La misère du Père Noël

Passons rapidement sur son apparence physique : après tout, rien n’interdit à un homme pansu, barbu et âgé de se sentir bien dans son corps. Quoique… Déjà, est-on bien sûr qu’il est dans ce cas ? Enfant, j’ai été traumatisé par le film Super Noël, avec son anti-héros qui prend une centaine de kilos et attrape une barbe blanche malgré lui… Mais passons, disais-je. Après tout, le grand Siné le trouvait « beau comme une bite ». Passons aussi sur son costume, même si je ne suis pas absolument certain qu’il ne s’agisse pas d’un uniforme qu’il porte sans l’apprécier : des flics ou des militaires qui aiment leur métier sans aimer leur tenue réglementaire, ça doit exister… Mais passons, répétais-je, après tout, moi aussi, je me fiche de la mode.

Sorti de ça, que lui reste-t-il ? Il vit toute l’année coupé du monde, isolé dans un pays froid ou minable, entouré de nabots vilains comme des macaques à la voix nasillarde qui fabriquent pour son compte des saloperies en plastiques, de plus en plus bourrées d’électronique pour la plupart, qu’il devra distribuer à des gosses pourris-gâtés aux dents percées par les sucreries et à la cervelle prématurément ramollie par les écrans, qui lui auront écrit des lettres illisibles et bourrées de fautes d’orthographe. Toute une année de travail pour préparer une distribution nocturne, dans le froid de l’hiver, souvent dans la pluie et dans le vent (car c’est plus fréquent que la neige, croyez-moi) à bord d’un traîneau antédiluvien et non chauffé tiré par des bestioles poilues et puantes… On peut être écologiste sans être pour autant masochiste.

On ne sait même pas s’il est payé pour ce métier ingrat et, de toute façon, cette éventuelle rémunération ne lui servirait à rien : l’obligation de rester invisible des enfants couplée à la nécessité de préparer sa tournée lui ferme de facto la porte de toute distraction. Pas de sorties, pas de femme, pas d’amis : une sorte de confinement permanent ! Certains d’entre nous en sont devenus fous au bout d’un mois, alors imaginez pendant toute une vie ! Une vie qui, de surcroît, ne semble même pas avoir de fin, mais l’immortalité est-elle réellement un avantage ? Il est permis d’en douter : si on ne peut pas mourir, il arrive forcément un jour où l’on n’a plus rien à découvrir et où l’on est irrémédiablement condamné à l’ennui, un ennui d’autant plus terrible que même la mort ne peut y mettre fin. Ne jamais mourir, in fine, équivaut à ne jamais vivre.

Ajoutez à cela tous les gugusses qui se font passer pour lui, les blagues de mauvais goût qui circulent à son sujet, les intellectuels de bas étage qui le traitent d’idole païenne ou d’allié objectif du capitalisme et vous serez d’accord avec moi, j’imagine, pour conclure que ses efforts sont bien mal récompensés. Osons le dire : à tout prendre, il vaut mieux pour lui qu’il n’existe pas. Maman, quand j’serai grand, j’voudrai pas être Père Noël ! Alors tu n’seras pas éternel ! Ah oui, ça, ça m’donne des ailes !

Tiens, qu’est-ce que je disais, c’est pas une pourrie-gâtée, celle-là ?

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