfaitement sa technique narrative, et racontant avec rythme (on ne s’ennuie pas une seconde) et malice (il est difficile de ne pas rire) les tribulations d’un individu hors du commun dans un monde qui perd la boussole. Donald Leblond a (croit-on) tous les défauts de la terre, mais pourquoi lui jeter la pierre ? A quoi bon chercher à mener une vie « rangée » quand le monde est lui-même complètement dérangé ? L’évocation des attentats du 13 novembre 2015 nous invite à relativiser ce que la conduite de Donald peut avoir d’extravagant…

Julien Péluchon, Prends ma main Donald, Fiction & Cie, Seuil, 19 €

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