Le journal du professeur Blequin (123)

Mardi 8 septembre

14h : Voilà trois jours que je ne suis pas sorti de chez moi : il faut dire qu’entre autres travaux, j’ai mon cours à préparer ou, plus exactement, à remanier. Mais aujourd’hui, il fait un soleil pétant, je me dis que ce serait vraiment bête de ne pas en profiter, surtout un jour où les gosses sont à l’école. Alors tant pis pour les conséquences, je prends le premier bus, direction la plage. Quand j’arrive au niveau de la Place la Liberté, je découvre une queue monstre devant l’unité mobile de prélèvement : les braves gens ont tellement peur du Covid qu’ils se ruent pour faire le test ; à ce train-là, ils vont finir par se sentir rassurés si on ne leur diagnostique qu’un cancer ou le sida ! Le plus navrant, c’est que faire la queue ainsi en plein soleil est si mauvais pour la santé, ne serait-ce qu’à cause du stress que ça engendre, qu’ils se pourrissent la santé plus efficacement que s’ils étaient vraiment infectés ! Je commence à me rappeler pourquoi je rechignais à sortir…

15h15 : J’arrive à la plage à l’issue d’un voyage au cours duquel j’ai failli demander aux passagers assis derrière moi de parler plus bas ; j’ai perdu l’habitude de supporter les conversations de mes semblables et, pour ne rien arranger, malgré mes boules Quiès, j’entends quand même le mot « vaccin » qui suffit à me déprimer… Comme je m’y attendais, il n’y a pas grand’ monde sur la plage et il y a encore moins de monde dans l’eau : il est vrai qu’elle est fraîche, mais c’est délicieux, j’ai l’impression de me blinder l’organisme et, surtout, de me laver des miasmes de cette période pourrie…

17h30 : Je reprends le bus pour rentrer ; à peine suis-je à l’intérieur que, malgré mon masque, j’ai les narines agressées par l’odeur piquante du gel hydroalcoolique. Pour ne pas voir tous ces gens masqués, j’essaie de regarder par la vitre, mais celle-ci me renvoie l’image de mon propre visage affublé de cette capote anglaise faciale sous laquelle j’étouffe littéralement… Je me demande déjà pourquoi je repars.

Mercredi 9 septembre

13h30 : J’ouvre ma boîte aux lettres ; j’y découvre le dernier hors-série de Fluide Glacial, consacré au confinement et à la pandémie. Je le feuillette vite fait… Et je le range aussitôt après. Ce n’est pas que j’aime moins Fluide, mais je n’arrive absolument pas à rire de cette situation : non par peur du virus en tant que tel, mais plutôt parce que j’en ai déjà ras-le-bol de cette ambiance de merde que je préfère oublier autant que possible. Quand Fluide avait fait un numéro spécial Fin du monde, en 2012, j’avais fait la même chose : j’avais beau ne pas croire à la prophétie maya, je suis resté incapable d’en entendre seulement parler sans m’angoisser, jusqu’à ce que la fameuse date du 21 décembre 2012 soit passée. Ainsi, pour ce hors-série, je crois que je ne le lirai que quand le pire de la pandémie sera derrière nous. Je sais que ce genre d’attitude est nullissime de ma part mais, une fois encore, quand la vocation de dessinateur satirique m’était venue, je ne pensais pas que le monde deviendrait si oppressant !

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