Le journal du professeur Blequin (139)

Dimanche 13 décembre

14h : Je lis Madame Edouard de Nadine Monfils ; j’aime beaucoup cette romancière belge déjantée qui écrit des polars dignes d’un Frédéric Dard sous acide, mais je trouver ce roman plus classique que les autres : abstraction faite des personnages truculents auxquels l’auteur nous a habitués, c’est l’histoire d’un serial killer ni plus ni moins pervers que ceux d’autres ouvrages du genre et, de surcroît, madame Monfils m’a habitué à un cynisme si épouvantable qu’il en devient hilarant, de sorte que je suis presque déçu qu’elle m’émeuve en mettant en scène une relation père-fille touchante ; le fait que le papa soit un travesti n’est pas de nature à rendre plus échevelé le ton de l’intrigue, à part bien sûr aux yeux de certains arriérés… Mais ne faisons pas la fine bouche, Nadine Monfils reste la meilleure dans sa catégorie, même si je préfère Mémé Cornemuse, la vieillarde indigne qui trucide à tour de bras, au trop débonnaire commissaire Léon qui me ferait presque aimer les flics…

Lundi 14 décembre

13h : Je descends relever mon courrier ; j’arrive juste au moment où passe le facteur. Celui-ci me dit : « Ah, c’est vous qui dessinez ! » Il m’explique qu’il a vu ma photo dans la presse et qu’il m’avait croisé à la foire aux croutes. Le public ne m’a donc pas oublié, ça me réchauffe le cœur

13h05 : Au courrier, une lettre fort sympathique d’une personne pour qui j’ai beaucoup d’admiration et, surtout, le denier hors-série de Fluide Glacial, un numéro spécial « complots ». Le fascicule est composé en grande partie d’inédits, plus quelques resucées dont « La folle nuit » de Gotlib : je ne vois pas le rapport entre ce classique où le Père Noël se fait malmener par deux gamins délurés et précocement obsédés, mais ça n’en est pas moins de circonstance à l’approche des fêtes. Plus proche du sujet, la parodie de Gaston Lagaffe par Romain Dutreix résume bien, presque malgré elle, la naïveté des complotistes : en effet, à lire cette histoire qui accuse le « héros sans emploi » d’être un agent à la solde de Dargaud, chargé de provoquer la faillite du journal de Spirou, on se prend à penser que sa mission est pour le moins ratée, étant donné ce que doivent les éditions Dupuis à la série créée par Franquin. De façon générale, ce qui me frappe quand je porte un regard sur les complots, réels ou supposés, qui ont défrayé la chronique ces dernières années, je constate qu’ils sont inefficaces au moins neuf fois sur dix ! Alors pourquoi voudriez-vous que les grands de ce monde s’embêtent avec des stratégies aussi peu sûres alors qu’ils gagnent du temps à faire le mal au grand jour dans l’impunité ? Au risque de me répéter : les complotistes sont finalement des optimistes qui s’imaginent que la vie, c’est comme dans les films hollywoodiens…

Mardi 15 décembre

10h : Je sors poster mon courrier, sans attestation bien sûr. Ce nouveau déconfinement me laisse un goût amer pour la bonne et simple raison que c’est déjà le deuxième : quand Paris a été libéré en 1944, les gens n’avaient pas eu à partir du principe qu’ils devraient à nouveau supporter l’occupation six mois plus tard… Vous voyez ce que je veux dire ?

Mercredi 16 décembre

16h30 : Je reçois la visite d’un ami ; le simple fait de pouvoir à nouveau parler à un être humain démasqué et présent en chair et en os sous mes yeux me réconforte ; j’ai longtemps recherché la solitude et j’atteste que l’isolement peut être agréable à vivre, à condition de l’avoir choisi et de ne pas y être contraint par l’Etat…

Jeudi 17 décembre

14h30 : N’ayant plus rien à faire à Brest même, me voilà chez mes parents pour passer les fêtes. Ils ont joliment aménagé la chambre d’amis, je vais pouvoir me refaire une santé mentale…

19h : Pendant l’apéro avec mes parents, la télé est allumée. J’apprends ainsi que Macron a été testé positif au Covid-19… Non mais je rêve ou quoi ? Voilà dix mois qu’il nous fait la morale et il a trouvé le moyen d’être contaminé ! Il nous prive de tout, il nous cloître chez nous, il nous culpabilise sans cesse et, au final, il tombe lui-même malade ! Je ne lui souhaite pas d’en crever : je n’ai pas cette mentalité de fasciste et, de toute façon, tous ses homologues étrangers contaminés (Trump, Bolsonaro, Johnson) ont survécu, tant il est vrai qu’on ne soigne pas un chef d’Etat comme on soigne un grabataire qui attendait déjà la mort dans un EHPAD vétuste… Je lui souhaite même d’en guérir rapidement, histoire qu’il n’échappe à la colère du peuple !

21h : Mes parents, en accord avec mon frère, décident de regarder Le seigneur des anneaux ; je n’ai jamais été cinéphile et ce n’est pas ça qui va m’aider à le devenir : je ne dis pas que c’est nul, je reconnais même que c’est visuellement très soigné, mais je n’arrive pas à m’intéresser à cette histoire et, tel Camus découvrant New York, je me sens, devant cette débauche d’effets spéciaux, le cœur tranquille et sec comme devant tous les spectacles qui ne m’impressionnent pas.

Vendredi 18 décembre

10h : Brève sortie à Guilers pour poster du courrier et récupérer un colis. Je ne me masque pas tout de suite, la faible fréquentation des rues ne justifiant pas l’utilisation de cet accessoire. Sur la place principale, les hauts-parleurs nous jouent « Petit Papa Noël » chanté par Tino Rossi, qu’est-ce que c’est original. J’ai une pensée pour le groupe « L’affaire Louis’ Trio » qui avait fait une version de bien meilleure qualité que celle du Corse gominé : ils sont presque tous morts, j’en ai la larme à l’œil… Mais Tino Rossi est mort lui aussi : ça compense…

10h15 : Je retire mon colis dans un bar-tabac : l’intérieur de l’établissement est rempli à ras bord de paquets que des particuliers viendront eux aussi chercher. Le Père Noël a beaucoup changé… Ce spectacle me donne le vague à l’âme : je n’aurais jamais cru que je regretterais les grandes gueules de troquet et les buveurs de pastis accros au PMU. Mieux vaut une vie de con que pas de vie du tout !

13h : Pendant que Jean-Pierre Pernaut enconne les téléspectateurs de TF1 (qui n’en ont pourtant guère besoin) pour la dernière fois, je suis, en visioconférence, la soutenance de thèse de mon ami Mathieu Favennec sur les addictions adolescentes. Si je disais que je comprends tout, je mentirais : l’exercice de la psychologie nécessite un vocabulaire technique que je ne maîtrise pas, mais j’arrive néanmoins à suivre et à m’intéresser. Bien entendu, Mathieu est reçu et obtient le titre de docteur en psychologie, ce qui n’est que justice.  Je suis quand même bien triste de ne pas pouvoir fêter ça avec lui…

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