Le journal du professeur Blequin (96)

Vendredi 29 mai

11h : Mon Dieu, qu’est-ce que je peux détester les gens ! C’est quand même dingue, quand j’y pense ! Après deux mois de confinement, je devrais être content de les revoir, pourtant ! Et bien non ! Me voici au marché : déjà, je constate qu’à l’entrée, il est écrit « entré » ! Visiblement, s’il y a une épidémie, ce n’est pas celle de l’orthographe ! Alors que je signale cet attentat visuel, je reçois pour toute réponse orale qu’il faut entrer par là et sortir par l’autre côté : mais ça va, ducon, je sais, c’est la troisième fois que je viens faire mon marché dans ces conditions de merde ! J’achète quelques fromages, rien à signaler ; mais ensuite, je fais la queue pour la charcuterie ; la file est longue et je finis par avoir droit aux conversations des gens qui attendent derrière moi : une bonne femme dit qu’avec un temps aussi estival au mois de mai, il faut s’attendre à un été automnal, son interlocuteur ressort l’éternelle rengaine sur les saisons qui ne sont plus ce qu’elles étaient (on entendait déjà ça dans les années 1930), puis elle parle de l’épidémie et lance « on a passé la première vague, on est prêts pour la deuxième »… Bref, je finis par me mettre des boules Quiès pour ne pas en arriver à leur hurler de la fermer. Je n’aurais certainement jamais pu écrire les Brèves de comptoir à la place Jean-Marie Gourio : ce type est un saint, quand même, car il faut du courage pour supporter toutes les niaiseries que s’échange le petit peuple dans le seul but de trouver une perle de temps à autres…

12h : Traditionnel « relevage des compteurs » sur Internet : ça devient difficile car, pour des raisons que j’ignore, mon navigateur marche au ralenti depuis quelques jours. Un seul mail, celui de « mon URSSAF » qui débute par « La situation sanitaire que nous traversons est inédite » et poursuit avec une série d’informations inutiles… Pourquoi ils nous envoient ça ? Pour le plaisir d’encombrer nos boîtes mail tout en nous sapant le moral par-dessus le marché ? Dans ce cas, c’est réussi : ils m’ont mis de mauvaise humeur, je ne supporte déjà plus la voix du gosse du voisin et je ferme ma fenêtre malgré la chaleur… Non, décidément, le confinement ne m’a pas rendu nostalgique de mes semblables ! D’un autre côté, je ne m’attendais pas à ce que cette épreuve les rende moins cons !

Samedi 30 mai

15h30 : Sortie à la plage avec un couple d’amis que je revois pour la première fois depuis ce que vous savez. Par cette chaleur, vivre en bord de mer est une bénédiction. L’air marin nous regonfle comme de gros ballons de joie, nous rattrapons enfin le temps perdu pendant toutes ces semaines d’enfermement. Je me dis que rien que pour avoir interdit l’accès aux plages en période d’épidémie, le gouvernement mériterait d’être inculpé pour non-assistance à personnes en danger…

Dimanche 31 mai

11h : Nouvelle descente au bois de la Brasserie pour lire et pique-niquer. Au fil de la journée, je vois de plus en plus de badauds, dont un père de famille qui, pour exhorter une petite fille indocile à l’obéissance, lui lance : « Une fois, deux fois… » Je vois dans cette attitude un reflet d’une manie des parents issus de ma génération, celle de vouloir être « diplomate » à tout prix face à leurs chers petits quand ceux-ci n’en font qu’à leur tête : ils ont tellement peur de passer pour des parents bourreaux qu’ils parlent à leurs gosses comme des flics adressent les sommations d’usage à des braqueurs de banque ! C’est vraiment crétin et, de surcroît, crispant pour les témoins.

Lundi 1er juin

11h : Même programme que la veille. Une minorité de badauds porte des masques, ce qui me paraît vouloir être plus royaliste que Ségolène ! Il faut être Bolsonaro pour s’imaginer qu’une sortie dans les bois peut vous rendre malade…

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