Le journal du professeur Blequin (97)

Samedi 9 juin

13h : Me voilà au Patronage Laïque de Lambézellec où j’avais promis de redonner ma conférence « Dix signes infaillibles pour ne pas reconnaître un aspi » à l’occasion de l’AG de l’association Asperansa. Le temps est mitigé et je me félicite que les organisateurs n’aient pas eu l’idée géniale d’organiser le déjeuner en extérieur – de toute façon, même par beau temps, le site, qui est à deux pas du boulevard de l’Europe, ne donnerait absolument pas envie de déjeuner sur l’herbe. A l’entrée d’un adhérant, une dame ne peut pas s’empêcher de lui lancer « alors, vous nous apportez le soleil » ? Toujours cette même vieille blague idiote… Quand j’étais petit, elle m’a traumatisé : tout ce que j’en avais retenu dans ma petite tête d’enfant, c’était que les gens étaient responsables de la météo et que, donc, si j’avais du mauvais temps, c’était de ma faute ! Encore aujourd’hui, le ciel gris en plein mois de juin me fait culpabiliser ! On devrait manier l’humour avec prudence devant les enfants.

14h45 : Ayant devant moi un public adulte, c’est sans retenue que j’emploie la dérision pour battre en brèche les idées reçues sur l’autisme. Quand je reviens sur le manque d’empathie dont on accuse les Asperger, je signale que ce défaut n’est pas l’apanage des autistes et semble même être la condition sine qua non pour exercer certains métiers comme militaire, policier, agent Pôle Emploi, contrôleur de titres de transports, etc. Un spectateur me dit, avec un sourire que je n’arrive pas à interpréter, « Ils ne font que leur métier ! » Je lui réponds : « Oui, leur sale métier » ! A la vue de la béquille qu’il utilise pour marcher, je m’inquiète : est-ce que j’aurais, par exemple vexé un homme qui était dans les forces de l’ordre et se serait blessé grièvement au cours d’une mission qui aurait mal tourné ? Après mon speech, et tout en recevant les félicitations du public, je me renseigne auprès de ce monsieur qui me rassure : il n’était ni policier ni militaire, sa béquille est le résultat d’un accident du travail dans le bâtiment et il m’a dit « Ils ne font que leur métier » pour tourner en dérision la défense classique des corps de métier incriminés. C’est vrai que « je ne fais que mon boulot », ça n’est finalement qu’une version à peine édulcorée du « je ne faisais qu’obéir aux ordres » rendu tristement célèbre à Nuremberg… Point Godwin vous-même !

Dimanche 10 juin

11h : Après une grasse matinée justifiée par les émotions de la semaine écoulée, je me mets en selle pour une séance de dessin. Mission : finaliser les dessins d’actualité crobardés au cours de la semaine. Ce serait une promenade de santé si je n’avais pas eu un jour l’idée saugrenue de faire de la couleur ! Au début, colorier, c’est sympa, mais quand tu as déjà cinq coloriages dans les pattes, tu as déjà hâte d’en finir ! Alors inévitablement, tu commets des maladresses qui t’obligent à recommencer et rallongent d’autant plus la séance, ça t’énerve de plus belle, etc. Les gens qui voient le produit fini ne se rendent pas compte de toute la série de petits drames qui jalonnent la création d’un dessin ! Raison de plus pour prendre au sérieux ce que je dis de la situation matérielle des artistes

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