Le journal du professeur Blequin (134)

Lundi 9 novembre

10h : Voilà bien deux semaines que je n’avais plus mis à jour ce journal. Il faut dire que quand j’ai compris qu’on n’échapperait pas au reconfinement, j’ai brutalement abandonné tout ce sur quoi je travaillais et j’ai sombré dans la déprime aggravée de semi-prostration : je me suis borné à expédier ce qui était le plus urgent, et chaque fois qu’une velléité d’agir naissait dans ma grosse tête malade, une petite voix émergeait du fond de ma conscience pour me dire « à quoi bon, puisqu’on va tous mourir, puisqu’on ne sera plus jamais libres »… Vous trouvez peut-être que j’en fais des tonnes, mais que voulez-vous : comme la plupart des « aspis », je suis incapable de supporter les perturbations du quotidien, alors quand il en arrive une de cette ampleur… Vous avez le droit de trouver mon point de vue égoïste, mais il faut dire que je connais beaucoup de monde et qu’AUCUNE de mes connaissances, même parmi les plus vulnérables, n’a été contaminée ! La mort de mon oncle en juillet dernier n’avait rien à voir avec cette pandémie qui sera donc restée pour moi une vague menace plutôt abstraite, dont je n’aurai connu que le confinement, les masques et les événements annulés, autant de faits qui ont suffi à me donner des idées noires… Aujourd’hui, je l’avoue, je vais mieux : le résultat des présidentielles américaines me redonne un semblant d’espoir. Joe Biden n’est assurément qu’un viel apparatchik dont il ne faut sûrement pas attendre de miracles, mais ce n’est pas un irresponsable : si les Américains n’avaient pas désavoué ce fou dangereux de Donald Trump, j’aurais vraiment considéré que c’était la fin de tout et j’en serais encore à broyer du lit dans mon lit… 

Mardi 10 novembre

11h : Il faut bien faire des courses de temps en temps, alors j’ai fait un saut à la supérette. C’est comme ça que j’ai pu apprendre la nouvelle, relayée par la presse, de la découverte d’un vaccin efficace à 90%. C’est évidemment une bonne nouvelle qui, ajoutée à la défaite de Trump, me procure un léger surcroît d’optimisme et achève de me donner l’illusion que 2021 sera une année un peu moins épouvantable que celle qui est en train de s’achever… Ben oui, il ne faut pas trop m’en demander non plus !

Mercredi 11 novembre

15h : Je reçois un SMS d’une amie m’incitant à regarder une vidéo dénonçant les mensonges et les manipulations des autorités depuis le début de la pandémie ; je réponds aimablement que je préfère penser le moins possible à cette situation qui m’a déjà rendu suffisamment malheureux. Beaucoup de gens me prennent pour un rebelle, mais je suis trop émotif pour prétendre à ce titre…

En parlant de ménage…

Jeudi 12 novembre

12h : Je viens de faire le ménage en grand dans mon appartement ; je ne l’avais plus fait depuis trois semaines, ça commençait à devenir urgent. Non que je me complaise à ce point dans la crasse, mais même ça, j’étais trop découragé pour le faire…

Vendredi 13 novembre

9h30 : Je sors faire le marché, muni d’une attestation (beurk) d’un masque (re-beurk) et, plus important pour ma santé mentale, de boules Quiès : et oui, les conversations et les rires des petites gens me sont encore plus insupportables dans un tel contexte, alors autant m’en protéger si je ne veux pas sombrer à nouveau ; bien sûr, je me débouche les oreilles quand arrive mon tour de commander, et je ne m’attarde pas à discuter avec les marchands : n’en déplaise aux zélateurs de la prophylaxie, moins longtemps je reste avec ce masque sur la figure, mieux je me porte !

10h15 : Je suis quand même obligé de m’attarder chez l’opticien de mon quartier, mes lunettes ayant perdu une pièce qu’il me faut faire remettre en place. Je peux donc attester que ce noble commerçant est fiable et efficace et qu’il ne demande pas un sou pour ce genre de réparation, même si les lunettes n’ont pas été achetées chez lui : ça fait toujours plaisir, quand même, de constater, qu’il existe encore des services sur lesquels on peut compter…

Ma mère vue par son fils.

15h : Visite éclair de mes parents (mon immeuble est sur leur route quand ils font leur course) : j’en profite pour leur demander s’ils accepteraient de m’héberger chez eux en décembre dans l’hypothèse où le confinement devait se prolonger. Ils acceptent sans problème : j’avoue que j’ai eu beaucoup de mal à me décider de faire cette demande ; ils ne sont pourtant pas des plus sévères, mais ils m’ont habitué très tôt à ne pas réclamer. Ce mode d’éducation ferait sûrement du bien à certains gosses pourris-gâtés, mais avec moi, ça a si bien, qu’encore aujourd’hui, je n’ose jamais rien réclamer à personne, même si c’est légitime ! Et dire que certaines personnes me prennent presque pour Che Guevara…

« PPD assassiné par Bolloré », d’après David

18h : Après un après-midi consacré à une planche de BD, je découvre quelques extraits de la version moderne de Spitting image : car oui, depuis peu, le show britannique qui en avait inspiré un autre en France est de retour sur les écrans d’outre-Manche, et je suis estomaqué par la force et le virulence des marionnettes anglaises représentant les grands de ce monde. Trump, Biden, Johnson, Macron, Poutine, Merkel et les autres en prennent salement pour leur grade et cette bouffée d’impertinence est sacrément bienvenue, surtout en cette période où, en France, la tradition satirique dont nous sommes si fiers est en pleine déconfiture… Mais il ne faut pas désespérer : si Spitting image a pu renaître et si les Américains ont eux aussi eu droit, il y a peu, à une émission du même style, alors peut-être notre théâtre de marionnettes satiriques français pourra-t-il renaître un jour de ses cendres… Quoi ? Mais non, andouille, je ne parle pas du Bébête show !

Quoique… Le « Bébête show » revu par Alex Vizoek, ça aurait peut-être de la gueule…

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