Le journal du professeur Blequin (135)

Lundi 16 novembre

9h30 : Je me lève en rechignant. Je l’avoue, je passe beaucoup de temps au lit, en ce moment. Le climat actuel n’est pas des plus motivants et exacerbe en moi le besoin de repli dans un cocon qui est déjà fort, en temps normal, chez une personne avec autisme. Dans un sens, ça tombe bien car c’est exactement ce que les autorités nous demandent, mais de l’autre, je mentirais si je disais que ce repli est des plus paisibles : peut-être aurais-je mieux fait de ravaler ma fierté et d’écouter mes amies qui me conseillaient de me réfugier chez mes parents dès le début du reconfinement… Mon lever est d’autant plus pénible que je suis moralement tiraillé : dernièrement, une amie chère m’a exhorté à faire valoir mes droits contre ces mesures liberticides. Mais qu’est-ce que je peux faire ? Je ne me sens pas d’humeur à risquer une amende ou un lynchage en bonne et due forme par une population rendue haineuse… Mais je ne peux pas nier non plus que le sacrifice des libertés individuelles sur l’autel de la santé publique, dont les mesures anti-covid ne sont qu’une partie émergée, posent problème : à quoi ça sert d’être en bonne santé si on ne peut plus rien faire ? On n’a jamais vu un projet de vie se résumer à éviter de tomber malade…

Mardi 17 novembre

13h : Après une certaine hésitation, j’ai finalement surmonté mes appréhensions et me suis enfin décidé à écrire des lettres destinées à de fortes personnalités, espérant que cette démarche me sera profitable dans un avenir proche. En gros, je sème des graines qui germeront peut-être dans des jours meilleurs ; l’espoir fait vivre…

Mercredi 18 novembre

15h : Je dessine beaucoup, essentiellement des dessins d’actualité mettant en scène les grandes gueules du moment. J’ai ainsi l’occasion de dessiner Greta Thunberg pour la première fois : elle est encore lisse comme un bébé, c’est donc relativement facile ; tant mieux, car il n’est jamais facile de caricaturer quelqu’un qu’on aime et soutient. Trump, Biden, Harris, Le Pen, Macron, Raoult, Hollande, Hidalgo, Dray et tant d’autres apparaissent également sous mon crayon. Je m’étais pourtant promis de limiter ma production de dessins inspirés de l’écume des jours et de veiller au moins à transcender l’actualité, notamment en évitant de m’attarder sur toutes ces personnalités que le grand public aura, pour la plupart, oublié dans dix ans (et je suis généreux), mais rien à faire : cet humour chansonnier, c’est ce que j’aime faire, c’est en regardant les Guignols que j’ai trouvé ma vocation de satiriste et c’est grâce à ses caricatures politiques que j’ai découvert le talent de Cabu. Alors pourquoi aller contre mes goûts ? Tant pis si ça fait des dessins qu’on ne pourra plus comprendre sans explication dans cinq ans, au moins je me serai amusé dans un contexte sinistre, et ça méritera déjà de ne pas être oublié !

Jeudi 19 novembre

14h : Je sors acheter du pain ; en passant devant le bar-tabac-presse, je découvre que Sophie Davant a lancé un magazine à son nom. Dans le temps, les beautés sur le retour se contentaient de questionner leur miroir pour savoir si elles étaient toujours aussi craquantes ; aujourd’hui, elles créent un magazine dans le même but, à ceci près que les compliments leur viennent désormais de milliers de personnes ! Vous me dites qu’Oprah Winfrey a fait pareil ? Je réponds qu’entre l’intervieweuse américaine et la présentatrice française, il y a quand même une distance : le charisme et l’éloquence d’Oprah lui valent d’être adulée et respectée jusque chez nous, je ne suis pas sûr que Sophie ait de l’audience en Amérique… Et ne me dites pas que Siné avait lui aussi créé un journal à son nom, la comparaison serait si désavantageuse pour madame Davant qu’elle en deviendrait insultante.

Vendredi 20 novembre

10h : C’est jour de marché. Je ne rate presque jamais ce rendez-vous, surtout pas en cette période où les petits producteurs ont plus que jamais besoin d’un soutient que je leur apporte dans la mesure de mes petits moyens. Néanmoins, je persiste à faire la queue avec des boules Quiès afin de ne pas subir les plaisanteries sur le masque et le confinement ; d’ailleurs, ça ne rate pas : malgré cette protection, quand j’attends mon tour au stand du maraîcher, j’entends distinctement le commerçant ironiser sur l’apéro auquel il ne peut pas convier une cliente et le sourire qu’il ne peut pas voir… Tant mieux si ça les aide à supporter toutes ces contraintes, mais ces plaisanteries ne font que me rappeler la dureté de la situation : je ne sais que trop bien que c’est précisément le désespoir qui inspire ce genre de saillie. L’humour est peut-être la politesse du désespoir, mais on a le droit d’être impoli de temps en temps…

Dessin réalisé UNIQUEMENT pour dénoncer le mépris souverain des pauvres dont font montre les grands de ce monde : je me désolidarise de toute personne qui l’emploierait pour illustrer des propos conspirationnistes.

16h30 : Coup de fil à une amie très chère pour lui proposer une affaire. Une fois que je lui ai expliqué ce que j’attendais d’elle, elle m’a avoué avoir eu une sévère déprime dernièrement : en soi, c’est compréhensible, j’ai vécu ça moi aussi. Mais quand elle s’est mise à me parler de la 5G, de la « dictature qui vient » et de tout un méli-mélo de faits, réels ou hypothétiques, sans rapport direct avec la situation sanitaire, j’ai ressenti comme un trouble… Après avoir raccroché, j’ai fait une petite recherche sur le net et j’ai compris : elle avait prêté l’oreille aux propos défendus dans le film Hold-up qui circule sur la toile… Je ne ferai pas de critique approfondie des thèses délirantes relayées dans ce « documentaire » : beaucoup d’autres personnes, nettement plus qualifiées que moi, l’ont déjà fait et puis ce serait une perte du temps car plus on contredit les théories conspirationnistes, plus leurs défenseurs sont convaincus de leur validité, toute critique étant envisagée comme une « preuve » supplémentaire d’un complot dont on serait, au mieux, la victime ou, au pire, le complice… Je me contenterais donc de dire que la thèse du great reset me parait aussi délirante que celle du « grand remplacement » chère à l’extrême-droite et que, de toute façon, les grands de ce monde n’ont pas besoin de fomenter un complot puisque la convergence de leurs intérêts se fait toute seule pour la bonne raison qu’ils sont tous peu ou prou issus des mêmes milieux. En fait, paradoxalement, les complotistes sont des gens qui veulent se rassurer puisqu’ils prétendent pouvoir remplacer les vérités complexes dont ce monde est pétri par une vérité simple : s’il n’y avait vraiment qu’un complot au singulier, il serait plus facile à combattre que les magouilles au pluriel déjà bien connues… Cela dit, ce qui m’inquiète, c’est de voir des gens éclairés adhérer à de telles théories, qui plus est en diffusant des « preuves » dont l’authenticité est plus que douteuse : sommes-nous donc tous en train de devenir fous ?

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