Le journal du professeur Blequin (163)

Samedi 12 juin

10h : Me voilà à Porspoder pour la première exposition collective à laquelle il m’est donné de participer depuis déjà un bout de temps. Le cadre est agréable (la salle est située juste en face de la plage), les bénévoles sont accueillants et je me sens revivre quand j’installe mes cadres sur les grilles et mes livres sur la table. Est-ce qu’on aura du monde ? J’en doute un peu, avec Laure Adler qui est de passage dans la commune, mais je m’en fiche : c’est déjà une grande satisfaction de pouvoir à nouveau participer à un événement de ce genre !

15h : Il y a effectivement peu de visiteurs. J’ai l’habitude des heures creuses de ce genre, ça fait partie des risques du métier, je prends donc mon mal en patienceCe qui me choque, en revanche, c’est de voir que la plupart des autres artistes ne tiennent même pas leurs stands ! Je ne comprendrai jamais qu’on puisse faire fi à ce point de ses engagements, je trouve même ça insultant pour ceux qui, comme moi, se mettent la rate au court-bouillon pour tenir leurs promesses… Artiste n’est pas un métier de fainéant ; malheureusement, beaucoup de fainéants s’imaginent le contraire.

18h : Déjà la fin de la première journée : il y a eu dans la dernière heure un surcroît de visiteurs attirés par le vernissage et le coup à boire qui va avec… Je ne leur jette pas la pierre : moi aussi, il y a des mois que je n’ai pas vécu de vernissage, et j’aurais fait comme eux. La présidente de l’association organisatrice a sollicité une chanteuse pour égayer ce début de soirée : je connais cette dame que j’ai croisée au cours des scènes ouvertes du Pilier Rouge. Elle chante juste, mais j’ai si peur de faire attendre mon ami Gilbert, qui doit me reconduire à Brest, que je n’arrive pas à apprécier sa performance à sa juste mesure… C’est bête, je sais.

Dimanche 13 juin

11h : J’arrive à temps pour une seconde journée d’exposition : je suis bien surpris, quand je pénètre dans la salle, de trouver, au milieu des stands, un groupe de sonneurs en pleine action ! J’aime beaucoup la musique celtique, mais je considère que le biniou et la bombarde s’apprécient vraiment quand on en joue en plein air : dans une salle fermée et à la hauteur du public (et non sur une scène), c’est vite insupportable, surtout quand ils sont une demi-douzaine à souffler dans leurs instruments ! On m’explique que ces musiciens viennent répéter ici chaque dimanche matin, qu’ils n’ont pas voulu décaler leur séance pour laisser la place à l’exposition et qu’on ne peut rien leur dire vu que l’un d’eux est membre du conseil municipal… Bref, la journée commence mal à cause d’un de ces tyranneaux locaux qui abusent de leurs lambeaux de pouvoir ! Et on s’étonne que les gens se détournent de la politique…

21h : Je rentre enfin. N’ayant pu trouver un autre co-voitureur, il m’a fallu attendre que la présidente de l’asso soit disponible, ce qui lui a pris quelques heures, mais je suis si fatigué que je n’y attache aucune importance. Le bilan de la manifestation n’est malheureusement pas la hauteur des espérances des bénévoles : elle n’a pas rapporté la moitié de ce qu’elle a coûté ! Impossible, dans ces conditions, de faire un don au Secours Populaire comme prévu… Visiblement, la crise sanitaire n’a pas entamé l’égoïsme des gens ! Pour ma part, j’ai tiré mon épingle du jeu en vendant quatre livres : je ne rentre donc pas bredouille, mais j’ai de la peine pour ces gens qui se sont donné tant de mal et en sont bien mal récompensés…

Lundi 14 juin

11h : M’étant couché tard hier, je suis encore en pyjama quand j’entends sonner à la porte de mon appartement : le visiteur inattendu m’affirme qu’il travaille pour EDF et qu’il voudrait voir mon bilan énergétique. Evidemment, je n’ai pas conservé le document, il faut donc que j’ouvre mon compte sur le site web de l’entreprise : et toujours évidemment, pas moyen de se connecter… Le type repart bredouille, me promettant de repasser dans l’après-midi : je ne l’ai toujours pas revu ! Il a dû se sentir si mal accueilli qu’il a préféré renoncer… Pas aimable, moi ? Hé, oh, ça va : on vit à une époque où les techniques modernes de communication devraient permettre aux entreprises de ne plus déranger les clients à domicile, pourquoi l’EDF ne s’en sert-elle pas ? Et puis recevoir ce genre de visite alors qu’on vient à peine de se lever, ça ne fait plaisir à personne, que je sache !

15h : Mon PC donnait des signes de faiblesse depuis un moment. Voilà que c’est arrivé : il me lâche en plein boulot. Il met ensuite deux bonnes heures à redémarrer et à se « mettre à jour »… Quand c’est enfin terminé, il fonctionne à nouveau correctement, mais il a quand même trouvé le moyen d’ajouter une icône indésirable au bas de l’écran : dès que je passe le curseur depuis, j’ai droit aux dernières actualités… Non seulement il commence à planter mais, par-dessus le marché, il m’impose des fonctionnalités dont je ne veux pas et dont je me débarrasse difficilement… Cet ordinateur commence à sentir le sapin !

Mardi 15 juin

10h30 : Je sors en ville pour régler quelques affaires. Sur le panneau d’affichage, les affiches de La France Insoumise ont fait leur apparition : leur tête de liste pour les régionales en Bretagne n’est autre que Pierre-Yves Cadalen, qui était étudiant en même temps que moi… J’ai beau être globalement d’accord avec les idées de LFI, je ne peux m’empêcher d’avoir un scrupule à l’idée de voter pour une personne qui est à peu près aussi âgée que moi, voire peut-être plus jeune ! Je sais que c’est idiot, mais j’avoue que ce qui me fait le plus peur, ce n’est pas de vieillir mais d’en arriver à devoir obéir à des gens dont je pourrais être le père ! C’est déjà assez désagréable avec des gens plus vieux… Cela dit, je dois bien être le seul à me poser ce genre de question : ces affiches électorales côtoient celles du départ du Tour de France ; d’après vous, qu’est-ce qui intéressera le plus les gens dans les jours à venir ? 

11h30 : Poursuivant mes pérégrination urbaines, je vois des drapeaux syndicalistes autour de l’hôtel de ville ; je m’approche et je constate que ce sont des soignants qui s’apprêtent à manifester pour rappeler leurs promesses au gouvernement… Il n’y a pas foule, ce qui n’est pas fait pour m’étonner : au début de l’épidémie, les braves gens applaudissaient encore les personnels hospitaliers, mais maintenant que la situation commence à se débloquer, ils veulent faire comme en 1945 : oublier… Résultat, les soignants, de héros, sont redevenus des « fainéants de fonctionnaires » et ne peuvent plus compter sur le soutien de la population. Et ne vous imaginez pas que je me pense meilleur que les autres : ma première pensée, en apercevant ces grévistes, fut « pourvu qu’ils ne bloquent pas la circulation et ne m’empêchent pas de rentrer »… Con comme un lecteur du Figaro !

Mercredi 16 juin

16h45 : Ce matin, j’avais reçu la visite d’un mécène fidèle venu m’acheter des dessins. Cet après-midi, alors que je m’apprête à partir au cours du soir, j’ai une nouvelle visite, moins agréable, celle d’un employé de GDF qui vient me tancer parce que je n’ai pas renvoyé un document qu’ils m’auraient, paraît-il envoyé… Visiblement, ils se sont donnés le mot pour venir nous emmerder à domicile ! Pour ne rien arranger, le gazier se permet de me parler comme si j’étais un débile mental, ce qui en dit long sur le respect du client qui caractérise ces entreprises privatisées… Comme quoi, pendant le confinement, il y a quand même des choses qui ne m’ont pas manqué !

Gilles Penelle

17h : Je sors. Les affiches du RN ont réapparu : pour ne pas perdre mon temps à les arracher, je sors un marqueur et je dessine aux candidats représentés une mèche et une moustache caractéristiques… C’est juste pour me défouler car je sais que, de toute façon, ces affiches seront recouvertes demain.

18h : Au cours du soir, j’entends dire que le couvre-feu sera levé dimanche prochain, la situation s’améliorant plus vite qu’espéré dans les hôpitaux (ce qui est quand même le seul vrai souci) : c’est vrai, ce mensonge ? Si je ne craignais d’être qualifié de complotiste, je dirais bien qu’il est étonnant que le gouvernement décide d’en finir avec cette restriction très désagréable pile au moment des élections ! Mais je ne suis pas complotiste, je suis seulement fatigué, et je me bornerai à dire que je n’en profiterai pas tout de suite car je n’ai aucune envie de faire la fête…

Jeudi 17 juin

12h : Ayant deux rendez-vous en début d’après-midi, je décide d’en profiter pour assouvir une envie de frites qui m’est venue récemment : je me rends donc à la friterie belge où j’ai mes habitudes et j’ai ainsi l’occasion de constater qu’il est à nouveau possible de manger à l’intérieur et non plus seulement en terrasse. En clair, les restaurants sont enfin rouverts pour de bon… Sincèrement, à part les masques que portent les serveurs, tout a l’air normal : depuis le début, je n’arrive pas à me sentir vraiment en situation de catastrophe sanitaire et ce n’est pas maintenant que ça va me venir !

14h : A ma grande surprise, j’ai trouvé sans problème le lieu de mon premier rendez-vous (qui fut très bref) : j’arrive donc à l’heure chez ma prof d’espagnol de prépa qui me fait part de son intention de ne PAS se faire vacciner. Entre autres raisons, elle invoque le fait qu’elle n’est jamais malade : je réalise que je suis dans le même cas et que je ne suis même pas sujet à risque ! Alors pourquoi me presser au vaccinodrome ? Tant pis, je laisse ma place à ceux qui en ont vraiment besoin…

Vendredi 18 juin

11h : C’est jour de marché. En arrivant, je vois que tout le monde ne porte pas de masque : dans ces conditions, pourquoi m’embêterais-je avec ça ? C’est donc à visage découvert que je retrouve les commerçants que j’ai l’habitude de fréquenter et personne ne me fait la moindre remarque… Sur le chemin du retour, je croise un ami qui vend des jouets : il me signale qu’en principe, il est encore obligatoire de garder le masque sur les marchés, mais ce n’est pas lui qui me dénoncera ; de toute façon, dès qu’il m’a vu, il m’a serré dans ses bras, montrant le peu de cas qu’il fait des « gestes barrière » : encore un qui n’a pas peur du virus mais respecte les consignes pour éviter une amende… Je ne lui jette pas la pierre car je suis sûr que la majorité des gens raisonnent ainsi ! En prenant congé, je suis interpellé par un type du RN qui essaie de me fourguer un tract : je lui tire la langue ! Je ne pouvais pas lui faire un bras d’honneur, j’avais les mains occupées…

21h : Je savais que mon PC commençait à sentir le sapin, mais je n’envisageais pas pour autant de l’euthanasier. C’est pourtant ce que je viens de faire : un faux mouvement, et crac ! Je le fais tomber par terre, l’écran est fêlé et illisible… On a vu mieux pour terminer la journée, pas vrai ?

Samedi 19 juin

11h : Nouvelle sortie, direction la Fnac, pour acheter un nouveau PC. Sur la route, je croise une boutique qui propose de réparer les appareils électroniques : j’hésite pendant quelques secondes… Mais je ne fais pas vraiment confiance à ce genre de magasin. Je réfléchis quelques secondes et je pèse le pour et le contre : j’ai pris la peine de mettre tous mes dossier sur un disque dur externe ne cas de défaillance de mon ordinateur, lequel a déjà quelques années de vol derrière lui et a déjà planté récemment, ce qui est de toute façon mauvais signe, le faire réparer risque de me coûter plus cher que l’engin lui-même, et comme je n’ai pas eu l’occasion de faire des dépenses ces derniers temps, j’ai assez d’argent pour m’en acheter un neuf… Bref, fidèle à l’adage suivant lequel la première idée est souvent la bonne, je passe mon chemin : à la FNAC, le vendeur m’explique qu’on ne fait plus de PC avec lecteur de disques incorporés et me vend donc un lecteur externe. J’achète le PC le moins cher : je ne l’aurai pas avant mardi… Bref, je ne suis pas tiré d’affaire et je dois quand même débourser plus de 600 euros ! Une civilisation qui rend indispensables des objets aussi fragiles mérite-t-elle de vivre ?

Pierre Ogor

16h30 : En désespoir de cause, je me suis rendu à Guilers, chez mes parents : ceux-ci sont en vacances et mon frère s’est absenté pour tout le week-end, la maison est donc vide de toute présence humaine. J’ai ainsi toute latitude pour utiliser le vieil ordinateur qui trône dans le bureau de mon père et c’est sur cet appareil rudimentaire que je finis de taper ce chapitre… En arrivant, j’ai vu que la mention « port du masque obligatoire en centre-ville » a disparu du panneau d’affichage qui trône à l’entrée du patelin ; de toute façon, je ne vois pas à quoi pouvait bien servir cette obligation dans un trou comme Guilers, à part à donner bonne conscience à Pierre Ogor ! Celui-ci est d’ailleurs en pleine campagne pour les départementales : qu’on ne me dise pas qu’il n’espère pas gratter quelques voix supplémentaires en libérant les voies respiratoires de ses concitoyens ! C’est que ce ne sont pas les scrupules qui l’étouffent, ce Donald Trump de chef-lieu de canton…

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