Le journal du professeur Blequin (91)

Mardi 12 mai

8h30 : Il y avait longtemps que je n’avais pas aussi bien dormi ! Pas étonnant : la mauvaise fatigue morale que j’éprouvais en fin de journée pendant le confinement a laissé la place à la bonne fatigue physique due à la longue marche que j’ai faite la veille. J’ai même rêvé de ma tante, celle qui a été emportée par le cancer du poumon il y a déjà sept ans, ce qui ne m’était encore jamais arrivé… Quoi qu’il en soit, je ressors aujourd’hui : quand je remonte la côte menant au petit bourg de Lambé, je découvre des emballages de MacDo jetés par terre… A peine déconfinés, les vandales reprennent leurs mauvaises habitudes ! Bande de porcs ! Dans la rue, j’ai l’impression de voir plus de gens masqués, mais il me semble qu’il y a surtout plus de gens tout court : il faut dire que la météo est un peu plus clémente qu’hier, ce qui me facilite la marche, d’autant que je suis moins chargé.

9h45 : J’ai déjà atteint la Place de la Liberté. On m’attend rue Duguay-Trouin, le plus gros du trajet est fait et je suis en avance : comme toujours, j’ai surestimé le temps que je mettrais à faire la route à pied ! On m’a tellement mis dans la tête, étant môme, que je n’avais pas de force… Pour ne pas arriver trop tôt à mon rendez-vous, je fais une pause et je crayonne une plante de la place : deux mois sans faire de croquis sur le vif, il est temps que je m’y remette ! Tout en dessinant, j’entends les tondeuses et les débroussailleuses qui vrombissent : l’homme a déjà sorti la grosse artillerie pour restaurer l’illusion d’être le maître de la nature, alors même que cette dernière vient de lui rappeler brutalement le contraire rien qu’avec un organisme microscopique…

10h45 : Me voici à mon rendez-vous : je devais simplement remettre ma contribution à une exposition qui, par la force des choses, a été reportée en octobre prochain. L’automne risque d’être chargé ! Comme pour m’aider à joindre l’utile à l’agréable, la personne qui réceptionne mon travail est une charmante jeune femme : être accueilli par un visage avenant est une belle récompense quand on commence déjà à avoir mal aux pieds à force de marcher…

12h10 : Au niveau de Saint-Martin, je croise l’ancien doyen de la fac de lettres : je ne l’ai pas reconnu tout de suite avec son masque, et ce ne sont pas ses cheveux qui ont poussé qui allaient m’aider ! C’est en entendant sa voix que je l’ai finalement identifié : j’ai failli lui serrer la main mais il m’a rappelé les consignes à observer… Il a l’air plus affecté que moi, moralement parlant, par la situation et me demande si je « supporte » : j’avoue que cette question me désarçonne…

13h30 : Déjà de retour à Lambé. Les affiches de Dupont-Aignan sont toujours là, rejointes par celles d’Asselineau… Il ne manque plus que celles de Le Pen et le tableau sera complet ! Les anti-européens doivent se sentir confortés par la situation, comme si la nécessité de freiner une épidémie devait forcément se traduire par le repli sur soi à long terme… Non mais ils espèrent quoi ? Que la ligne Maginot permettrait d’arrêter les virus ? Déjà qu’elle n’a pas arrêté l’armée d’Hitler…

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