Carré noir, oui ! Carré blanc, non !

Ah ! Au début, je n’ai pas boudé mon plaisir, ça, non ! Il faut dire que c’est beau, quand même, tous ces gens qui bravent un risque sanitaire toujours actuel pour crier leur rejet du racisme institutionnel et des violences policières : la parole s’est libérée, on a vu une petite bourgeoise du 7ème dénoncer, sur le site du Huffington Post, le mépris dont elle est objet au quotidien sous prétexte qu’elle est noire, et même Boris Johnson, qui n’est pourtant pas le plus fin des politiciens européens, se désolidarise de Donald Trump en déclarant que le racisme n’a pas sa place dans nos sociétés. Je me disais : ça y est, on va peut-être enfin mettre un terme à toutes ces années perdues au cours desquelles on a banalisé la parole raciste, on va peut-être cesser de culpabiliser les défenseurs de la coexistence pacifique en leur collant l’étiquette « politiquement correct », on va peut-être arrêter d’assimiler les provocations xénophobes à l’expression du peuple, comme si les milieux populaires étaient uniformément intolérants et avaient le monopole du racisme… 

Mais hélas ! Chaque fois que la société civile se met en mouvement pour une cause juste et généreuse, il faut TOUJOURS qu’elle se laisse emporter par cet élan et commette des abus incompatibles avec l’esprit qui l’animait au départ. Quand on a déboulonné des statues d’esclavagistes, je n’ai pas trouvé ça scandaleux : à de rares exceptions près, les statues des « grands » hommes sont moches, sinistres et tout juste bonnes à servir de sanisettes aux pigeons, même la statue de Diderot que j’ai vue à Paris ne trouve pas grâce à mes yeux alors que j’adore l’écrivain. Mais quand j’ai appris qu’on annulait la projection du film Autant en emporte le vent, là, j’ai tiqué et je me suis dit que le mouvement né de la colère suscitée par la mort de George Floyd filait déjà un mauvais coton. C’est pourquoi j’aimerais rappeler une chose à mes amis antiracistes (ceux qui luttent activement contre les discriminations sont tous mes amis) : évitez autant que possible de vous en prendre aux œuvres d’art, a fortiori si elles sont déjà anciennes, et ce, pour trois raisons principales.

Premièrement, c’est rendre un très mauvais service à la cause : dites-vous bien que vos adversaires, à savoir les gros beaufs racistes et les néo-réacs de tout poil n’attendent que ça, d’avoir une occasion de vous accuser de censure et de bien-pensance et de pouvoir ainsi s’arroger le monopole de la parole libre ; c’est leur stratégie depuis déjà plus de vingt ans, n’entrez donc pas dans leur jeu.

Deuxièmement, ce n’est pas en éliminant toute trace du racisme tel qu’il a pu être pratiqué au cours des années passées qu’on éliminera le racisme, au contraire ; bien sûr, certaines représentations des Noirs ou des Juifs dans des films hollywoodiens antérieurs à la seconde guerre mondiale sont navrantes, mais il ne faut pas les oblitérer au point de pouvoir prétendre qu’elles n’ont jamais existé, ou alors nous commettrons, sans même le vouloir, le même crime intellectuel que les négationnistes tels que Faurisson.

Troisièmement et surtout, mettez-vous bien une chose en tête : ce n’est pas parce qu’on met en scène quelque chose qu’on l’approuve nécessairement ! Avant de crier haro sur un film, un livre, une pièce, une peinture ou toute autre production artistique, ne vous laissez pas emporter par votre première impression, essayez de la comprendre, de l’analyser avec sang-froid pour comprendre ce que l’auteur a voulu vraiment exprimer, et surtout, remettez-la dans son contexte, car ce qui est intolérable aujourd’hui ne l’était pas nécessairement il y a un siècle ou même il y a seulement dix ans.

En conclusion : je suis absolument favorable à ce qu’on contrôle sévèrement les actes et les paroles des policiers et des élus, mais laissons le bénéfice du doute aux artistes ! Au moins pendant quelques secondes, c’est souvent suffisant pour éviter de fâcheux malentendus ! Bien sûr, il arrive que certains épuisent rapidement tous les recours, comme Dieudonné, mais ils ne sont finalement qu’une poignée. Ne gaspillons donc pas notre potentiel d’indignation contre les artistes : il suffit de voir les policiers français qui ont manifesté récemment pour se rendre compte qu’on aura encore besoin de toute notre énergie pour des causes plus sérieuses…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *