J’aurais aimé pouvoir nier l’existence de Faurisson

Mardi 23 octobre, midi : je déjeune à la cafétéria de la fac de lettres. Alors que je feuillette, assis au comptoir, un quotidien afin d’y chercher l’inspiration, un haut personnage de la faculté vient s’asseoir à côté de moi et me demande si les nouvelles sont bonnes. Par égard pour son moral (il ne fait aucun mystère de son extrême fatigue), je lui rappelle la seule vraie bonne nouvelle du moment : la mort de Faurisson.

Mon interlocuteur saisit alors l’occasion pour m’apprendre que Faurisson n’avait divulgué ses insanités que pour devenir célèbre, pour acquérir une notoriété qu’il aurait été bien incapable d’obtenir avec des talents qu’il n’avait pas : il était tellement nul comme professeur de lettres que l’université avait fini par lui demander de donner ses cours par correspondance ! Et comme il n’avait obtenu guère plus de succès en tant qu’écrivain, ce fut donc uniquement pour être propulsé sur le devant de la scène médiatique qu’il se mit à diffuser ses thèses délirantes et criminelles… Sa trajectoire était donc en tout point semblable à celle de son copain Dieudonné : dans les deux cas, vous avez un homme qui se distingue par sa médiocrité morale et intellectuelle absolue et qui emprunte la voie de la provocation gratuite pour satisfaire son ego démesuré. Comme l’a écrit Amélie Nothomb, « rien de tel que la médiocrité pour penser du bien de soi ». Au final, Faurisson n’était qu’un sale gosse qui voulait se rendre intéressant à tout prix, il ne valait pas mieux que les Kardashian ou Nabila : s’il n’avait pas eu une aussi sale gueule et s’il avait su se servir d’un smartphone, il aurait fait comme les bellâtres d’aujourd’hui, qui diffusent sur Instagram des selfies où ils exhibent leurs abdos en tablettes de chocolat…

Provoquer à tout prix pour attirer l’attention des médias n’a rien d’innocent : en tout cas, ça a fait de Faurisson l’allié objectif des fascistes français, trop heureux d’avoir trouvé un idiot utile qui venait minimiser les crimes nazis et ainsi contribuer à la banalisation des idéologies xénophobes. Est-ce qu’Eric Zemmour aurait pu obtenir une tribune dans les médias nationaux, est-ce que Dieudonné aurait pu trouver autant de défenseurs, est-ce que Marine Le Pen aurait pu se qualifier pour le second tour de la dernière présidentielle s’il n’y avait pas eu Faurisson pour, sinon réveiller le vieux fonds d’antisémitisme qui sommeille en France depuis l’affaire Dreyfus, au moins ébranler les consciences les plus vulnérables de notre vieux pays et ainsi les rendre réceptives à des idées dont le potentiel meurtrier se trouvait faussement atténué ? Pas sûr… Je ne dis pas que Faurisson est seul responsable de cette banalisation des idées les plus mortifères, mais il y a sûrement contribué. Certains, dont Serge Klarsfeld, affirment que ses délires auront au moins motivé des historiens sérieux à trouver des preuves irréfutables du génocide juif : le problème, c’est qu’à l’heure des théories du complot, même les preuves irréfutables ne suffisent plus à convaincre et sont même envisagées comme des signes supplémentaires de l’ampleur dudit complot…

Bref, Faurisson est parti mais l’œuvre, hélas, reste : comme reste une autre œuvre funeste, celle qui a déjà conduit des milliers d’innocents à l’abattoir au nom de leur origine sémitique ou présumée comme telle. Je me sens soudain aussi abattu que mon interlocuteur de ce midi : si le sang de milliers d’innocents n’est pas suffisant pour convaincre durablement les gens de la dangerosité de certains discours, alors que peut-on espérer de l’humanité ? L’article que je viens d’écrire n’est vraiment pas marrant : vivement le prochain.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *