Un autiste prend la parole : dites-moi, les neurotypiques…

Dites-moi, vous, les neurotypiques, vous, les personnes sans autisme, vous qu’on n’ose plus appeler décemment les « gens normaux »…

Comment faites-vous pour mettre un temps fou à vous dire au revoir ? Je sais bien qu’il n’est jamais agréable de quitter les gens qu’on apprécie. Mais faut-il pour autant laisser s’écouler quasiment une heure entre l’annonce de son départ et son départ effectif ? Faut-il pour autant faire attendre davantage un autre être cher qui nous attend ? La joie de s’être revu serait-il vraiment moindre ?

Comment faites-vous pour supporter si facilement le bruit, la chaleur et la lumière ? J’exagère à peine : j’en ai vus, parmi vous, qui ont besoin à tout prix d’un « bruit de fond » même quand ils ne sont pas seuls, comme si leur oreille n’était jamais saturée, qui vivent toutes fenêtres fermées même quand il fait chaud et dont l’œil semble ne jamais se fatiguer de la luminosité : ont-ils donc des superpouvoirs ?

Comment faites-vous pour appréhender les horaires avec tant de légèreté, au point de pouvoir vivre sans savoir l’heure qu’il est ? N’avez-vous donc parmi vos relations que des gens qui s’accommodent sans problème d’un retard excessif ? Quand vous prenez les transports en commun, sympathisez-vous avec le conducteur de façon à ce qu’il vous promette de vous attendre ?

Comment faites-vous pour sympathiser si facilement ? Dès l’enfance, au bout de cinq secondes, vous êtes déjà comme frères et sœurs ; même à l’âge adulte, la règle reste le tutoiement systématique et si je ne vous appelle pas spontanément par votre prénom, vous y voyez de la timidité alors que ce n’est du respect : l’amitié n’est-elle donc pas un bien dans prix qui demande des années pour être bâtie ?

Comment faites-vous pour mettre autant de temps à répondre quand on vous appelle ? Déjà, enfant, ça ne me serait jamais venu à l’esprit de faire attendre ma mère plus d’une minute quand elle criait « à table » ! Et encore aujourd’hui, si quelqu’un me hèle alors que quelque chose me retient de manière négociable, je prends la peine de le faire savoir aussitôt : je dois bien être le seul, apparemment…

Comment faites-vous pour interpréter le moindre froncement de sourcil de votre interlocuteur au point de ne même pas prêter attention à ses propos ? Je ne compte plus toutes les fois où vous avez cru découvrir mes pensées d’après l’expression de mon visage (que je n’ai jamais réussi à contrôler) sans même vous fier à ce que je pouvais proférer en toute sincérité : à quoi bon apprendre à parler, alors ?

Comment faites-vous pour tirer des conclusions sur autrui sans même le laisser finir de parler ? Est-il donc si difficile d’écouter jusqu’au bout une phrase de plus de trois mots ? N’avez-vous donc jamais appris qu’il y a des idées qui ne peuvent être résumées en un nombre restreint de signes et doivent avoir le développement qu’elles méritent ? C’est trop facile, après, de coller des étiquettes indélébiles…

Comment faites-vous, in fine, pour être si peu attentifs ? Comment faites-vous pour cataloguer les gens sans même prendre la peine de les écouter ? Comment faites-vous pour faire fi du respect élémentaire que l’on doit à autrui ? Et comment faites-vous pour pousser l’outrecuidance jusqu’à prétendre que c’est votre comportement qui représente la norme ?

Pourtant, votre comportement est si étrange que je suis la preuve vivante que… Même un autiste peut s’en rendre compte !

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