Le journal du professeur Blequin (93)

Lundi 18 mai

13h : Petit pique-nique sur le pouce sur la place de Bretagne, située à l’entrée de Lambézellec. Malgré la proximité du boulevard de l’Europe, le cadre est agréable, on en oublie presque la circulation monstrueuse (un pléonasme, excusez-moi) qui règne à deux pas. Je peux ainsi prendre des forces en toute quiétude avant de marcher jusqu’à Bellevue où je dois retirer un colis. Je me sens de plus en plus conforté dans ma décision de faire mes déplacements à pied : ça me permet d’évacuer l’angoisse que je ne peux pas m’empêcher d’éprouver au réveil et, surtout, ça m’occupe ; car j’avoue que malgré le déconfinement, je ne suis pas débordé : pas d’articles à écrire, pas d’expositions à monter, pas de dédicaces à assurer… J’arrête là, je vais encore déprimer, ce qui serait d’autant plus dommage que ces escapades sous le soleil me remontent aussi le moral : la nature est en forme, le monde ne m’a jamais paru si peu hostile, ce qui n’a rien d’évident pour un « aspi » comme moi…

Mardi 19 mai

16h : Visite chez mon ancienne prof d’espagnol, sans doute l’une des rares enseignantes de mes années d’études à Kerichen qui ne soit pas (encore) à la retraite. Nous parlons évidemment (mais pas seulement) du confinement : à titre personnel, elle n’a pas supporté d’être obligée de se flinguer les yeux devant un ordinateur pour continuer à travailler ! Son cas n’est sûrement pas isolé : les effets néfastes de la « lumière bleue » sont connus et il est criminel de généraliser le télétravail tant qu’on n’aura pas trouvé une solution à ce problème ! A titre général, elle m’a rapporté une anecdote aussi sinistre que significative : peu après le début du déconfinement, elle s’est rendue à Douarnenez (dans un but qui ne vous concerne pas) et a appris d’une boulangère qu’un de ses proches, pompier de son état, a passé la majeure partie du déconfinement à intervenir non pas pour sauver des malades à l’agonie mais pour… Dépendre des suicidés ! Voilà une conséquence du confinement qui n’entrera dans aucune statistique mais qui est révélatrice : rester enfermé est très mauvais pour la santé mentale, surtout si on vous abreuve d’informations angoissantes à longueur de journée, et comme l’esprit et le corps sont intimement liés, il ne faut pas s’étonner que les gens, que l’on force littéralement à déprimer, se mettent à péter les plombs ou, ce qui est peut-être encore pire, à somatiser et donc à devenir encore plus vulnérables ! Jusqu’alors, j’avoue que je n’ai pas trop osé remettre en cause la légitimité du confinement, mais maintenant, on a le droit de se poser quelques questions, non ? On a peut-être sauvé quelques vies, mais on en a sûrement pourri beaucoup d’autres…

Mercredi 20 mai

14h : Nouvelle sortie jusqu’à Bellevue ; j’en profite pour rendre visite à un ami historien amateur. L’homme, bientôt âgé de 88 ans, semble n’avoir pas plus souffert du confinement que la majorité de ses concitoyens et n’a rien connu de l’épidémie, il me serre même la main sans aucune appréhension et va jusqu’à se payer le luxe de dire qu’il fait chaud… Ces gestes et ses mots simples me réchauffent l’âme : on apprécie mieux la banalité quand on a vécu une situation aberrante.

2 comments on “Le journal du professeur Blequin (93)

  1. Dîtes moi professeur Blequin, ne vous appeliez vous pas Jon à une époque ? J’aime bien vos textes.

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